Gareth Evans est un génie du cinéma d'action.
C'est non seulement un cinéaste doué d'une précision de mise en scène rare mais également un sacré dénicheur de talents. Après tout, c'est lui qui a fait découvrir au monde le fantastique Iko Uwais !
En 2020 il nous revenait avec un tout nouveau projet, une série mafieuse, suite logique de tout son travail. Après nous avoir raconté un raid policier en milieu urbain dans The Raid et le monde de la pègre indonésienne dans The Raid 2, il nous revient avec un récit de gangsters ample, doublé d'une histoire de famille.
Rien de bien original en soi, nous sommes d'accord. Ce qui fait toute la différence, c'est la patte d'auteur d'Evans et sa vision de l'univers mafieux.
Car les films d'Evans, ses réalisations comme ses scénarisations, sur le crime organisé ont tous un dénominateur commun, à savoir nous le présenter comme un monde de sauvagerie et de brutalité presque animale, où la fin justifie les moyens, et les moyens sont généralement tranchants ou contondants. Ses protagonistes ont beau se donner les apparats du luxe et de l'intelligence, ils ont beau faire de grands discours sur le business et l'importance de la famille, un à un, les masques tombent. L'illusion de civilisation se dissipe et dévoile la rage et la bestialité tapis dans l'inconscient, nous donnant à voir qui ces hommes et ces femmes sont vraiment, à savoir ni plus ni moins que des barbares.
Cette volonté de déglamouriser son propre genre transforme le cinéma d'action d'Evans en boucherie à ciel ouvert. Chaque personnage y est une carcasse qui attend son tour pour se faire dépiauter. Et je trouve ça rafraichissant de ne pas tomber dans le piège d'iconiser à outrance des personnages aussi infects et détestables.
Cela ne veut pas dire qu'il approche ces histoires avec cynisme, car le cinéaste garde un attachement profond à ses héros, des figures de bons gars que la violence ambiante va abimer et progressivement contaminer,et ils ne pourront compter que sur leur force et leur volonté pour s'extraire de la fange et tracer leur chemin entre les montagnes de cadavres vers une lueur d'espoir. Une figure qu'incarne magnifiquement Sope Dirisu, acteur principal et grosse révélation pour le cinéma d'action. On sent au visionnage de la série que s'il n'est pas nécessairement formé aux arts-martiaux, c'est un comédien appliqué et impliqué qui travaille en étroite collaboration avec le chorégraphe, les réalisateurs et les cascadeurs pour donner la meilleur performance physique possible. Sope Dirisu impressionne autant par le charisme qu'il dégage que par l'incroyable fluidité avec laquelle il exécute ses cascades. On n'a jamais l'impression d'un acteur qui récite sa chorégraphie, mais d'un authentique bagarreur.
Ses scènes de combats sont bien aidées par la mise en scène. Les deux épisodes réalisés par Gareth Evans sont bien évidemment des pépites bourrées d'idées de plans incroyables, qui gèrent la tension, le rythme et la violence avec une précision chirurgicale. Visionnez l'épisode 5 de la saison 1, c'est une leçon de mise en scène.
Car oui, disons-le, Evans est un excellent cinéaste d'action. Il combine des plans à la composition parfaite avec des scènes d'action extrêmement crues et nerveuses filmée caméra à l'épaule et découpées avec un grand soin. Dans son cinéma, les combats ne visent pas à mettre KO mais à détruire physiquement l'adversaire, avec le plus de sang et d'os brisés et un travail du sound-design qui te faire ressentir chacun des coups. La baston chez Evans est toujours jouissive, elle nous fait nous accrocher à nos sièges, nous met dans un état de tension assez dingue tout en nous offrant la satisfaction des chorégraphies bien composées et bien exécutées. Des qualités qu'on retrouve dans Gangs of London et qui comme dans tous les films d'Evans appuient sa démarche d'un univers criminel sans foi ni loi.
Gangs of London est donc une série mafieuse portée sur le thème de la famille. Vous connaissez la recette, ça fait jeux de pouvoirs, trahisons, taupes, business vs famille, frère de sang vs frère spirituel,... Mais Evans traite tout cela principalement sous l'angle de l'héritage. Peut-on transmettre le trône d'un gang ? Cela ne revient-il pas à transmettre la violence, à en faire les fondements-mêmes de cette sacro-sainte famille ? Peut-on conserver sa famille alors qu'on est un barbare assoiffé de pouvoir et de sang qui ne veut rien devoir à personne ? Tout est affaire de transmission, et dans ce monde de criminels, elle est presque systématiquement fatale. Car ce qui compte le plus, c'est le business, l'argent, le pouvoir. Un pouvoir écrasant, absolu et complètement fou qui transforme les hommes en bêtes, et qui trouve une incarnation autant métaphorique que concrète avec les fameux Investisseurs, augures en costards de la fin d'une ère criminelle qui laissera la place à une nouvelle, plus corporatiste.
