C’est con à dire mais c’est toujours bon de le rappeler : on est tous des joueurs et des joueuses bien différents.
Casu ou hardcore gamers, adeptes des titres qui poussent à la performance ou bien rêveurs à la recherche d’expériences narratives nouvelles, les profils sont d’autant plus nombreux que l’offre en termes de JV ne cesse de se diversifier…
Car c’est un fait qu’on pourra difficilement nier : depuis une petite décennie le dixième art connait une mue sans précédent ; une mue d’une telle ampleur et d’une telle intensité qu’elle a de quoi en égarer plus d’un…
…Une mue qui appelle donc à ce que se manifeste à nous un nouveau type de passeurs de savoir.
Bien évidemment, si je présente les choses ainsi avant d’aborder le cas de Fin du Game, c’est parce que j’estime que ce podcast fait partie de ces émissions qui participent aujourd’hui à enrichir cette offre encore trop rare.
Alors certes, avant novembre 2018 et l’arrivée de Fin du Game, il y avait bien déjà quelques maîtres-étalons qui permettaient d’explorer et de questionner ce média en pleine ébullition qu’est le jeu-vidéo. Entre d’un côté les tests et discussions menés autour des inénarrables Docteur Chocapic et Boulapoire sur le plateau de Gamekult l’émission, et de l’autre le développement de la galaxie Nesblog autour d’émissions tels que le 3615 d’Usul, le Joueur du grenier des compères Molas et Rassiat ou bien encore le Red Barrel de PseudoLess, le net fourmillait déjà d’une offre sérieuse en termes de glorieux passeurs.
A noter d’ailleurs que c’est parmi ces lurons du Nesblog que se trouvaient déjà deux des trois auteurs de Fin du Game, Maxime et Hugo (lesquels s’illustraient déjà avec leur excellente émission Game Next Door lancée dès 2015) ; quand le troisième larron – ExServ – officiait quant-à-lui du côté de la rédaction de Gamekult avant de se lancer en solo…
Donc comme quoi, Fin du Game ne sort pas non plus de nulle part et s’inscrit en cela dans une véritable continuité par rapport à ce qui existait déjà préalablement.
C’est vrai… « Mais paaaas queeeeee… »
Car voilà, en ce qui me concerne, j’ai tendance à considérer que, par rapport à cette offre préexistante, Fin du Game a su apporter sa plus-value.
Déjà – et ça pourra peut-être surprendre – mais Fin du Game tire à mes yeux un vrai plus de son format, qu’on le considère au sens strict comme au sens large du terme.
Au sens strict, Fin du Game est un podcast.
Pas d’image de jeu, juste de la discussion. Et ce que ce format perd en information visuelle, il le gagne en flexibilité « de consommation ».
Parce qu’il ne nous oblige pas à rester devant notre écran, Fin du Game peut dès lors se suivre lors d’autres tâches pas trop mobilisantes comme la cuisine, le ménage, les transports ou bien parfois même lors du boulot quand celui-ci nous y autorise…
Cette souplesse permet par conséquent d’étendre le format au-delà de l’heure, voire même de l’heure-et-demie, et cela sans que ça devienne trop pénible ou chronophage pour l’auditeur.
Ainsi les trois auteurs peuvent-ils se permettre d’aller plus loin et plus en profondeur que ce qu’ils ont l’habitude de faire dans leurs formats vidéo respectifs.
Et puis à noter aussi qu’au sens large, Fin du Game c’est plus qu’un podcast. C’est aussi un espace de discussion et d’échange avec la communauté.
Car il est bon de rappeler qu’en parallèle de l’émission, les trois auteurs ont aussi ouvert un chat sur Discord qui permet à tout un chacun d’amorcer ou de poursuivre la discussion orchestrée dans chaque épisode.
Pour ma part je ne m’y suis jamais rendu, mais le trio d’intervenants y fait régulièrement référence, soulignant à quel point cet espace parallèle de discussion participe à alimenter, affiner ou orienter leur réflexion…
Or ça c’est le genre de choses qui – quand bien même restent-elles périphériques – ne me semble pas pour autant relever du détail.
Mais le format est d’autant plus efficace qu’il est aussi pleinement maitrisé dans sa forme.
Qu’il s’agisse d’Hugo, de Maxime ou d’ExServ, les trois sont habitués à la prise de parole en vidéo et savent dès lors gérer leur discours avec une fluidité et une clarté absolument essentielle pour que l’écoute soit agréable.
