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Fargo
8.2
Fargo

Série FX (2014)

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Comment faire du neuf avec du vieux ?


C’est devenu un cliché affreux que de dire qu’il n’y a plus d’idées nouvelles dans le cinéma et la TV moderne, mais il recèle, comme souvent, une part de vérité. Oh, oui, Hollywood a toujours recyclé ses plus beaux succès. L'être humain n'aime rien tant que le confort du bien connu, ça va sans dire, mais maintenant plus que jamais voyons-nous fleurir des projets dont le seul argument de vente est le respect aplaventri de produits chéris par les trentenaires nostalgiques. Jurrasic World, Terminator Genysis, autant de films par comité exécutif qui ne sont que retape éhontée et clins d’œil putassiers à des films dont le seul crime est d'être surévalués à qui-mieux-mieux par ceux qui les découvrirent à un âge où on s'émerveille d'un rien. Et comme Star Wars est repassé de générations en générations comme une façon de pêché mignon originel, chaque décennie a droit à sa ration de brouet passé au micro-ondes par une table ronde de ronds de cuir (autant dire que je ne suis pas impatient de voir ce que le Spielberg-wannabe nommé JJ Abrams va nous torcher).
Et je comprends la tentation que cette nostalgie représente. Tous nous aimons à penser que ce que nous tient à cœur est du génie sans mélange et personne n'aime s'entendre dire que ses petites marottes sont grotesques. Moi-même je défends Face-Off comme s'il s'agissait de l'équivalent en celluloïd du saint suaire de Turin, mais au fond de moi je sais que ce faisant je ne fais que me boucher les oreilles et crier très fort pour ne pas entendre la petite voix qui veut me rappeler les niveaux stratosphériques de cabotinage à l'écran.
J'étais donc plutôt sceptique. Pas que je pense que l’œuvre des frères Cohen soit "intouchable" ou "inadaptable" ou "unique" ou toute autre hyperbole. On peut faire de l'art avec tout, surtout avec de l'art valable, en tout cas quand on n'est pas soi-même un tâcheron patenté. Mais la révérence insensée pour les œuvres d’un passé pas si lointain que la culture internet colporte m’avait mis sur la réserve. Alors oui, en bon trentenaire j'aime beaucoup les films des frères Cohen. Choquant, j'en conviens... Fargo en particulier a une place spéciale dans mon cœur, étant un des premiers que j'ai vu, sinon le premier. Une série basée sur une pierre si angulaire de ma jeune conscience critique n'avait que des attraits, sans doute. Trop, même. Si j'ai tenté de démontrer une chose dans la tartine qui précède, c'est bien que j'ai appris à me méfier de ce que je désire. J'ai d'abord renâclé mais je me suis laissé convaincre par le bouche-à-oreille avantageux. Après avoir regardé True Detective je ne pouvais de toute façon pas tomber sur une série plus démentiellement surestimée. Et puis, bon, les frères produisent, ça rassure même si ça ne veut rien dire: même eux ne sont pas incorruptibles au point d'ignorer la douceur du pognon gagné à rien glander.


Mais au final, ça tient la route. C’est même intéressant et intelligemment fait malgré ses limites.
Commençons par celles-ci, ce sera fait.
C’est un peu long. Ce n’est pas un péché mortel et ils ne sont surement pas les seuls à y avoir succombé. Huit heures de True Detective, ça m’a semblé long pour une histoire qui tient en quarante minutes d’un épisode d’Esprits Criminels. Cinq saisons de Breaking Bad laissaient la place à pas mal de remplissage. Huit heures de Fargo pour une intrigue qui tient en 1h40 de Steve Buccemi bien tassé c'est pareil. Les anglais sont encore les maitres dans l'art de savoir quand se retirer: six épisodes, quatre heures montre en main et hop! on passe à la douche. Chez eux on appelle ça être un gentleman. Ce n’est pas un art inconnu des amerloques pourtant : House of Cards, quoique plus long ne pendouille pas au milieu de la même façon. Enfin, passons.


À vouloir marcher dans les pas de son inspirateur, Fargo la série souffre parfois de la comparaison. Bilbo est bien mais souffre de la comparaison avec William H. Macy et celle qui fait la Frances McDormand de service est bien mais souffre de la comparaison avec la vraie Frances McDormand. L'éloge de la simplicité tout droit sortie de l'original semble par moments forcés, même si dans l'ensemble il semble authentique. Le carton de début qui annonce une histoire vraie, c’est du réchauffé. Les créateurs semblent oublier qu’au moyen-âge des années ‘90 on n’avait pas encore inventé la roue ni internet et qu’on ne pouvait donc pas vérifier ce genre de données aussi facilement que maintenant. À l’époque j’y avais cru de tout cœur et cette croyance a profondément affecté ma perspective sur le film, alors, mais maintenant… maintenant ça fait juste con, comme quand un pote notoirement porté sur l'invention tente de garantir l'absolue véracité de ses dernières affabulations.


