Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on ne pourra pas lui retirer ça : « Game of Thrones » a été LE phénomène sériel de la décennie 2010.
En termes d’audience, de budget, d’écho et d’impact, cette série n’a tout simplement aucun équivalent.
Je me souviens encore comment ça a monté – sans crier gare – au point de prendre de plus en plus d’ampleur, saison après saison.
Quelques chiffres en disent d’ailleurs long sur la mutation progressive de la saga : un budget qui passe de 60 à 150 millions de dollars pour une saison et des audiences américaines qui passent de 2 à plus 10 millions de spectateurs…
Des chiffres d’audience qui sont forcément trompeurs soit dit en passant, car ils ne comptabilisent pas tous les visionnages illicites, lesquels ayant pourtant grandement participé à la popularité de cette série.
Donc oui « Game of Thrones » est un phénomène. Et on ne pourra pas lui retirer ça.
La question que cela soulève malgré tout, c’est de savoir quelle série se cache derrière le mythe.
Qu’en garder aujourd’hui ? Et surtout qu’en restera-t-il demain ?
…Dit autrement : au fond, de quoi « Game of Thrones » est-il le nom ?
Pour ma part – face à pareille question – il y a une idée qui chez moi s’impose tout de suite.
Une idée sous forme d’expression.
« Game of Thrones », à mes yeux, c’est surtout une « série de son temps ».
Série de son temps tout d’abord parce qu’elle a su porter – et être portée – par une mutation majeure du média qu’elle incarne.
En effet, au début des années 2000, le monde de la série télévisée est en pleine explosion.
Les facteurs sont multiples : les conditions de visionnage à la maison montent considérablement en gamme pendant que les salles de cinéma montent quant à elles leurs prix et standardisent de plus en plus leurs productions.
La « Middle-class » américaine préfère encore se payer un abonnement à une chaine à péage proposant un catalogue riche et éclectique plutôt que d’avoir à payer les programmes à l’unité.
Sitôt le marché se développe que tous les grands groupes de l’époque se lancent dans la bataille.
Dans un tel contexte tout les coups deviennent alors permis – et surtout toutes les audaces –pour se faire sa place.
AMC, Showtime, la Fox et bien d’autres viennent titiller HBO sur le créneau qu’il a su se tailler.
…Et le créneau HBO, dans les années 2000 c’est un astucieux mélange entre dynamitage des conventions morales lisses d’un côté et exploration de l’autre des réalités crues ainsi laissées en friche.
Malaise social, tabous familiaux, non-dits, sexualité, questionnements sociaux…
Après tout, puisque les gens payent des abonnements il n’est désormais plus utile de faire des rendez-vous qui rassemblent tout le monde et qui ne clivent personne.
Ce qui compte désormais, c’est que chacun fasse son tri parmi ce qu’il veut voir et qu’il ne saurait trouver ailleurs.
Ainsi, d’une audace à une autre, HBO a su creuser son sillon.
De la crudité de la vie en cellule dans « Oz » aux guerres de familles mafieuses dans « Soprano » tout ce qui va faire l’identité de « Game of Thrones » est méthodiquement défriché, normalisé, popularisé jusqu’à l’avènement de cette série qui sera un « proto-GOT » : j’ai nommé la somptueuse série « Rome ».
Il n’y a d’ailleurs rien d’hasardeux à ce que HBO mette la main sur les droits d’adaptation des romans de G.R.R. Martin en janvier 2007, un an après la sortie triomphale de la saison 1 de « Rome ».
A cette époque-là, tous les voyants étaient au vert.
Le public comme la critique avaient totalement adhéré à ce mélange entre période ancienne, problématiques modernes et mœurs rugueuses.
De la politique, du sexe, du sang et du voyage : voilà une formule qui visiblement séduisait et dont « Game of Thrones » se devait d’être le noble continuateur.
Et quand bien même l’embrasement du budget de « Rome » fera exploser la saga impériale en plein vol, le regain d’intérêt du grand public pour l’heroic fantasy qui survient en parallèle – lié notamment à la récente sortie du « Seigneur des Anneaux » au cinéma – ne remettra pas en cause le projet.
Michael Lombardo, directeur des programmes d’HBO à l’époque, ne bougera d’ailleurs pas de sa position à l’égard de « Game of Thrones » : pour lui c’est un projet solide qui ne peut que fonctionner.
Et Lombardo avait raison.
Le terrain était finalement parfaitement préparé pour un succès de « Game of Thrones ».
Il y avait un public. Il y avait une culture d’installée.
En soi donc, le succès de « Game of Thrones » n’a rien de surprenant.
Ce qui a surpris, finalement, c’est plutôt l’ampleur de ce succès.
Car l’air de rien, avant « Game of Thrones », la culture de la série n’était pas encore pleinement installée dans les mentalités… En France, du moins.
Ceux qui s’étaient déjà laissés séduire étaient surtout des jeunes, instruits, amenés à occuper ou occupant déjà des postes de cadres, d’intermédiaires, ou de profession intellectuelle.
Tout le monde ne regardait pas forcément la même chose ; certains voyaient « Dexter » quand d’autres étaient plus « The Wire » tandis que face à eux persistaient les fidèles de « Walking Dead ». Et si parfois ces publics se croisaient (mais pas toujours), « Game of Thrones » a soudainement ramifié tout ce réseau autour d’elle.
