Exception
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Exception

Anime (mangas) Netflix (2022)

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On le suppose, voire on l'espère, dès les premières minutes de vide spatial, les premières notes de la B.O., à la fois glaçantes et mélancoliques, et cet étrange poisson qui flotte sur fond d'étoiles : Exception n'est pas qu'une énième production petit budget au rabais conçue exclusivement pour remplir les cases des programmes, ni un énième space opera grandiloquent façon manga, mais un projet d'artistes, peut-être un peu fauché, un peu serré aux entournures, mais au coeur grand comme ça.

Car le coeur est au centre de ce huis-clos en huit parties, dans la plus pure tradition des romans de science fiction à l'occidentale (C. Clarke en tête) : de par sa thématique existentielle, bien sûr, exploitée sans excès, avec pudeur et d'autant plus de pertinence, mais également dans les aspects les plus concrets de l'entreprise, à commencer par sa bande-son d'une justesse de ton exemplaire signée par un Ryuichi Sakamoto particulièrement inspiré (pléonasme), pourtant à des années lumières de ses domaines de prédilection ; le character design néo-rétro pour le moins atypique de Yoshitaka Amano (qui renoue là avec l'esprit de ses premiers travaux réalisés pour la Tatsunoko, également ici aux commandes, et notamment du film Chikyu Monogatari Telepath 2500, dans un registre assez similaire) ; ou encore même la mise en scène (parfaite n'est pas un vain mot) d'Otsuichi (voilà des années, pour ne pas dire des décennies, qu'on n'a pas vu des storyboards aussi maîtrisés au format sériel, au point qu'on aurait été en droit de se demander si les japonais n'avaient pas fini par oublier comment faire), les talents se conjuguent pour mettre en valeur cette fable futuristique antimanichéenne et plus roublarde qu'il n'y paraît, tantôt Alien, tantôt Belle et la Bête, laquelle prend un malin plaisir à nous interroger tout en déjouant nos attentes de vieux spectateurs blasés.

Et si l'animation en CGI ne sera pas au goût de tout le monde, de même que les designs (les otakus dans la vingtaine risquent de grincer des dents, encore qu'on ne peut pas généraliser), force est de constater qu'ils participent grandement à l'étrangeté de ce projet hors-normes, à laquelle ils confèrent une touche de surréalisme bienvenue (et qu'on aurait aimé plus appuyée), rappelant l'esprit visuel de grands classiques du genre tels que les Maîtres du Temps ou Gandahar.

Car qu'on ne s'y trompe pas : Exception est peut-être un animé japonais, au sens le plus strict de l'épithète, mais il ne cherche pas à reprendre les codes de la japanim' à son compte : pas de waïfus ici, pas de tsundere, pas de nekketsu, pas de pouvoir de l'amitié ou de moe en vue, ils n'y ont pas leur place.

Qu'on aime ou qu'on aime pas, force sera de constater que ce parti-pris esthétique n'est pas subi, mais volontaire, et qu'il est d'une originalité à la hauteur du trait d'Amano (peintre de renommée internationale à qui l'on doit parmi des milliers d'autres : la Bataille des Planètes, l'Oeuf de l'Ange, Vampire Hunter D, ainsi que l'identité graphique des Final Fantasy) ; parti pris assumé dans toutes ses outrances et ses facéties, avec ses scaphandres-papillon, son poisson intersidéral et son protagoniste aux faux airs de Ziggy Stardust. On est heureusement loin du fiasco Gibiate, renouant avec les expérimentations du bonhomme sur le trailer de Deva Zan ou son court métrage (magnifique) dans le film-chorale Ten Nights of Dreams.

Sans jamais le moindre temps morts, malgré ses apartés introspectifs et moments de contemplation, l'intrigue maintient habilement sa tension jusqu'à son terme, ne pâtissant que d'un dénouement trop conventionnel, intéressant mais plutôt fade compte tenu de ce qui précède.

Oh, oui, pour être tout à fait juste, on déplorera effectivement l'attitude ambiguë d'un personnage à un moment bien précis de l'intrigue (lequel ne se justifie a posteriori que par la lâcheté de son caractère), mais ce sera le seul faux pas et il sera vite occulté.

Haletant, profond, adulte, un brin mystique, Exception donne le premier rôle à son ambiance stellaire, toute à la fois sinistre et fascinante, oppressante, hypnotique, comme seul le premier sketch de Memories avait su la faire ressentir jusqu'ici (et avec quel brio !).

Il y a du silence, là dehors. Du froid, de la solitude. Des monstres cachés dans les ténèbres, à l'intérieur autant qu'à l'extérieur. Des questions sans réponse. Des dilemmes moraux à surmonter, et leurs lots de contradictions. Nos ombres, nos reflets dans la glace. Notre avenir, peut-être. Notre fragilité à tous.

Sans exception.

Liehd
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le 17 oct. 2022

Critique lue 350 fois

8 j'aime

Liehd

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