Friday Night Lights
J'ai passé de bons moments avec cette série, c'était sympa et j'ai apprécié de regarder jusqu'au bout, mais il y a de gros gros problèmes.
Ma note ne peut pas dépasser 5 pour cela et je vais lister les problèmes.
L'éducation de Tami et Eric Taylor. On nous la montre comme parfaite,
les parents idéaux, équilibrés, qui prennent les bonnes décisions. En
réalité ce sont des parents abusifs : inquisiteurs, jaloux,
possessifs : prenant littéralement leur fille comme leur possession,
Tami disant que le corps de sa fille lui appartient quand celle-ci se
fait tatouer. On ne voit jamais d'interactions positives voire
amicales, toujours un rapport hiérarchique parent/enfant, très
souvent conflictuel mais où on veut nous faire croire qu'il s'agit
d'éducation et que leur fille Julie, est une "fille sage" grâce à
eux.
La sacralisation de la virginité féminine. Il faut "perdre sa
virginité" (j'utilise l'expression consacrée même si je ne pense pas
qu'elle ait de sens, par souci de clarté) avec un homme qu'on aime,
avec qui notre relation est "sérieuse", et surtout pas trop tôt. Tami
Taylor hurle à sa fille de 15 ans "tu n'es pas autorisée à avoir une
relation sexuelle", phrase gerbante, la mère décidant à la place de
la fille si elle est prête à ça. Cette phrase est de plus hurlée,
visiblement c'est la chose la plus atroce qui pourrait arriver à sa
fille, du sexe, Tami Taylor n'étant jamais montrée à nouveau dans un
état aussi violent de toute la série. La série donne ensuite raison à
la mère en nous montrant que Julie n'avait effectivement pas envie
d'avoir une relation sexuelle, la mère sait ce qui est bon pour sa
fille et a raison de vouloir la contrôler et contrôler son corps.
Bien, bien. Quand Julie perd effectivement sa virginité, on a de
longs plans a posteriori sur son visage extatique, on la voit
pouffer, toute la scène tend vers le bullshit niaiseux du "je ne
serais plus jamais la même, ça m'a transformé dans mon âme", bullshit
qu'on a pas eu quand son ami Matt avait perdu sa virginité
auparavant.
La culpabilisation des victimes : dans la série on a une tentative de
viol sur le personnage de Tyra, et des hommes bougeant comme une
poupée de chiffon une femme inconsciente. Les deux personnages sont
des persos de "bad girls", ça n'arrive pas aux "gentilles filles".
Pour la seconde histoire, c'est la fille qui est en tort selon la
série et le personnage de Tami Taylor. Celle-ci prononce par exemple
cette phrase horrible :
you let those boys do that to you.
Si des
hommes profitent de notre corps inconscient, c'est qu'on laisse des
hommes faire ça. Les hommes, ces espèces de robots, qui passent en
mode auto "prédateurs" dès qu'une femme est inconsciente, et qu'on
ne peut pas tenir pour responsable de leur propre comportement. Pour rajouter à ces immondices,
Tami organise un cours de prévention aux dangers de l'alcool, auquel
sont conviées uniquement les lycéennes. C'est donc clairement et
uniquement la faute des victimes : les hommes ne sont pas en tort
s'ils abusent des femmes et n'ont pas à être pris en charge,
questionnés, éduqués, les femmes par contre si elles sont abusées,
c'est de leur faute, parce qu'elles ont bu et, elles, il faut les
éduquer... Tami dit pendant ce cours que c'est "horrible de voir des
femmes inconscientes trainées par des hommes" à la victime, en
reproche. Ce qui devrait être horrible c'est de voir des hommes
abuser d'une femme inconsciente, plutôt, non..? A vomir. Dans la fin
de la dernière saison, Becky devient serveuse dans un club de
strip-tease, ce qui est problématique vu qu'elle est mineure. Mais là encore, la série slut-shame Becky et
la culpabilise elle, l'âge étant vaguement évoqué mais l'arc
important nous disant que Becky "vaut mieux que ça" tandis que son
petit copain la rejette.
- Le slut shaming : avoir des relations sexuelles c'est mal pour une
femme. Tami Taylor dit à une lycéenne qu'elle a surpris avec un
garçon qu'elle risque d'avoir une réputation, qu'elle ne pourra pas
aller à la fac, etc. Elle ne dit rien au lycéen en revanche. Un des
persos féminins principaux dit à cette lycéenne qu'elle ne "se
respecte pas" pour avoir mis sa culotte dans le casier d'un lycéen,
ce qui est tout aussi puant : pour commencer le respect à soi-même
n'est pas quelque chose qu'une tierce personne peut définir pour
nous-même, et on notera que cette expression est toujours utilisée
pour condamner des comportements sexuels de la part des femmes. C'est
en plus le seul traitement par la série qui est fait des "rally girl"
des femmes censées être à la disposition des joueurs de foot,
cuisiner pour eux, faire leurs devoirs, et subissent des pressions à
avoir des relations sexuelles avec eux. Il y a donc beaucoup à dire
du concept des rally girl, mais là encore, le traitement choisi par
la série, c'est que c'est leur faute, que ce sont ces femmes qui ne
se respectent pas, pas la culture du foot au Texas qui pose problème.