Pourquoi elle et pas une autre ?
Eh bien peut-être parce qu’encore une fois, « Game of Thrones » a su être la série de son temps.
…Mais cette fois-ci pas seulement de son temps sériel.
Non. « Game of Thrones » a su également être une série de son temps social.
Parce que, d’accord, « Game of Thrones » c’est certes une belle épopée de fantasy avec de la politique, du sang, du cul et des dragons en prime. Mais c’est aussi autre chose que ça.
Et si sur le long terme je peux entendre qu’une bonne partie du public ne s’est sûrement embrasé que pour ce seul aspect – de la même manière qu’ils s’étaient laissé embraser quelques années plus tôt par les batailles épiques du « Seigneur des Anneaux » – il m’apparait important de souligner que la force et le succès de « Game of Thrones » a reposé aussi sur les piliers qui faisaient à l’époque une série HBO.
D’ailleurs, on l’oublie trop souvent, mais la première saison – qui reste d’ailleurs de loin ma préférée – ne contient aucune bataille épique ni aucun dragon cracheur de feu.
La première saison, c’est du HBO pleine barre. Rien de plus. Rien de moins.
De la pure à peine coupée…
…Là où se trouve – en tout cas pour moi – le vrai cœur battant de la série.
Car j’ai l’impression que certains l’oublient parfois : avant d’être le gigantesque blockbuster mainstream qu’elle a fini par devenir à partir de la saison 6 (on y reviendra), « Game of Thrones » était avant tout une série d’introspection.
D’introspection d’univers certes. Mais d’introspection de société aussi.
Parcourir de long en large les continents d’Essos et de Westeros, c’était avant tout parcourir des conditions et des individus travaillés par ces conditions.
La jeune Daenerys n’a pas demandé à se faire balader par son frère à l’autre bout du monde civilisé afin qu’on la livre en pâture à un vil seigneur de guerre, pas plus que Jon Snow n’a choisi d’être le bâtard de Ned Stark. Tyrion n’a pas demandé à être un nain pas plus qu’Arya a être une fille destinée à être mariée comme sa grande sœur…
Dans « Game of Thrones » chacun subit sa place quand bien même la défend-il bec et ongle.
Car on a beau ne pas apprécier sa situation que celle-ci n’en reste pas moins enviée par un autre.
Pire, elle peut être perçue comme un obstacle à ses ambitions.
C’est justement là que se trouve tout l’enjeu de cette « partie de trônes ».
Pour vivre dans cet univers il faut apprendre à survivre.
Et apprendre à survivre c’est comprendre au plus vite quelle est sa place, qui la menace, et auprès de qui trouver de l’aide pour la sécuriser.
Ainsi chacun pense que c’est en se rapprochant du trône des sept couronnes qu’on se protège le plus. Mais c’est aussi en s’en rapprochant le plus qu’on s’expose davantage aux convoitises des autres.
D’ailleurs être amené à s’asseoir sur le trône est finalement la pire chose qui puisse arriver, puisque c’est le souvent plus sûr moyen de mourir dans l’année.
Drôle de jeu donc que ce jeu de trônes.
Mais un jeu terriblement de son temps.
Un jeu dans lequel beaucoup peuvent s’y reconnaitre aisément.
Parce que là où « Game of Thrones » parvient à parfaitement s’inscrire dans l’air de son temps, c’est que ses jeux politiques sont purement cyniques.
Pas d’idéologie à servir. Juste des intérêts personnels à défendre.
La tempête climatique a beau monter du Nord et la grogne populaire a beau s’embraser au Sud, rien n’y change pourtant.
Chacun reste prisonnier de la terrible inertie de cette société sclérosée par ses jeux d’équilibristes entre forces divergentes.
Dans « Game of Thrones » ouvrir la discussion est souvent synonyme d’ouverture de sa garde et de signe de vulnérabilité. Toute main tendue dans ce jeu politique devient souvent une main tranchée.
Car les rares moments où l’adversaire s’expose sont trop rares pour qu’on ne soit pas tenté d’en profiter… Comme le jeune roi Jeffrey lors du pénultième épisode de la saison 1…
…Ceux qui savent se souviendront. (Et en garderont d’ailleurs une belle pointe d’amertume.)
Et si on s’identifie aussi facilement aux enjeux de « Game of Thrones » c’est aussi parce que cette série parle davantage de gens comme nous.
Alors certes, aucun de nous n’est roi ou seigneur – car il est vrai que la quasi exclusivité de ces personnages sont nobles – mais il n’empêche que chacun d’eux rompt avec les standards que les séries d’antan avaient eu tendance à nous imposer ; le genre de standard qui avaient généralement tendance à aboutir souvent vers de clones d’Orlando Bloom ou de Keira Knighley.
Et si dans « Game of Thrones » il y a certes bien un duo Orlando Snow et Keira Targaryan pour satisfaire nos attraits les plus lisses, tout autour d’eux il y a aussi et surtout toute une faune de singularités qui nous ressemble davantage : des nains, des bâtards, des femmes-soldats, des femmes violées, des estropiés, des couples incestueux…
Quand bien même chacun de ces critères est à lui seul une particularité dans laquelle peu se reconnaitront que malgré tout ils nous rappellent à une situation que nous partageons tous : le fait d’avoir à gérer une particularité socialement pénible et qu’il faut pourtant apprendre à trainer avec soi.
