En passant pécho
6.6
En passant pécho

Websérie YouTube (2012)

Autant le dire tout de suite, En Passant Pécho est raide. Autant dans la forme que dans le fond, c'est lourd, brutal, tranché : par exemple, préparez vous à rire devant des mecs se faisant littéralement victimiser. Il ne suffit donc pas de faire partie de la génération Y pour goûter à cette forme d'humour particulière, encore faut il l'apprécier. En outres, à ces contraintes s'ajoutent celle de la barrière du langage, puisque la web série est une aussi un enchainement fusant et foisonnant des codes d'un langage argotique (dit "de téci") de pointe.


Mais passées ces considérations qui élimineront pas mal de monde, le constat est que, à qui sait (et désire) décoder et apprécier à sa juste valeur En Passant Pécho, quel régal ! Culture pop/geek et wesh se mêlent dans un concert de blagues de cul, de sniffage de coke et de roulages de petits, mettant en situation des discussions musclées, stupides ou absurdes allant de l'art du film de boule à celui de vendre de la drogue, en passant par la dernière soirée scandaleuse de l'un, par la manière dont l'autre ne tient pas la weed, le tout dans des environnements foisonnant de détails hilarants et mine de rien très référencés. Comme le dit bien Antoine Vuillemenot dans sa critique, Les Lascars et Kourtrajmé ne sont pas loin. La série a ainsi réussi le tour de force de se créer en seulement quatre courts et modestes épisodes un véritable univers propre, à coup de personnages, d'actions et de citations instantanément cultes, qui ne sauraient se limiter au crachat rageur de Cokeman, au phallique zgeg de ouf ou au fameux "Ah chui chaud Mireille !" de Quiberon.


Mais à mes yeux, la plus grande réussite de cette série -dont un des deux coréalisateurs n'est d'ailleurs autre que Julien Hollande, le fils cadet de François Hollande et de Ségolène Royale (!)- c'est le contraste entre la qualité créative (dialogues inspirés, acteurs géniaux, décors fun) et les conditions de création de gros galériens, qu'eux même vous présenteront mieux que moi :



L'aventure En Passant Pécho a débuté il y a presque deux ans. Début 2012, nous réalisions le premier épisode. En Passant Pécho était alors une bonne grosse série de shlag. Financé avec les thunes du taf, tourné dans une chambre de bonne de clandestin, monté sur Windows 95 et mixé...euh pas mixé en fait. Tout fier d'avoir dépassé les 500 vues, on se chauffe pour un deuxième épisode. On a encore moins d'argent, le décor n'a pas grandit, mais on essaye de rester marrant. La fin de tournage du deuxième épisode est déterminante. Dans un premier temps, on est viré de la chambre de clando. La série En Passant Pécho est à la rue. Elle se fait ramasser par un mécène (Single Man Productions), prêt à relancer la série et contribuer au développement d'une nouvelle salve d'épisodes (les épisodes 3 et 4). C'est la fin du huis-clos. Cokeman sort enfin de sa cage. Les personnages se multiplient. L'univers progresse."



Fidèle à son organisation de clodo, En Passant Pécho s'en est ensuite remis au financement participatif pour pondre les épisodes 5 et 6 :



Le crowdfunding est le seul financement viable à long terme pour EPP. Il nous permettra de conserver notre ligne de conduite (la non-monétisation des vidéos) et surtout notre liberté de ton.



Je ne peux hélas qu'abonder dans le sens de la déception de la plupart des fans, car force est de constater que le passage de Single Man Productions à Get A Way Productions et les pourtant prometteurs 35 000 euros obtenus, en chamboulant ainsi son contexte créatif, ont altérés l'identité de la série. Plutôt que de véritablement creuser l'univers EPP, les épisodes 5 et 6 en ont été la poussive et stérile application dans un scénario plus ambitieux et d'avantage tourné vers l'action qui lui sied beaucoup moins. Dialogues peu inspirés et peu généreux, acteurs moins spontanés à la limite de l'amateurisme, personnages secondaires transparents... Je ressens le même sentiment d'artificialité qu'avait offert le passage des web séries Le Hard Corner et Norman fait des vidéos à leurs pendants cinématographiques, comme si l'adaptation d'un concept web réussi, par définition humble et spontané, à quelque chose de plus ambitieux se rapprochant des codes narratifs cinématographiques classiques ne pouvait que dénaturer son esprit originel d'où provient pourtant son succès. Mais ces deux épisodes ont le mérite de préciser, par opposition à leur relatif échec, quelle est la nature profonde et si réussie d'En Passant Pécho, à savoir une vidéo "à l'arrache" de 6 à 7 minutes dans laquelle une bande de boloss ne fait rien d'autre que de se livrer à une discussion autosuffisante à la Clerks en balançant (et en faisant) des conneries autour d'un thème à fort potentiel humoristique (le cul, la drogue, point), un condensé de fun remarquablement bien maîtrisé où on sent que devant comme derrière la caméra les gens se sont bien marrés sans se prendre la tête ni être atteint par le désenchantement créatif que constitue parfois l'argent, le succès, la perte d'humilité et l'oubli identitaire qui va avec. Oui à la spécificité des web séries !


Un épisode de l'excellente série d'Arte "BITS" qui creuse la question de la spécificité des youtubers et des web séries : http://bits.arte.tv/fr/episode/youtuber
Le site internet d'EPP avec les épisodes : http://www.enpassantpecho.com/

DoubleRaimbault
8
Écrit par

Créée

le 24 nov. 2013

Modifiée

le 26 sept. 2014

Critique lue 3.4K fois

12 j'aime

DoubleRaimbault

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