Tout cela est bien beau, mais est quelque peu gâché par sa saison 2. Il est évident à son visionnage qu'Evans était bien moins impliqué dans le processus créatif, sans doute trop occupé avec son projet de film avec Tom Hardy (un sacré flair, je vous dis). Je ne dirais pas qu'elle est mauvaise, mais qu'elle a fait des choix douteux.
On s'attendait bien sûr avec cette saison à une guerre ouverte entre les gangsters et les Investisseurs, ce qui est un peu le cas, mais la série finit bien vite par se recentrer sur un conflit entre gangs comme dans la saison précédente, ce qui crée une désagréable impression de redite, qui n'est d'ailleurs pas aidée par le pire choix scénaristique : Le retour de Sean Wallas. Autant je trouve que le développement fait du personnage est intéressant (même si on a l'impression qu'ils répètent sur 6 épisodes ce qu'ils avaient déjà si bien raconté sur 4 dans la saison 1), autant je regrette que la série n'ait pas assumé sa radicalité en le laissant mort à la fin de la saison 1. C'était osé de tuer comme ça l'un des personnages principaux, mais c'était très bien amené et cohérent avec son parcours. Ici, son retour ressemble à une résurrection clichée de série télé des années 90. Ils nous refont le même coup plus tard avec Lale, où j'avais trouvé particulièrement osé de la supprimer à ce moment précis, moment gâché par une pirouette scénaristique en fin de saison, qui certes me fait plaisir car le personnage est très cool et l'actrice très douée pour la bagarre, mais qui n'a aucun sens dans la logique de l'histoire (donc ce mafieux turque psychopathe tient à sa merci la femme qui a tué son fils et a manqué de le tuer et... en fait une associée ?). En fait, cette saison 2 me donne l'impression qu'elle n'assume pas la radicalité qu'implique un tel univers. On ne peut pas annuler la mort d'un personnage dans une série qui parle de nos actes et de leurs conséquences dans un monde qui refuse tout faux pas quel qu'il soit, et la saison s'achève avec finalement bien peu de morts au compteur, même pas Sean, alors que ç'aurait été le moment parfait ! Par contre, ne comparons même pas les épisodes finaux des deux saisons, là par contre ça va me briser le cœur...
Car si encore ça n'était que l'écriture, mais c'est également au niveau de la mise en scène que ça pèche. Beaucoup, beaucoup trop d'images de synthèse hyper-voyantes, notamment le faux sang et les impacts des coups qui sont particulièrement mal faits. Autant les affrontements mano à mano sont toujours assez réussis de par leur crudité et leur nervosité, autant les fusillades sont plus que moyennes. Comparez la scène de l'attaque du camp de gitans de la saison 1 avec les fusillades de la saison 2, en terme de découpage, de cadrage, de rythme et de brutalité, vous verrez immédiatement que cette deuxième saison a de vrais gros problèmes. Et encore, la plupart des épisodes a été réalisée par Corin Hardy, déjà à l’œuvre dans la saison 1 et qui nous prouvait alors que ça n'est pas parce qu'on a filmé La Nonne qu'on est condamné à être un réalisateur de merde. Sans doute qu'en saison 1, il pouvait émuler le style de Gareth Evans qui réalisait également, là il n'a plus de modèle et ça le dessert grandement. Mais encore une fois, il est très compétent. De manière générale, la mise en scène de cette saison 2 a l'air d'avoir été pensée comme une mise en scène de série télé, à savoir fonctionnelle avant tout, l'esthétisme devant courber l'échine devant l'histoire et le nombre d'épisodes produits. Une logique qui fait d'autant plus mal au cul dans une série créée par Gareth Evans. Je vous ai dit que j'étais fan de Gareth Evans ?
C'est peut-être ce qui ressort le plus de cette série : Gangs of London est la création d'un auteur. Elle porte la vision d'un cinéaste qui a des choses à dire sur le thème qu'il investit et qui va donner à lui tout seul, dès le premier épisode, tout le bagage esthétique et thématique qui fera l'identité de la série. Privée de sa tête pensante, celle-ci, tout en restant qualitative, perd en identité et ressemble à une centaine d'autres histoires mafieuses, et ses tentatives d'émuler son créateur deviennent pataudes, fades, jamais désagréables mais faciles.
Evans est malheureusement indépassable sur son propre terrain, et je n'ai aucune idée de comment cette saison 2 aurait pu être meilleure sans lui.
Dans tous les cas, Gangs of London reste une série très qualitative. Sa saison 1 peut se suffire à elle-même, donc vous pouvez vous arrêter là. Sachez que vous en prendrez plein la vue et que vous en aurez pour votre argent. Si vous souhaitez poursuivre pour découvrir la suite des aventures des personnages, attendez-vous à quelque chose de moins bien structuré, de moins maitrisé au niveau technique, un ensemble d'épisodes qui a du mal à former un tout cohérent. Bref, n'ayez pas d'attentes trop hautes.
Vive Gareth Evans, vive le cinéma d'action, meurent les mafieux avec des éclats de verre dans la gorge.