Le cheminement de la conversation est d’autant plus optimisé que celle dernière est longuement préparée à l’avance. Sitôt un jeu est-il choisi comme sujet d’un épisode que chacun des trois intervenants prend la peine d’y jouer ou d’y rejouer, d’en discuter avec le Discord, de faire ses recherches à droite et à gauche sur la genèse du titre, avant que ne s’ensuivent deux réunions préparatoires : une première pour définir l’enchainement des thèmes à aborder, puis une deuxième pour procéder à une répétition.
Ainsi, l’épisode que nous écoutons est toujours la deuxième conversation que le trio a entretenue sur le sujet. Jamais la première.
Un boulot de professionnel donc ; mais un boulot de professionnel qui est accompli pour donner l’illusion d’une conversation détendue et fluide autour d’un bon verre…
…C’est aussi ça l’un des secrets de la réussite de Fin du Game.
A partir de là, rien d’étonnant non plus à ce que Fin du Game fournisse à chaque épisode une conversation fournie et complète, et cela dès le premier opus sorti au sujet de Celeste.
Musique, gameplay, narration, conception, tout est abordé sans que rien ne semble manquer, et à chaque fois, on sent l’envie de faire comprendre une intention, une démarche, une proposition de jeu-vidéo.
D’ailleurs, le choix qui a été acté de faire sauter le tabou du spoiler et d’intégrer la fin du jeu dans la conversation afin d’en fournir une analyse pleine et entière de ce dernier, participe à mon sens grandement à ce sentiment de complétude qui ressort de chaque épisode.
Et là où, personnellement je tire mon chapeau, c’est que cette approche globale et approfondie de l’œuvre permet de faire en sorte que, malgré le fait qu’on n’ait pas apprécié l’œuvre traitée (ou bien alors qu’on ne se sente pas concerné par elle), on tire toujours quelque-chose d’un épisode.
On tire plus qu’un simple avis entre potes. On tire clairement les fruits d’une analyse poussée entre personnes qui savent de quoi elles parlent et d’où elles parlent.
Et je ne vais d’ailleurs pas vous mentir, c’est aussi et surtout pour cela que j’avais envie de m’exprimer au sujet de cette émission depuis déjà un petit moment (et merci à l’ami Mat de m’avoir un peu poussé au cul à ce sujet ^^) : c’est pour le plaisir de souligner cette importance-là ; celle de la force de cet exercice souvent mal compris qu’est celui de la critique.
Alors certes, s’il y a un endroit où on sait comprendre et apprécier à sa juste valeur l’intérêt d’une critique c’est bien sur ce site. Néanmoins j’ai parfois l’impression qu’on oublie ou qu’on confond trop facilement ce qu’est un avis ou une critique.
L’avis c’est l’expression d’un sentiment. C’est un constat fait à l’encontre d’une œuvre. C’est une énumération plus ou moins détaillée de ce qui a plu et moins plu… Et face à ça, le lecteur se retrouve réduit à partager ou non cette liste d’affects. Rien de plus…
L’avis n’est pas inintéressant en soi. A l’époque où j’arpentais Allociné je postais plus souvent des avis que des critiques (certains d’entre eux ont d’ailleurs migré jusqu’ici), de la même manière que j’allais lire chez les autres ce qui, la plupart du temps, se réduisait aussi à des avis.
Au bout d’un moment on finit par connaître le profil de chaque auteur au travers de leurs avis et ceux-ci peuvent dès lors nous servir d’indicateurs, voire d’éclaireurs…
Seulement voilà, la critique a cette force par rapport au simple avis qu’elle est un exercice très codifié qui oblige à produire une forme plus ou moins poussée d’analyse.
Et si, contrairement à ce qui se fait dans le domaine des sciences, la critique en art autorise beaucoup plus de souplesse quant à l’expression de nos interprétations personnelles, il n’en demeure pas moins que cet exercice nous oblige systématiquement à nous interroger sur la nature de l’objet dont on parle et surtout sur d’où on parle par rapport à cet objet…
…Or, ça, les trois compères de Fin du Game ne l’oublient jamais. Et si derrière l’aspect très détendu (et fort agréable par ailleurs) de la simple conversation entre potes on a autant l’impression d’être enrichi par ce qui est dit, c’est aussi et surtout parce que cet effort d’analyse-là a été fait.
C’est ce qui fait qu’à chaque épisode – que je partage ou non l’enthousiasme de l’équipe à l’égard du jeu traité – j’apprécie toujours ce qui se dit…
…Et je l’apprécie parce que ce qui s’est dit est passé à travers la moulinette d’un esprit critique rigoureux et exigeant.