On pourra au choix être stimulé ou ennuyé par les références à la filmographie des frères kascher. Moi je n’y ai pas vu d’inconvénient, malgré leur relative abondance. Il y a The Big Lebowski, Simple Man, No Country for old Man, Barton Fink etc. On peut s’amuser à les retrouver, c’est assez finement dosé que pour ne pas être gênant. Certes la première saison reprend d’assez près les temps forts du film original, mais jamais au point où cela rend sa progression prévisible ou superfétatoire. C’est une variation sur un thème connu. La nouvelle composition a sa vie propre.


Mais le vrai point fort de Fargo la série est d’être la version goyim de Fargo le film. Je m’explique.


Le thème principal est également celui de la tourmente de violence qui frappe de plein fouet une communauté rurale, mais interprété à rebours des intentions des Cohen. Dans le film original il s'agit surtout de faire déferler la vague de sang comme une force de la nature irrésistible. La question était de savoir qui aurait la force de s'y opposer ou même de la comprendre. Quand Margie demande à la fin pourquoi? à un Peter Stormare abruti (enfin, à Peter Stormare…) c'est qu'il s'agit pour elle vraiment de comprendre ce qui vient de heurter de plein fouet sa vie de plaisirs simples et de chaleur domestique. Dans la série, cette question revient mais teintée du parfum de la tentation et fait bien plus penser à Un plan simple (avec BBT aussi, tiens... coïncidence? Peut-être...) de Sam Raimi. C'est très clair dans la sous-intrigue du directeur de supermarchés qui fait le lien direct avec le film original. Mais c'est surtout frappant dans le traitement du personnage de Lorne Malvo.


Petite parenthèse: Il faut signaler que ne serait-ce que pour la prestation de Billy Bob Thornton, cette saison vaut le détour. Il réussit un exploit difficile en créant un personnage de méchant virtuellement omnipotent original. Il y a un peu en lui d'Anton Chigurh, mais surtout un peu de Max Sidow dans Bazaar en ce qu'il entraine avec lui divers membres du casting par la simple force de sa suggestion. Le cœur à coté de ma note est tout entier pour lui.


La séduction du mal qu'incarne Lorne Malvo fait bien sûr son effet sur Lester, qui plonge tête la première dans un abyme macbethien. Martin Freeman joue très bien le perdant qui se rêve héro testostéroné mais échoue à créer un personnage aussi mémorable que le Jerry Lundegard de Willian H. Macy. Ce qui faisait de ce dernier une parfaite création de cinéma, c'était que justement il n'était pas joué tant joué comme une victime de la tentation du mal que comme un simple pauvre type qui se retrouve confronté à des difficultés bien trop grandes pour ses pauvres capacités. Et les frères sont maitres comme personne dans l'art de jouer avec ce genre d'insectes et n'y ont que peu de concurrence (une petite pensée émue pour le touchant carambolage qu'était Pain and Gain de l'inénarrable Michael Bay). C'est la performance de Martin Freeman qui réussit à faire oublier qu'on est dans le rayon plus attendu de la dramaturgie chrétienne shakespearienne que de la tragédie à la Cohen. Pareil pour le personnage du couple policier qui n'a plus grand-chose à voir avec le couple Norm-Marge original. En ce qui concerne le personnage de Gus en particulier, la question est surtout de savoir s'il osera rejoindre Malvo dans cette contrée où il y a des dragons, s'il deviendra lui-aussi un prédateur ou résistera à la tentation de la violence.


On pourrait donc dire que c’est en étant plus standardement hollywoodien que Fargo se démarque… paradoxal, peut-être, mais si l’alternative était la servilité, je pense le choix judicieux.


Reste par ailleurs ce qui est conservé avec habileté du matériau original: les personnages secondaires abrutis mais charmants (j'ai eu peur un instant que Bob Odenkirk ne me tape sur le système mais au final, ça passe), les hors-sujets, la logique de la coïncidence.


Fargo la série première saison, c'est bien. C'est vraiment bien. Pas aussi bien que ce que certains veulent bien dire, sans doute, mais c'est un très honnête travail, de l'artisanat méritoire par sa probité. Il n'y a pas de raccourci, pas de facilité pendable. Et il y a Lorne Malvo, méchant d'anthologie, il faut l'admettre. Je ne sais pas ce qu'ils vont pondre pour la saison deux mais ils seront forcément attendus au tournant. Souhaitons-leur de ne pas se prendre les pieds dans le tapis...


...ou alors qu'ils le fassent bien à fond, à la True Detective et se vautrent dans le nawak décomplexé. Ça pourrait m'aller aussi...

Listening_Wind
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le 6 sept. 2015

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Listening_Wind

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