Et parce que la série passe son temps – du moins surtout en sa première moitié – à bâtir des personnages qui morflent, qui subissent et qui doivent apprendre à composer en permanence, « Game of Thrones » ne fait que capitaliser sur tout ce que HBO est parvenu à développer depuis son essor.
Le vrai cœur battant de la série, pour moi il est là.
Et d’ailleurs sur toute la première saison il s’est suffi à lui-même.
Néanmoins, cela ne veut pas dire que l’heroic fantasy n’a relevé que du détail esthétique dans le succès de cette série. Loin de là.
Moi le premier – pourtant peu enclin à ce genre d’univers – j’avoue que j’ai aussi été emporté par ce deuxième aspect de l’univers de la série… Ou – histoire d’être plus précis – j’ai été séduit par la promesse qu’il offrait, notamment au cours – encore une fois – de cette fameuse saison 1.
Parce que l’air de rien, durant toute cette saison 1, cet univers fantastique est clairement laissé en toile de fond, même si on rappelle régulièrement qu’il est là.
La série prend bien le temps de nous narguer – de montrer qu’elle peut se passer de cet aspect là de son univers – tout en contribuant à nous mettre en appétit.
En cela, cette saga a su (re)nouer avec une culture qui a malheureusement tendance à se perdre dans les épopées d’aujourd’hui : la capacité à faire monter la tension progressivement.
Et pour le coup j’ai d’autant plus accepté de patienter que la série savait m’en mettre autre chose sous la dent en attendant.
Ça a été d’ailleurs pour moi l’une des autres grosses forces de cette saison 1, typique des séries HBO de l’époque : cet art à superposer des arcs narratifs de tailles très variées ; certains étant appelés à se résoudre très rapidement (parfois dès l’épisode suivant) d’autres par contre annonçant un développement sur une voire plusieurs saisons.
Et à ce jeu là, l’air de rien, le tout premier épisode de cette série est tout de même un sacré exemple de réussite.
A la fin de l’épisode 1, Bran a été balourdé de la tour par Jaime. FORCEMENT, ça aura des répercussions immédiates dès l’épisode suivant dans les relations déjà tendues entre Stark et Baratheon / Lannister.
…Mais en parallèle – justement – on sent que cette tension entre les Stark et les Lannister risque de connaitre quelques soubresauts dans les épisodes à venir, comme au travers de la nouvelle place de Main que décide d’occuper Ned – et qui va forcément l’exposer davantage – comme au travers de cette relation naissante entre Jeffrey et Sansa qui apparait déjà comme source de nouveaux problèmes à venir…
…Et en parallèle de ça, cet épisode sait aussi nous installer les problématiques plus globales des Marcheurs blancs et des Targaryan ; problématiques qui sont visiblement vouées à s’étendre sur l’ensemble de la série…
...
Et l’air de rien, à cette habile gestion des arcs narratifs, cette saison 1 a su exploiter l’autre grande-force de l’écriture HBO : l’art du coup de théâtre.
Parce qu’en effet, il ne faut pas croire que « Game of Thrones » est la première série HBO a avoir usé de ce genre de péripétie pour dynamiser ses intrigues.
Quiconque a vu « Oz », « les Sopranos », « The Wire », « Six Feet Under », « Rome » ou « Breaking Bad » pourra en témoigner.
Néanmoins il faut savoir reconnaitre que, dans « Game of Thrones », cet art du coup de théâtre apparait comme sublimé.
C’est que, dans cette série, les enjeux de chacun sont tellement intriqués les uns aux autres que tout mouvement d’un d’entre eux entraine une chaine de conséquences sur tout le reste.
Mieux que ça, ces enjeux sont tellement nombreux et les possibilités d’aboutissement tellement multiples que tout apparait comme envisageable.
Ainsi, l’intrigue devient tout bonnement imprévisible.
Tout est possible. Tout peut arriver. Quelque-soit l’option qu’on envisage, on s’aperçoit vite qu’elle pourrait être intéressante à exploiter scénaristiquement parlant.
Ainsi la série a l’embarras du choix. Elle a le choix des rois.
Et c’est cette dimension là qui n’en rend que plus impactant les coups de théâtre que sait ménager cette série.
C’est d’ailleurs pour moi toute la force de la tragédie inattendue qui survient dans le pénultième épisode de la saison 1.
(La mort de Ned pour ceux qui seraient perdus.)
La rupture est d’autant plus explosive que la série avait bien pris la peine de nous faire saliver sur une autre voie possible.
(Ned aurait pu ne pas mourir. Mieux encore : Ned aurait DÛ ne pas mourir.
Cela faisait plusieurs épisodes que tous les camps en présence réfléchissaient à une solution – à un point d’équilibre – pour que tout ne vole pas en éclat.
Cette solution impliquait des sacrifices de la part de tous, maintenant une situation tendue et nécessitant pour chacun la réflexion à des stratégies futures.
