La production américaine de séries est une véritable machine de guerre. Chaque année, il faut du neuf, en quantité et si possible de qualité. Du coup, les producteurs n’hésitent pas à s’emparer de concepts qui fonctionnent ailleurs. Et c’est souvent en Grande Bretagne qu’ils vont puiser leurs idées. Il existe d’ailleurs une excellente série, Episodes, qui raconte les déboires de scénaristes anglais obligés d’adapter leur série au marché américain.
Voilà donc le célèbre Sherlock Holmes, ressuscité par la brillante série britannique Sherlock (avec Benedict Cumberbatch), qui se voit dans l’obligation de traverser l’Atlantique pour exercer son pouvoir de déduction dans les rues de New York. Pour le meilleur ou pour le pire ?
La première réussite de la série, c’est qu’elle se laisse regarder. La réalisation est propre, les acteurs assurent. Mais c’est quelque part attendu, quand on connaît le sérieux et l’argent investi dans les grosses séries. Le deuxième bon point, c’est la modernisation et l’américanisation cohérentes du personnage.
Cette nouvelle adaptation est très différente de la série britannique. Les producteurs de Sherlock, dont on vous a déjà parlé, ont fait le choix de rester le plus fidèle possible aux romans d’Arthur Conan Doyle. Ils ont transcrit scrupuleusement les personnages et les enquêtes du détective dans l’Angleterre des années 2010, avec une réalisation moderne et intelligente.
Pour Elementary, les showrunners américains ont choisi de ne reprendre qu’une poignée d’idées. Ce qui veut dire que si vous êtes un fan inconditionnel du personnage, un gardien du temple, vous feriez mieux de passer votre chemin.
Dans Elementary, Sherlock Holmes est Anglais, jusque là tout va bien. Il est consultant pour la police (première différence, puisqu’Holmes est normalement indépendant). Mais c’est surtout un héroïnomane en désintoxication. Oui, il faut l’admettre, c’est osé. La mythologie du personnage nous laisse comprendre que le génial détective pouvait user de cocaïne. Mais jamais, on a fait passer Sherlock pour un ancien addict aux drogues dures.
Cela semble un détail, mais c’est le point de départ de la série. Le père de Sherlock (que nous ne verrons pas dans la première saison) est semble-t-il un homme très riche qui, s’il ne porte pas son fils dans son cœur, lui paye un « Sober Companion » pour l’aider à décrocher. Et c’est là que Joan Watson entre en scène. Oui, vous avez bien lu, Joan et non plus John. Les Américains ont transformé le fidèle et débonnaire docteur en une jolie Lucy Liu, retirée des scalpels pour erreur médicale.
Pour le fan inconditionnel, cette « adaptation » pourrait déplaire. Mais franchement, c’est une très bonne idée. Déjà, Lucy Liu est une actrice de talent qui ne se laisse pas phagocyter par l’éminent personnage qu’elle doit épauler. De plus, cela renforce la complexité des rapports entre Watson et Holmes. Pour moi, cela sauve la série.
Deuxième différence, les enquêtes n’ont absolument plus rien à voir avec celles du détective britannique. Et c’est là que le bas blesse. Ce qui a fait l’immense succès du détective, c’est la complexité et l’intelligence du personnage, mais c’est aussi l’inventivité des enquêtes qui nécessitaient la brillance de Sherlock pour être résolues. Dans Elementary, certaines enquêtes sont intéressantes, beaucoup sont trop banales. D’autant que l’on sent que certains épisodes ont servi de remplissage pour pouvoir tenir la longueur.
Sherlock avait fait le pari de 3 épisodes longs et denses. Elementary, suivant les canons américains, doit se dérouler sur 24 épisodes, forcément inégaux, forcément longuets. D’autant que, ultime déception, le final est aussi excitant qu’un épisode de Derrick.
Vaut-elle quand même le coup ?
Si vous dévorez toutes les séries policières, oui. Si vous êtes toujours sous le charme de Lucy, également. Pour la défense de la série, on peut ajouter que Johnny Lee Miller s’en sort plutôt bien. Si l’on accepte les particularités du Sherlock qu’il incarne, on pourra apprécier son talent de comédien. Personnellement, j’ai un faible pour Aidan Quinn qui joue le rôle du taciturne mais solide Capitaine Gregson, la version américaine de l’inspecteur Lestrade.
Je pense que ce qui me dérange le plus dans cette série, c’est l’écriture trop molle et inégale. Et c’est une bonne chose, car c’est ce qui peut s’améliorer dans la seconde saison. On ne compte plus les séries qui se sont bonifiées au fil des trois premières saisons. Si le background est bon, de bons scénaristes devraient pouvoir nous rendre Sherlock passionnant. Et c’est élémentaire.