D’ailleurs – et c’est tout le paradoxe – si j’entretiens malgré tout quelques réserves à l’égard de cette émission, ça n’a rien à voir avec le fond ou bien avec la pertinence des grilles de lecture proposées sur les jeux traités.
Ah ça non ! Sur l’ensemble de la production actuelle – et au regard de la date de rédaction de cette critique c’est-à-dire le 1er mai 2022 – je ne conteste rien. Je me retrouve dans tout. Et pour une émission qui sort un épisode toutes les deux semaines et qui aborde des titres aussi variés en termes d’exposition ou de genre, je trouve que c’est quand même une sacrée performance…
Non… A dire vrai si je devais exprimer ce qui peut parfois me déranger dans cette émission, je ciblerais essentiellement une certaine forme de maniérisme qui, chez certains intervenants, parfois m’agace grandement.
Et quand je dis certains intervenants, en fait je pense surtout à Hugo.
C’est terrible d’en être réduit à ça – surtout quand on vient à l’instant de se faire le chantre de la distanciation critique – mais j’ai clairement un problème de personne avec Hugo mais aussi en partie avec ExServ… Et ce problème je ne peux le passer sous silence tant celui-ci peut parfois me conduire à grincer des dents en écoutant ce podcast.
Car ExServ et Hugo ont en commun cette culture qui, chez moi, m’exaspère de plus en plus parmi celles et ceux de ma génération : c’est cette culture du maniérisme.
Il faut régulièrement montrer qu’on est cool, il faut montrer qu’on est in, il faut montrer qu’on est dans l’autodérision permanente…
…Et surtout, il faut montrer qu’on est vertueux.
Alors certes, d’un côté j’ai conscience que toutes les petites blagounettes et roucoulades d’Hugo aspirent aussi à instaurer une atmosphère chillax pendant l’épisode, cherchant ainsi à contrebalancer le côté doctoral vers lequel pourrait sombrer l’ensemble…
…Mais, en ce qui me concerne, ça m’agace presque à chaque fois, et notamment parce que la plupart du temps, ces blagounettes m'apparaissent comme l'expression de ce maniérisme bon-teint de bobos twitteriens qui, moi, me courent parfois sur le haricot.
Et autant dire que cet état d'esprit m'exaspère d'autant plus quand ce maniérisme ne se cantonne pas qu'à de simples traits d'esprit mais qu'il en vient carrément à générer des épisodes moins denses et moins pertinents que les autres.
Par exemple, est-ce que Hellblade méritait vraiment qu’on y consacre un épisode entier ? En termes de mécanique de jeu, ce titre reste quand même une œuvre assez banale. Mais bon, seulement voilà, parce qu’il y avait moyen de broder sur des thématiques progressistes pendant de longues minutes, le trio a quand même décidé d’en parler, quitte à fournir un épisode certes bon mais beaucoup moins dense et termes d’analyse ludique…
Et même chose quand il s’est agi de faire un épisode sur Haven…
Et même chose quand il s'est agi de s’attarder plus que de raison sur la pratique du crunch dans le monde du jeu-vidéo.
Tout ça à mes yeux a vraiment des allures de conscience morale assez hypocrite qui, bien qu’elle ne soit pas vraiment grave en soi, conduit néanmoins à des choix éditoriaux qui tendent à dévaluer le contenu de certains épisodes.
Mais bon, malgré tout ça – et vous l’aurez compris – ces légères réticences, bien qu’elles soient réelles, n’entament que très peu toute la qualité que je perçois globalement dans ce fantastique contenu.
Adapté à nos modes de consommation, mais aussi adapté à la demande grandissante de celles et ceux qui sont en recherche de compréhension, d’analyse et de recul sur leur pratique vidéo-ludique, Fin du Game se pose vraiment comme un incontournable à mes yeux.
A une période où le média mute et où l’offre est pléthorique, des joueurs comme moi qui n’ont pas le temps d’éplucher les forums et autres magazines spécialisés ne peuvent que se retrouver dans ce podcast.
Parce qu’en plus d’aiguiller notre attention sur des titres, Fin du Game nous aiguille aussi dans notre manière d’approcher le média ; de conscientiser nos pratiques.
Il ne dégoute de rien. Il ouvre l’appétit sur tout.
Fin du Game est indéniablement un podcast pour celles et ceux qui ont faim…
…Et pour un gourmand comme moi, autant vous dire que ça compte beaucoup.