Dit autrement : cette saison a passé son temps à nous faire saliver sur une situation qui finalement n’arrivera pas. Elle nous a montré que c’était une voie possible, riche d’évènements, et potentiellement jouissive pour le spectateur qui cheminerait au sein de cette intrigue. Mais non.
En tuant Ned, « Game of Thrones » accomplit un acte d’autorité inouï.
« Je viens de te montrer que je pouvais aller sur cette voie. Maintenant je te montre que je fais ce que je veux parce que des voies viables, j’en ai plein. »
…Le choix des rois.)
...
Et au fond le grand final de cette saison 1 fonctionne de la même manière.
(« Tu as vu à quel point c’était bien sans fantastique ? Eh bah maintenant on va rajouter des dragons dans l’équation. »)
Cette capacité à ouvrir en permanence son intrigue vers des horizons nouveaux, moi, c’est clairement ce qui m’a conquis.
C’est ce qui a expliqué d’ailleurs pourquoi, à la vision de ce dernier épisode, j’en suis venu à me lever de mon canapé tout en hurlant silencieusement devant l’écran. (Véridique).
Cette série a une telle capacité à faire des promesses et à démontrer qu’elle est capable de les tenir qu’elle acquière forcément une aura démesurée…
…Le problème c’est que – quand bien même était-elle parfois capable de les tenir – qu’elle ne l’a pas toujours fait.
Et voilà qu’arrive désormais le moment que j’aime le moins…
…Le moment où il va falloir expliquer pourquoi « Game of Thrones » n’a su rester au final qu’une simple série de son temps.
Car oui, en dix ans de production de « Game of Thrones », le paysage sériel a fini par changer.
Son public aussi a fini par changer.
Et ce qui devait arriver arriva.
« Game of Thrones » changea à son tour.
Et ça s’est fait selon moi en deux paliers.
Le premier survient dès le début de la saison 2 tandis que le second survient bien plus tardivement, dès le début de la saison 6.
Et si le premier m’a fait déchanter dans un premier temps avant de me faire relativiser, le second par contre a été pour moi bien plus dévastateur.
Ce second palier, c’est ce qui fait qu’aujourd’hui, je n’arrive plus à considérer « Game of Thrones » comme une série d’exception.
…Une série de mon panthéon.
Et franchement c’est dommage, car à bien tout considérer j’avais fini par accepter et relativiser la première brisure ; celle qui survient dès le début de la saison 2.
Et cette brisure au fond, elle est la conséquence de l’entrée du fantastique dans cette danse de glace et de feu.
Parce qu’en effet, avoir de l’ouverture scénaristique c’est bien, mais à en avoir trop, c’est vite synonyme de courants d’air.
Car le problème du genre fantastique, c’est qu’il s’affranchit des règles élémentaires.
Il créé de nouvelles possibilités, s’affranchit d’autres interdits. En d’autres mots, il rabat les cartes de la logique.
Aussi ce genre implique de nouvelles obligations, notamment pour satisfaire des gens qui ont l’esprit cortiqué comme le mien.
Parce qu’il se trouve que, pour ma part, je prends surtout du plaisir dans un univers quand on me laisse cheminer dedans. Je le découvre en cherchant à le comprendre. Et il me happe sitôt je cherche à l’explorer, à le modéliser, à l’anticiper.
Or s’il y a bien un tue-l’amour dans ce genre d’exploration, c’est la pensée magique.
Sitôt tout devient possible – non pas parce que la complexité des règles le permet mais plutôt parce qu’il n’y a plus de règles – que ça change la donne.
C’est ce que j’appelle le « syndrome Harry Potter ».
Quand Harry Potter manque brusquement d’être noyé dans une pièce sans porte et qu’il se rappelle soudainement qu’il connait un sort magique – soit pour respirer sous l’eau soit pour créer des portes où il veut – alors on se retrouve dans la plus pure des pensées magiques…
Or avec la pensée magique, il n’y a plus d’enjeu.
Tu te contentes juste de jouer au Monopoly en écrivant toi-même tes cartes « Chance »…
Et cette saison 2, ça commence à partir vers ça.
…Vers du « syndrome Harry Potter » pleine barre.
Bien sûr il y a un évènement de cette seconde saison qui incarne pour moi le début de cette dérive…
…Et cet évènement c’est la mort de Renly, tué par un fantôme vaginal engendré par Stannis et Mélisande.
A partir de cet instant là, les dés apparaissaient déjà comme totalement pipés. Toute la logique de l’univers et de l’intrigue vacillent.
Parce qu’après tout, qu’est-ce qui empêchait Stannis de culbuter autant que possible des sorcières rouges pour éliminer tous ses ennemis ? Rien.
Le fait-il ? Non.
Pourquoi ? On ne sait pas.
Avec un évènement comme celui-là, la série envoie un triste message – beaucoup moins convaincant que les précédents – et ce message c’est : « je te préviens, s’il faut que je torde la logique à mon service. Je le ferai. »
Et ça, chez moi, c’est clairement synonyme d’un saut au-dessus du requin dans « Happy Days »…
…Le fameux « Jump the Shark ».
Mais bon, comme dit plus haut, à la fin de cette saison 2, il y a encore moyen de relativiser le rapport qu’entretient cette série avec le fantastique.
Au fond, cette carte de la facilité, elle n’est vraiment utilisée qu’une fois au cours de ces cinq premières saisons.