Super. On a encore du slut shaming avec Julie cette fois, elle est
alors majeure, qui couche avec un homme marié, et encore de la
violence éducative avec son père qui réagit terriblement à ça avec
par exemple la phrase extrêmement dure :
je ne sais plus qui est cette fille.
Il a aussi l'air de considérer que l'homme est coupable et a
profité de sa fille, bon pourquoi pas, mais dans ce cas là on
retourne sur de la culpabilisation des victimes vu son attitude avec
Julie.
La silenciation des victimes : souvent dans la fiction, quand une
femme est violée ou agressée sexuellement, sa souffrance est peu
traitée, voire pas traitée du tout, et c'est les hommes de son
entourage qu'on voit souffrir. A ce sujet voir ce très bon article en deux parties sur le site culturesgenre. Friday Night Lights ne déroge pas à la règle.
Quand un homme agresse et tente de violer Tyra, la souffrance est
vite reportée sur le perso de Landry Clarke, dans un plot où il tue
l'agresseur de Tyra. Du coup ce sont ses larmes, ses doutes, ses
angoisses qui deviennent importantes, et on a même un peu de victim
blaming en sourdine, parce qu'il nous est sous-entendu que sans Tyra,
Landry n'en serait pas là. Il est à noter aussi que le thème du viol
est traité en dehors de la culture du foot, et des joueurs, alors que
c'est un milieu où les hommes bénéficient d'une grande impunité à
violer des femmes (voir l'affaire de Steubenville) et que c'est
plutôt ce qui aurait dû être évoqué par la série. Ce n'est
effectivement pas son sujet, qui est de dire que le foot c'est
merveilleux, ça pousse les lycéens à donner le meilleur d'eux-mêmes,
ça peut les sauver, mais c'est fermer les yeux sur beaucoup de choses
que de choisir ce parti pris.
L'utilisation du perso du Nice Guy : un rappel sur ce qu'est le Nice Guy (c'est un
concept féministe, aussi ça ne recoupe pas totalement des réalités
individuelles, c'est un comportement global, et un profil qu'on
retrouve très souvent dans la fiction aussi, par exemple Xander dans
Buffy en est un) -> c'est le mec qui se trouve super gentil et qui
comprend pas que les femmes, ces salopes, préfèrent les connards
plutôt que lui. Le Nice Guy n'est en réalité jamais gentil envers une
femme de manière désintéressée mais uniquement parce qu'il veut
coucher avec elle : il pense aussi que les femmes lui doivent du
sexe, s'il est gentil avec elles, et que si elles ne sont pas
intéressées, c'est des salopes, donc. Landry Clarke est un Nice Guy :
est un connard envers Tyra, considère qu'elle lui doit du sexe,
considère qu'elle l'exploite la seule fois où elle lui demande d'être
gentil de manière désintéressée, etc. Il a également une tendance
chiante à tenter d'embrasser toutes les femmes avec qui il interagit,
sans s'être assuré le moins du monde de leur consentement, et à
pleurnicher quand elles n'apprécient pas en mode "je suis si gentil,
pourquoi les femmes ne veulent pas de moi ???". Bien sûr la série est
dans son camp à lui, et le présente comme "le mec gentil par
excellence".
