Kim Jee-Woon aime bien les trop-plein. Nous remplir l’écran des bagarres, du sang, du gore, d’horreur, des sentiments… quelle qu’elle soit la situation, elle s’entrechoque avec les limites de notre télévision, l’écran devient comme une fenêtre indiscrète qui ne se contente pas d’un fait isolé. Elle renforce l’angoisse par un manque d’espace.
Ce n’est pas sans une certaine surprise que nous découvrons la première série de notre réalisateur bien-aimé. D’ailleurs, au bout de quelques minutes on se demande où est-il passé, car malgré les couleurs saturées et les filtres qui rehaussent merveilleusement la lumière, l’image semble aussi vide qu’un no man’s land au milieu de nulle part. L’histoire se présente biscornue, donc il va falloir s’accrocher pour bien comprendre. Mais comprendre quoi ?
Sewon est un neuroscientifique diagnostiqué comme étant atteint du spectre autistique. Il est né avec une anomalie cérébrale qui l’isole de la société. Il est complètement renfermé sur lui-même mais arrive quand même à vivre une vie plus ou moins normale avec sa femme et son fils. Découvrant que ce dernier souffre de la même pathologie, il consacre sa vie à la recherche avec le but de comprendre son propre cerveau et celui de son fils. Pour ce faire, il développe une technologie qui permet de synchroniser deux cerveaux. Jusque-là, soit. Mais du coup, on se voit immergés dans les décors des vieux Star Trek, avec des machines inexplicables remplies de toutes sortes de petites lumières dont le fonctionnement restera un mystère à jamais.
Sewon est un neuroscientifique qui développe une technologie qui permet de synchroniser deux cerveaux
Lee Sun-Kyun est toujours tellement intègre ! Il se lance toujours sans le moindre a priori derrière son personnage. Sa force de caractère se répand en dehors du téléviseur, sa voix s’impose et s’implante, promesse d’une histoire consistante et d’un moment de qualité. Alors le voir tout sérieux entouré de tout ce matériel invraisemblable, nous pousse à faire un pas de recul. Mais… bon… l’intrigue s’annonce intéressante. Quand il synchronise son cerveau (peu importe comment) avec celui de quelqu’un d’autre, il revient de l’expérience avec certains des traits de caractère de la personne sollicitée. Des souvenirs, de certaines habilités… Cette fois-ci la série Sense 8 nous fait un tel clin d’œil, qu’il vaudrait mieux accepter tout de suite que l’auteur a repêché cette très bonne idée et qu’il a le droit de s’en servir pour d’autres fins. Sense 8, qui malheureusement est partie en cacahouètes et n’a plus trouvé de financement pour une troisième saison, mérite toutes sortes d’allusions. C’est à ce moment-là, alors qu’on vient de se faire une raison, que Sewon ne trouve pas mieux que de rentrer dans le cerveau d’un chat. Non mais pourquoi pas, si déjà. Il arrive alors à sauter et à voir comme un félin.
Pourquoi Pulp Fiction a permis à Tarantino de devenir Tarantino ? Tout simplement parce que, à aucun moment, le réalisateur nous a permis d’oublier que nous étions en train de voir une bande dessinée. C’était étrange, nous assistions à la transformation des dessins inanimés, presque comme la fée de Cendrillon et sa courge et nous trouvions un plaisir inouï à suivre leurs aventures délurées, possibles justement parce qu’il s’agissait d’une bande dessinée. Tout ça pour vous dire que voir Lee Sun-Kyun sauter comme un chat donne un sentiment de ridicule et the WTF dont on ne peut plus s’en débarrasser.
Gavés d’un jargon scientifique qui parasite la série plus que de l’alimenter, on s’accroche à l’intrigue. Un détective s’intéresse à l’accident qui a coûté la vie au fils de Sewon. Le scientifique, qui n’avait jamais cru à cette théorie malgré les avertissements de sa femme, se met à se synchroniser à droite et à gauche pour comprendre ce qui est arrivé à son fils. Le détective en question est interprété par Park Hee-Soon, que nous venons de voir baignant dans la testostérone dans My name. Cette fois-ci, il semble plutôt se noyer dans les vapeurs d’un joint. Ce ne sont que des rôles. Il ne s’agit pas de l’acteur mais du personnage mais, Park Hee-Soon semble contaminée par cette ambiance apathique, stérilisée et aseptisée qui nous incommode depuis le début. Cette ambiance léthargique et amorphe, veut-elle nous faire comprendre la pathologie du scientifique ? Veut-elle nous synchroniser avec son cerveau ? S’agit-il d’une façon très tacite de nous montrer ses émotions ?
Sewon cherche son fils. Nous, on cherche Kim Jee-Woon. C’est dommage parce qu’on reconnaît, au milieu des tous ces éléments assez déstructurés, une volonté de faire comprendre que Sewon a fini par voir ses défauts dans le cerveau des autres. Et que cela lui a permis de changer et d’avoir des émotions. Mais c’est tellement enfui dans un amalgame de sujets lancés comme des météorites qu’on s’y perd !
On reconnaît les mouvements de caméra du réalisateur mais, avec une telle intermittence qu’on dirait qu’il joue à cache-cache, qu’il n’est que de temps en temps sur le plateau. La photographie est magnifique, on se croirait parfois dans les paysages d’Highlander. Sean Connery pourrait apparaître d’un moment à l’autre au milieu de ce brouillard et ce vert fluo. Si la série a voulu rester fidèle au webtoon, elle pèche d’un manque cruel de développement. Kim Jee-Woon ne nous donne que des aperçus avortés. Quelques touches d’horreur. Oui mais non… Les nouvelles données acquises par Sewon disparaissent alors qu’on les avait à peine vus. On ne peut que les attraper au vol.
On ne demande plus rien à la fin même si le spectre de Lucy et son nous ne sommes que connaissance de Monsieur Besson plane sur la chute…