De plus, elle laisse suggérer a posteriori que ce genre de recours pourrait avoir un coût, laissant ainsi la possibilité à la série de rééquilibrer ses règles.
Mais surtout, ce qui fait que la série se sauve malgré tout lors de cette saison 2, c’est qu’elle n’abandonne pas (encore) ce qui fait l’identité d’une série HBO, quand bien même cela se fait-il parfois au détriment du rythme d’ensemble.
Moi par exemple, la marche de Jaime et Brienne à travers Westeros lors de la saison 3, elle m’a gonflé tellement elle s’est étalée en longueur… Mais j’ai fini par l’accepter parce qu’elle a su aussi en parallèle nous faire découvrir plus en profondeur la situation du fils Lannister.
De même, j’ai trouvé l’exploration d’Essos par Tyrion et Jorah bien longue, plate et répétitive… Néanmoins, elle a su aussi être prétexte à la découverte de nouveaux lieux, de nouvelles atmosphères et de nouvelles situations…
A chaque fois un aspect a toujours fini par en compenser l’autre…
Et même si – à bien tout prendre – les saisons 2 à 5 ne m’offriront jamais le sentiment de maitrise et de complétude de la saison 1, l’équation finissait toujours par s’équilibrer.
Elle s’équilibrait certes parfois péniblement. Mais elle s’équilibrait quand même.
Il suffisait d’ailleurs parfois d’un seul coup de théâtre de génie pour réanimer toute une saison terne.
(Merci notamment aux Noces pourpres de sauver la saison 3)
…Et parfois même il suffisait d’un bon enchainement d’épisodes denses et pertinents pour que cette série me rappelle à ses qualités évidentes.
Pour ma part, la saison 4 est d’ailleurs celle qui avait fini par me convaincre et me rassurer. …Une saison qui m’avait presque persuadé qu’au-delà de ses irrégularités, « Game of Thrones » saurait mener sa barque jusqu’au bout, sans se trahir quand viendraient les moments-clefs de son cheminement.
…Si j’avais su.
« Une série de son temps » disais-je.
Pourquoi a-t-il donc fallu que cet adage se révèle aussi vrai, au fur et à mesure des saisons ?
Pourquoi a-t-il fallu qu’il y ait ce deuxième palier ; celui opéré par la saison 6 ?
…Celui du non-retour.
Pourtant ce n’était pas comme si personne n’avait vu le danger.
Ce n’était comme si personne n’avait conscience qu’à un moment donné il allait falloir prendre une décision cruciale.
Parce qu’en effet, au regard du rythme de parution des livres dont la série était tirée, viendrait forcément cet instant ; celui du rattrapage.
…ou plutôt celui du précipice laissé par G.R.R. Martin.
N’ayant plus d’ouvrage sur lesquels s’appuyer, la série allait devoir explorer seule.
Et quand bien même le vieux George serait toujours là en guise de conseiller technique que malgré tout les deux auteurs – David Benioff et Daniel B. Weiss – allaient se retrouver avec un immense pouvoir entre les mains…
…Celui de donner le « La » concernant l’accomplissement de cette saga.
Pour moi c’est là que tout s’est joué.
C’est là où « Game of Thrones » avait le choix.
Le vrai choix.
Celui des rois amenés à être canonisés plus tard, ou bien celui des souverains éphémères qui ne laissent pas grand-chose derrière eux.
« Game of Thrones » pouvait encore – à ce moment là – devenir une série hors du temps.
Mais malheureusement c’est l’autre choix qui a été pris.
…Celui de rester une série de son temps, quand bien même le temps était désormais au déclin et au manque d’ambition.
Saison 6. Episode 1.
Le tournant a eu lieu là.
Déjà la saison 5 commençait un peu à tirer la langue.
Le rythme se délitait, Tyrion perdait de sa verve, la situation stagnait.
Ce n’était certes pas la première fois que la série s’embourbait mais à chaque fois elle avait su se sauver in extremis grâce à un coup bien senti.
…Et le pire c’est que ce coup, le dernier épisode de la saison 5 avait su le faire !
Tuer Jon Snow, c’était clairement LE coup.
C’était le geste qui faisait que la série rappelait qui était le roi sur le trône.
« Vous aimez Jon Snow ? C’est le seul personnage auquel vous vous rattachez pour espérer une fin joyeuse ? Eh bah – bim – je vous rappelle c’est quoi le monde de "Game of Thrones". »
Il n’y avait qu’une seule chose à faire en ce début de saison 6 : assumer.
Ne pas se dédire.
Rappeler que, quoi qu’il arrive, l’intrigue sera toujours ouverte et intéressante…
…Et intéressante parce qu’ouverte !
…Mais non.
Saison 6, épisode 1. Le tournant disais-je.
La série s’est dédite.
Elle n’a pas osé. Elle n’a pas assumé.
A partir de ce moment-là la messe venait d’être dite.
Le requin sauté. Harry Potter est dans la place.
Saison 6, épisode 1 : « Game of Thrones » ne fera désormais plus jamais le choix de la radicalité.
La foule rassemblée autour du trône a soudainement effrayé le roi.
Weiss et Bienoff n’ayant désormais plus leur figure tutélaire pour les guider, ils se sont sentis nus. Ils n’ont pas su être à la hauteur. Ils se sont débinés.