Le traitement de l'avortement. Là il y a du bon aussi, mais du moins
bon. Il y a un avortement, et c'est extrêmement rare de voir ça dans
une fiction habituellement alors que les grossesses non désirées sont
un thème récurrent, c'est la première fois que j'en vois un moi par
exemple. Souvent les femmes gardent l'enfant, ou le problème est
évacué autrement que par un avortement : fausse couche ou le "en fait
elle était pas enceinte". On nous montre par contre la politique au
Texas sans la questionner, consistant à diriger la jeune femme vers
des institutions qui l'aideront pendant sa grossesse, et si elle
demande un avortement ne la rediriger que vers de la littérature et
pas vers une clinique : tout est fait pour plutôt décourager la femme
à avorter, voire ne pas mentionner cette possibilité. Le personnage
masculin nous est présenté comme plutôt légitime dans sa volonté de
prendre part à la décision de la femme mais heureusement dans le plot
de l'avortement, celle-ci prend au final la décision même si lui ne
veut pas qu'elle avorte. Il y a un peu insistance sur sa tristesse à
lui, ce qui est moyen. La femme nous est présentée comme en
souffrance, prenant la décision la plus difficile de sa vie, et
l'avortement comme un traumatisme (ça peut être le cas bien sûr mais
il y a dans notre société une injonction à la souffrance et on ne
voit pas d'autres discours), ce qui est problématique. Il y a aussi
cette idée que cette grossesse non désirée est une opportunité, et
que l'avortement est définitif, une porte qui se ferme, et qu'il faut
donc bien réfléchir. C'est un faux problème pourtant, rien n'empêche
la femme de tomber enceinte un mois plus tard si elle regrette sa
décision, la potentialité d'avoir un enfant pré-existe à une
grossesse, et celle-ci n'est pas une "occasion à ne pas laisser
passer" (sauf problèmes de fertilité par exemple, ou situations très
spécifiques). On nous montre ensuite les positions anti-choice/pro-life d'une
façon très négative, ce qui est bien, même si finalement le discours
pro-life se retrouve chez les pro-choice dans la série (parler de
bébé plutôt que d'embryon, ne pas accompagner une décision d'avorter,
freiner des quatre fers à cette décision...). Il est aussi dommage
que les pro-life soient dirigés par une femme dans la série, ce qui
tend à nous faire oublier que le pro-life est une volonté de contrôle sur le
corps des femmes cis au bénéfice de la classe "hommes" et qu'on entend plutôt ce
discours de la bouche d'hommes cis dans la réalité alors qu'ils ne
sont pas concernés directement. Il y a également une autre grossesse
non désirée qui ne débouche pas sur un avortement. L'homme veut à
nouveau persuader la femme de garder l'enfant et y parvient. C'est un
ancien joueur de foot, et il va voir le coach pour lui demander des
conseils sur comment persuader/manipuler la femme pour la faire
garder l'enfant, une démarche sympathique... Le coach n'est pas loin
de le féliciter, parce que d'habitude dit-il, "leshommesceslâches"
fuient la paternité (oui en même temps à 16 ans, on les comprend....)
: ainsi garder un enfant quand on adolescent-e, c'est la bonne chose
à faire pour le coach (qui est le perso principal) et avorter la
mauvaise, la lâche. La série n'est pas frontalement pro-life comme
certains de ses personnages, mais ce discours pollue tout de même le
message général.
Le traitement du racisme : L'un des coach racistes est au départ
désigné comme tel et on a quelques épisodes intéressants sur cette
thématique (la mère de Smash disant que réagir au racisme est détourné pour
donner raison aux racistes, et montre le piège dans lequel les
personnes noires se trouvent) mais il y a des gros
problèmes aussi. Le discours "je le connais bien, il est pas raciste,
c'est horrible ce qui arrive", qui tente de nous faire croire que le racisme est un problème individuel et non structurel, où la division raciste/non raciste a peu de sens. L'emphase sur la souffrance de ce type, et
l'"injustice" qu'il subirait alors qu'il a "un bond fond", rien à
foutre, mais c'est ce qui est central dans la série. Et malaise à la
conclusion de l'épisode avec la réconciliation où Smash doit limite
consoler le coach raciste et où on se rend compte que c'était
vraiment beaucoup à propos de ses petits feelings à lui.
L'hétéronormativité : Déjà car il n'y a quasi pas de personnages lgbp, ou
utilisés pour le comic relief (la maire, l'un des coach des Lions) ou
dont la sexualité est un obstacle pour un personnage masculin (Landry
dont les avances sont repoussés par sa bassiste, qui est lesbienne).
Cela passe aussi par le renforcement des rôles de genre, avec la conception du couple et de la famille où l'homme est le chef.
C'est très net surtout avec Eric et Tami qui est supposé être un
couple assez équilibré comme elle a un travail : mais nous avons un
cas d'école de la double journée des femmes avec Tami qui est seule à
s'occuper du bébé, des tâches ménagères, de la cuisine... Si Eric
finit par céder et par accepter de laisser passer la carrière de sa
femme avant lui en fin de dernière saison (il n'a pas vraiment le
choix s'il veut sauver sa relation avec Tami donc bon), il résiste
énormément au départ et se comporte comme un connard, alors que ça ne
change pas grand chose à sa carrière à lui. Enfin hétéronormativité
avec Matt et Julie, avec la déclaration de mariage classique, et
l'affligeante demande au père de la main de la fille (bien sûr,
objectification des femmes, et une femme appartient à son père avant
d'appartenir son mari). Le père pète un câble bien sûr et prétend à
nouveau prendre une décision au nom de sa fille, à gerber.
Malgré ça il y a donc de bons personnages : Smash, Tim Riggins, Billy et Mindy, un peu Matt, Jess, etc. Et de bonnes plot-lines aussi. Mais le ton global, les idées politiques relayées sont relativement gerbantes et c'est dommage.
N'en déplaise aux scénaristes, il n'est pas surprenant que Friday Night Lights soit une des séries préférées de Mitt Romney.