Un mystérieux tueur de chatons provoque le courroux d'un groupe Facebook. Un récit extravagant à peine affecté par des procédés de narration parfois contestables.
Dislike moi si tu peux
Le plus grand reproche que l'on est en droit d'adresser à ce documentaire de Netflix est sa forme ultra sensationnaliste. Tourné comme un thriller, appuyant sur des effets de suspense et de fausses pistes, il ferait presque passer Faites entrer l'accusé pour un modèle de sobriété et de pudeur.
Mais ce choix, horripilant pour certains, est pleinement assumé, et il serait même justifié au regard de son sujet :
Le tueur canadien, Luka Rocco Magnotta est un personnage qui sort tout droit d'un film d'horreur des années 90.
Un jeune "à problème" qui passe tous les paliers initiatiques du psychopathe : Enfance difficile, brimades à l'école, absence du père, lien affectif tordu avec une mère à côté de ses pompes, violence sur les animaux, prostitution & sexualité extrême. Ne semble manquer à l'appel que l'énurésie.
Et pourtant, ce "kittens killer", se distingue des Ed Gein, Jeff Dahmer, et autres Ted Bundy de part sa dimension cinématographique. Pendant des décennies le cinéma s'est nourri des faits divers sordides pour faire des films et construire des personnages hors du commun. Dans le cas d'espèce, c'est le meurtrier qui s'inspire d'Hollywood pour commettre son crime.
Et il ne s'agit pas de l'oeuvre d'un génie du crime ultra intelligent, mais d'un type qui a raté sa vie et dont l'ambition était d'être aimé mondialement. En situation d'échec, il change son fusil d'épaule et entreprend d'être un monstre connu mondialement.
Le sujet du documentaire est un mélange de River Phoenix et de Michael Vendetta qui est prêt à commettre les pires atrocités afin d'obtenir son quart d'heure de célébrité. Nous avons tous déjà observé des participants à des émissions de télé-réalité qui souffraient de désordres affectifs conséquents. La dérive psychopathe d'un candidat refoulé n'est donc pas si surprenante que cela au final.
D'ordinaire, les serial killers tuent pour assouvir des pulsions, et assurer un besoin de domination. Ici, le sujet est peut-être animé par des pulsions sexuelles, mais sa jouissance vient de la médiatisation de ses crimes, et de sa reconnaissance comme figure maléfique auprès d'abord d'un cercle d'internautes, puis de la planète entière. Le meurtre était son dernier moyen pour accéder à la notoriété. Comme la séquestration était pour Ruppert Pupkin de la Valse des pantins, le seul moyen de passer à la télévision.
Une action revendiquée par le CCC.
La cinémathèque du tueur se reflète dans les rapports de police. Quoi de plus normal quand la clé de l'enquête est un snuff movie. On pense tour à tour au Talentueux Mr Ripley, au Silence des agneaux, American Psycho (le True faith de New Order dans la vidéo), Basic instinct, V/H/S, Casablanca, Attrape moi si tu peux...
Ce qui débute comme une banale enquête bénévole d'internautes vigilants sur la question de la maltraitance animale finit en chasse à l'homme internationale, et à l'arrestation d'un Normal Bates canadien. Une histoire pareille échappe dès lors difficilement au sensationnalisme. Surtout quand on a accès aux vidéos de surveillance qui nous proposent les allées et venues d'un tueur. L'audition du monstre évoque même le genre found foutage.
À côté de cette figure maléfique, on nous présente un groupe Facebook qui s'investit dans la traque de la Bête.
Et cette enquête réalisée par écrans interposés se solde par le suicide d'un malheureux pris à tort pour le coupable. Et on peut regretter que le reportage passe trop rapidement sur cet épisode et l'aborde avec une confusion polie.
Car dans leur soif de vengeance ces gentils défenseurs des animaux auront causé autant de mort que ce cinglé de Magnotta.
Les lamentations de ces justiciers bénévoles concernant l'absence de concertation avec la police canadienne traduit un manque de réalisme et une vision des événements au moins aussi hollywoodienne que celle de l'individu pisté.
La fin est donc un brin moralisatrice (on est sur Netflix non ? on checke ses privilèges ou pas ?!) , car la figure principale du groupe d'internautes pointe du doigt la responsabilité de ceux qui regardent et partagent la diffusion de ces atrocités.
Alors, faut-il faire son examen de conscience ? Aurait-il perpétré ces crimes si personne n'avait prêté la moindre attention à ses saloperies sur les chatons ? On n'en sait rien, peut-être pas, dans tous les cas il est un peu facile de chercher la responsabilité du côté de ceux qui s'intéressent à ces cruautés, plutôt qu'à celui qui les commet. Le "tous coupable"est à la mode. Il n'en demeure pas moins vrai que la médiatisation et l'attention qu'il a reçu lui a procuré satisfaction et qu'elle fut son moteur exclusif. Mais ce constat n'est pas uniquement valable pour ce tueur, il l'est également pour des personnalités improbables ou des stars de la télé qui mériteraient de rester dans l'ombre et qui sont valorisées de manière inexplicable sur les réseaux sociaux. La diffusion de saloperies qui tombent sous le coup de la loi devient trop souvent virale. Et sans tomber dans le moralisme, il faut convenir que cela est triste et déprimant.
Don't f**k with Cats est un récit absolument captivant sur un tueur symptomatique tant de notre époque que de notre collection de giallos.