Et alors que le peuple s’était justement rassemblé par goût pour la radicalité du monarque, voilà que celui-ci s’est mis à se déliter.
Dans la forme. Dans le fond.
Ne plus choquer. Jamais.
Tomber de si haut ferait si mal.
Donnons au peuple ce qu’il veut pour qu’il ne nous renverse pas.
Pire, donnons-lui ce qu’on pense qu’il veut…
Des batailles. Des dragons. Des morts…
...Jon Snow et Daenerys qui finissent ensemble.
Terrible prophétie que celle d’une série qui devient ce qu’elle dépeint.
Après l’arrogance des premiers succès voilà qu’une fois montée sur le trône du royaume des séries, « Game of Thrones » devient vulnérable…
…Et chute.
Alors pourtant certes, dans un premier temps, le dépérissement ne fut pas pour autant synonyme de désagrément.
Il se passe des choses dans cette saison 6, et on ne pourra pas lui reprocher de faire ce que « Game of Thrones » commençait à trop oublier : fermer des arcs.
Ainsi on apprend quand même des choses cruciales dans cette saison 6 ; des choses qui laissent leur marque pour celui ou celle qui a suivi assidument la série…
…notamment le fait qu’on apprenne les vraies origines de Jon Snow, des Marcheurs blancs, ou bien même qu’on en apprenne davantage sur les origines d’Hodor.
De la même manière, difficile de cracher sur l’évolution que connaissent certains personnages…
Je pense notamment aux parcours personnels de Jaimie, Cersei ou Arya, mais surtout je pense à celui de Sansa qui renverse d’une manière très intéressante son rapport aux hommes et aux jeux de pouvoir.
Malgré tout, au-delà de ces aspects, difficile de ne pas voir que le Mal gagne déjà.
Le seul épisode 1 a de quoi affliger en termes d’écriture et de mise en scène
(La résurrection de Jon Snow est notamment d’un je-m’en-foutisme assez ignominieux.)
C’est plat. Illustratif. Peu inspiré.
Les événements s’enchainent rigidement, sans effet d’ampleur.
Les dialogues échangent des évidences. Même le mythique Tyrion a le gosier tout sec… Et c’est d’une tristesse !
Et comme tout un symbole, la musique aussi finit par suivre la nouvelle donne.
Moins indentifiable. Plus lisse … Et pourtant cela ne l’empêche pas d’être davantage putassière lors des scènes d’action…
…Des scènes d’action d’ailleurs plus longues, moins lisibles. Et surtout moins logique.
La bataille des bâtards en est d’ailleurs une fort triste illustration.
Ainsi est-on contrait de se résigner à ça sitôt vient le moment d’aborder la dernière ligne droite de la saga…
…A du mainstream.
Alors entendons-nous bien : en soi je n’ai rien contre le mainstream.
Mais bon, il se trouvait qu’à présent, « Game of Thrones » n’était justement pas du mainstream.
Seulement voilà, parce que vouée à rester jusqu’au bout une série de son temps, « Game of Thrones » est devenue ce qu’elle n’était pas autrefois, et accepter d’affronter la dernière ligne droite c’est aussi se résigner à cet état de fait là.
Aussi le seul espoir qu’il peut encore rester aux fans de la première heure c'est celui d’espérer d’avoir AU MOINS du bon mainstream.
Et le pire c’est que, sur cet aspect là, la saison 7 a su tenir ce cahier des charges.
Parce que, l’air de rien, les choses se décantent ENFIN dans cette pénultième saison…
(Car oui la Khalessouille – après avoir fait vingt-trois tours sur elle-même – est enfin arrivée sur Westeros. Même chose pour les marcheurs blancs qui – après avoir visiblement fait sept fois le tour du globe avant de rejoindre le Mur – mènent enfin leur attaque.)
Et si d’un côté on peut se plaindre que les scènes de bataille durent parfois longuement, au moins, de l’autre, elles permettent d’asseoir l’idée et la sensation que – ça y est – c'est pour maintenant.
L’illusion aura donc su durer une saison (ce qui n’est pas rien), mais quand est malheureusement venu le moment de conclure – l’instant de vérité en somme – la série a payé cash la voix sur laquelle elle a fini par s’engager.
Parce qu’elle est là, la véritable malédiction des séries mainstream…
…Elles ne savent pas être à la hauteur des évènements.
Et elles ne savent pas être à la hauteur des évènements parce qu’elles n’ont pas de hauteur SUR les évènements.
Car conclure – surtout quand on conclut une telle saga – c’est s’interroger sur ce qu’on va laisser derrière soi.
C’est refermer une histoire. Un monde. Presque une vision.
Un propos.
Et le pire, c’est que sur le papier, cette saison 8 disposait d’une très bonne conclusion.
Cohérente. Astucieuse. Bouclant la boucle tout en laissant une ouverture totalement dans l’état d’esprit de la série…
A bien y réfléchir je trouve même que la série disposait là d’une EXCELLENTE conclusion…
…Du moins sur le papier.
Et c’est vraiment là qu’en tant que série de son temps, « Game of Thrones » m’a personnellement fait le plus de mal.
