C'est Emile, le tueur ! *
C'est l'histoire d'un tueur. En série. Ou pas, je crois qu'il faut voir la série pour juger si l'on peut le classer dans les tueurs en série. C'est l'histoire de Renzo aussi, de Laura et Marina et de ceux qui gravitent autour d'eux.
Le tueur, personnage clé sans qui l'intrigue ne rimerait à rien. Un tueur coriace, un tueur intelligent, manipulateur, séduisant, superbement incarné par Antonio Birabent – oups, j'ai bavé. Un tueur dont on voit très vite le visage dans la série mais dont l'identité et les motivations exactes resteront floues un bon moment. Dans un souci de compréhension et pour éviter trop de répétitions sans spoil aucun, j'ai donc choisi de vous parler du tueur en lui attribuant un nom nullement arbitraire et culturellement inattaquable. Le tueur, c'est Emile.
L'histoire commence alors qu'un crime mystérieux – un crime est toujours mystérieux dans une série policière mais rajouter des adjectifs dans une critique ça fait classe et lettré – et des pierres tombales gravées d'épitaphes à leurs noms réunissent après cinq ans trois protagonistes d'une histoire sordide : deux policier et une psychologue. L'histoire en question a profondément marqué les trois personnages. Un des policiers, Renzo, a d'ailleurs rendu sa plaque et s'est recyclé en chauffeur de taxi dépressif, un métier d'avenir. Autant vous dire que quitter son nouveau métier palpitant pour retourner courir après des détraqués, c'est pas trop son truc. Mais Emile a ses raisons, Emile n'aime pas que Renzo soit un chauffeur de taxi dépressif, il préfère le voir en flic dépressif qui lui court après.
Car bien plus qu'une enquête, ce qui est fascinant à suivre c'est cet affrontement plus virtuel que physique entre Renzo – qui au début ne sait rien – et Emile – qui visiblement sait tout. Emile annonce ses crimes par des épitaphes qu'il fait connaître à Renzo, jubilant de le voir patauger complètement jusqu'à la découverte du corps. Le rythme laisse le temps aux personnages de se développer et c'est une véritable psychologie complexe que l'on pourra étudier chez les protagonistes. Les épisodes, biens construits et pas nécessairement sur un modèle identique nous amènent petit à petit à découvrir l'intrigue de manière généralement subtile. Le suspense est généré par une désinformation du spectateur mais jamais totale, afin de toujours nous permettre de chercher. On devinera certaines choses mais pas dans leur intégralité, on passera complètement à côté d'autres pratiquement jusqu'à leur révélation. Mais on aurait pu les trouver. Les indices sont semés de manière judicieuse, de telle façon qu'on n'aie jamais l'impression qu'un raccourci énorme a été pris. On sait pourquoi, on sait comment, et en plus, on a un peu trouvé tout seul.
Emile est fascinant de complexité, loin d'être l'archétype du tueur psychopathe et pourtant capable des pires atrocités alors qu'on lui donnerait le bon dieu sans confession. D'une intelligence remarquable il montre parfois des incompréhensions presque irrationnelles pour les réactions des autres qu'il n'avait pas anticipées. Ses seules erreurs, semble-t-il, seront toujours dans son manque de compréhension de ses semblables et pas dans le calcul de ses plans toujours bien élaborés. Emile a généralement une longueur d'avance, voire deux, voire trois, mais pas toujours. Assez peu pour qu'on ne se lasse pas de cette chasse, pour qu'on se dise que Renzo peut rivaliser avec lui. Bien sûr, Emile est cinglé. Une analyse même peu approfondie de ses choix capillaires désastreux suffit à nous le montrer. Mais il a un charme, un pouvoir de séduction dont il sait user avec un talent rare pour manipuler à loisir ceux dont il a besoin. Et son regard, et sa voix – oups, j'ai re-bavé.
Renzo aussi est complexe, même s'il nous sert au départ l'image assez classique de l'ex-flic dépressif un peu rustre. Il évoluera, on découvrira que malgré sa coupe de cheveux annonçant à l'avance « je suis un chauffeur de taxi dépressif », Renzo sait vivre d'autres choses que l'apitoiement sur lui-même. Il n'est peut-être pas fascinant mais il est attachant. Le genre de mec un peu ours dont on a envie de faire un nounours pour le serrer dans ses bras, le cajoler, le consoler et lui donner un coup de peigne dont il aurait bien besoin.
Renzo a de l'aide, bien sûr. Il y a Laura, la psychologue impliquée aussi malgré elle dans toute cette histoire. Laura. Sans doute le personnage le plus « telenovela » de toute cette série argentine qui ne réussira pas à nous faire oublier complètement ses racines et ses quelques scènes toutes en drame théâtral, légèrement en sur-jeu. Marrant d'ailleurs de constater que le personnage somme toute le plus équilibré des protagonistes, et pour preuve : son lissage est toujours impeccable, soit surjoué. Et il y a tout l'univers policier, évidemment, avec son lot de personnages plus ou moins important, avec leurs raisons plus ou moins personnelles de traquer Emile mais dont il ne vaut mieux pas que je vous parle.
Oui, cette série a ses défauts, à commencer par ses travers telenovela auxquels le public habitué aux séries américaines devra se faire sous peine de passer à côté de l'histoire. Oui, il y a quelques raccourcis, mais comme je le disais pas si courts que ça. Il y a parfois un côté un peu brouillon mais à côté de ça certaines scènes, sans être novatrices, ménagent le suspense avec brio. Et en plus, la fin est une fin. Et mine de rien, c'est quelque chose de précieux, dans l'univers des séries télé.
J'ai ouï dire qu'il y avait une saison 2. Je la regarderai sans doute à l'occasion, même si pour moi la saison 1 se suffit à elle-même. Je risque de le regretter. Mais quand on tombe amoureuse d'Emile, il faut s'attendre à vivre dangereusement.
* Pourquoi ce titre ? Mais parce que, vraiment, tant que je ne connaissais pas son identité il a fallu que je donne un nom au tueur pour pouvoir parler de lui et débattre à loisir avec Mister Nomé et quel nom mieux senti pour un tueur en série qu'Emile ? Si vous n'êtes pas satisfaits, prenez un chewing-gum.