Parce que quand bien même Bienoff et Weiss avaient la solution sur le papier – surement soufflée par ce vieux sage de Martin – il a fallu que les deux rois froussards se délitent jusqu’au bout.
Il a fallu qu’ils n’assument rien – même au moment le plus crucial - et qu’ils se cachent jusqu’au dernier instant derrière le choix de la sécurité / du cahier des charges / du fan service…
Oui, pour le dire autrement, il a fallu que le duo Bienoff et Weiss fassent le choix d’une « Marvelisation » de la fin « Game of Thrones ».
…Série de son temps jusqu’au dernier instant.
Pourquoi « Marvelisation » ?
Eh bien déjà Marvelisation pour cette manière cataclysmique d’avoir géré le temps.
Six épisodes pour cette conclusion : les deux premiers s’étalent sur une heure quand les quatre suivants durent 1h20.
En tout Bienoff et Weiss disposaient donc de plus de sept heures de programme… Pour en faire quoi ?
De l’attente. Du commentaire. Puis de la grosse bataille numérique, absurdement spectaculaire et illogique. Avant de rebasculer dans le commentaire puis à nouveau dans la bataille numérique, absurdement spectaculaire et illogique…
Et oui j’insiste sur les termes. Notamment sur les derniers.
Oui ce final est absurdement spectaculaire. C’est moche à lire et dire, mais c’est malheureusement la plus triste des vérités. Ces batailles n’ont tout simplement pas de sens.
(Qu’on m’explique par exemple la stratégie de la bataille de Winterfell contre les Marcheurs blancs… Le but c’est de tendre un piège à leur chef en exposant Bran dans la cour… Alors dans ce cas pourquoi décider de perdre toutes ses forces et tous ses hommes pour empêcher ledit chef d’atteindre Bran ? …Idem, pourquoi cette charge à l’arme enflammée quand on sait que la seule arme qui tue les marcheurs, ce sont les lames de verredragon ?
Tournez ces questions dans tous les sens que vous voudrez, la seule réponse qui tienne la route c’est : « parce que c’est spectaculaire. » Rien dans cette bataille n’a de logique. Mais parce que c’est spectaculaire, on le fait.
Et au fond c’est la même chose qu’on nous serre concernant la bataille de Port Réal. Daenerys a bataille gagnée, elle n’a pas de réelle raison de péter un câble – surtout au regard de ce par quoi elle est passée – mais bon… C’est spectaculaire. Et surtout ça permet d’arriver à la conclusion voulue… Donc voilà voilà quoi…)
...
Au final beaucoup de temps perdu donc.
Du temps perdu à voir des batailles irréalistes, pas tres jolies, et qui plus est baignées dans des musiques au mieux putassières et au pire totalement hideuses (le dernier tiers de l’épisode 3 est une horreur sur cet aspect-là)…
Du temps pendant lequel on ne prend pas la peine de creuser des enjeux, d’amorcer des tensions, d’anticiper l’après…
Quand un personnage parle dans cette dernière saison c’est pour dire littéralement ce qu’il pense, sans ambigüité aucune ; c’est pour marteler au pilon ce que les auteurs veulent bien nous faire comprendre ; c’est même parfois pour chanter… (Oh par tous les dieux… Ils ont osé.)
Tout ça pour se retrouver avec un dernier épisode ramassé. Là où tout se trouvait.
Là où il y avait tous les éléments pour faire une grande fin mais qu’on a finalement saccagé, faute de temps, de choix pertinent, de talent…
Parce que oui – j’insiste – cette conclusion, moi, je la trouvais sur le papier vraiment intéressante. Totalement censée et cohérente. Une conclusion qui faisait le job…
Sa grande force à cet épisode, c'est qu'il a l’intelligence de ne pas se penser autour d’une grande bataille à la « Star Wars ». Au contraire, il a la pertinence de penser à l’après.
Il pose d’ailleurs une esthétique qui – pour une fois dans cette saison – vient enrichir l’univers global de la saga.
De même, en faisant tuer une Targaryan de la main d’un nouveau kingslayer qui sera autant aimé qu’haï pour ce geste – et permettant ainsi l’ascension d’une nouvelle famille sur le trône – cet ultime épisode parvient à boucler fort astucieusement la boucle.
Un peu comme « The Wire », il y a cette idée qu’au fond tout ça a conduit à changer les gens de place mais sans pour autant changer le système qui les broie, ce qui aboutira certainement, quelques années plus tard, aux mêmes conséquences.
A bien la considérer d’ailleurs, cette conclusion aurait pu être encore plus impactante si elle avait su faire un choix plus pertinent concernant la menace des Marcheurs blancs.
Si les Marcheurs blancs n’avaient pas été vaincus à l’épisode 3 mais seulement repoussés, l’impression de « retour au point de départ » aurait été décuplé, renforçant toute la dimension cynique de cette gigantesque épopée…
…Et en plus de ça, ça aurait donné du sens au fait que Jon retourne au Mur. (Parce que bon, s’il n’y a plus de Marcheurs, à quoi bon monter la garde ?!)
Seulement voilà, entre le papier et le produit fini, Marvel est passé par là.
Et à vouloir absolument coller au cahier des charges d’une série Marvel, la série ne parvient même pas à tirer le plein parti de la conclusion qu’elle pose.
Pire, les fautes de mise-en-scène en désamorcent totalement l’impact au point même parfois de produire certains contresens.
Une transition mieux réussie de Daenerys aurait davantage donné d'ampleur à cette conclusion.
Même constat concernant l'élection de Bran qui n'est pas absurde en termes de dramaturgie mais qui est par contre très mal amenée, se concrétisant qui plus est par une scène longue, bavarde et statique.
De même, le fait qu’on connote trop positivement ce final, comme si tout rentrait dans l’ordre sous le règne de Bran the Broken, réduit l’ambiguïté réelle du propos.
Cette foutue réalisation enjolive trop les choses si bien que la dimension « happy ending » est surappuyée par rapport à celle qui démontre qu'au fond la « roue » n'a pas été brisée.
...
Alors après – soit – on peut aussi considérer que cette dernière saison fait malgré tout le job.
Après tout les audiences ont explosé…
Après tout l’intrigue reste suffisamment ouverte pour permettre des spin offs et autres produits dérivés du même genre…
…Après tout chaque épisode a su faire ce qu’on attendait de lui au moment de sa diffusion : le show.
N’y a-t-il pas eu des bars plein à craquer ; hurlant et pleurant en voyant la bataille de Winterfell comme s’il s’agissait d’un match de foot ?
Ces gens là n’étaient-ils pas contents ?
N’ont-ils pas eu leur pic d’émotion l’espace d’un instant ?
Bien sûr qu’ils l’ont eu. Et surement certains s’en souviennent encore.
Peut-être même que d’autres prétendront n’avoir jamais connu quelque-chose d’aussi fort avec une série.
Certes…
Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Que reste-t-il à celui qui revoit la série aujourd’hui ?
Que reste-t-il à celui qui la découvre dix ans plus tard, en dehors de la hype de l’instant ?
Il y a-t-il toujours autant matière à s’extasier ?
Est-ce que ça valait la peine de gâcher une conclusion plus travaillée dans le propos afin de permettre un instant comme celui-ci ?
Pour ma part je pense que je n’ai même pas besoin d’exprimer quelle est ma position.
Pourtant je le fais quand même. Presque comme un besoin.
Pour moi c’est non.
Trois fois non.
Non d’abord parce que « Game of Thrones » a beau être une série de son temps qu’elle ne méritait pas pour autant d’être une série de l’instant. Et c’est ce à quoi cette conclusion l’a réduite à mon grand désarroi.
Non encore parce qu’à un moment donné, rompre avec certains principes fondateurs de la série c’est trahir. Or « Game of Thrones » a été une série de complots et de manigances avant d’être une série de bataille et de spectacle. Et sitôt le deuxième aspect efface le premier que cette logique de transfiguration a perdu toute sa légitimité.
Et un dernier non parce que « Game of Thrones » ne méritait pas ça.
« Game of Thrones » méritait d’être une série d’un temps : celui de l’âge d’or.
Mais là, à bien tout prendre – jusqu’à cette saison 8 – « Game of Thrones » aura fini par incarner autre chose, presque malgré elle.
Un autre temps.
Celui du déclin.
Car alors que vient le moment de conclure, une question se pose et s’impose.
Cette question c’est forcément celle du début.
En fin de compte, de quoi « Game of Thrones » est-elle le nom ?
Eh bien – si on prend bien la peine de tout considérer – « Game of Thrones » c’est un petit tout à la fois ; pour ne pas dire tout et son contraire.
C’est à la fois l’audace et à la fois la lâcheté.
C’est à la fois le raffinement et l’égout.
C’est à la fois le roi et la putain.
Je pourrais m’en attrister…
En fait je m’en attriste encore un peu et vous dire le contraire serait malhonnête.
Oui je m’attriste encore un peu qu’on soit passé d’un monde de sénateurs romains à un monde d’Avengers ; que Tyrion soit passé de la manigance au chant ; mais aussi qu’on soit passé des morts marquantes aux morts qui n’en sont plus vraiment…
Malgré tout je me rends tout de même compte qu’avec le recul je m’en attriste moins.
Alors certes, je m’en attriste peut-être aussi moins parce que je n’ai pas revu la série depuis.
Mais je pense que ma tristesse s’est également atténuée parce que je considère au final qu’il y a dans le sort de cette série quelque-chose qui relèverait presque de l’heureux accident…
…De la qualité malgré soi.
Parce qu’en effet, à bien tout prendre « Game of Thrones » est devenu ce dont elle parlait depuis le départ.
Elle est devenue l’incarnation même du cynisme.
Une mécanique mue par aucun propos, aucune idéologie.
Un objet qui a fini par devenir un marcheur froid avançant parce qu’il fallait bien avancer et qui s’arrête brutalement, sans gloire, sans génie, sans effet, poignardé par un esprit juvénile au service d’un plaisir éphémère.
A la fin ne reste que des cendres, d’où rejaillira peut-être un jour un nouveau monde, un nouveau cycle qui lui aussi finira par périr dans le cynisme le plus rude.
Alors oui, définitivement « Game of Thrones » est une série de son temps.
Terriblement.
Elle est même carrément l’incarnation de son temps.
Pour le meilleur comme pour le pire.
Et c’est cela qui, avec le recul, en ferait presque un objet aussi difforme que fascinant.