De temps en temps, et peut-être même de plus en plus souvent, la politique de l'arrosage tout azimut de Netflix porte ses fruits, et "Giri / Haji", série britannique sous très, très forte influence nippone peut être considérée comme une véritable réussite, pour peu que l'on ferme les yeux sur quelques invraisemblances scénaristiques et quelques affêteries formelles inutiles. Pas grand-chose en fait par rapport à la puissance émotionnelle d'une très belle histoire policière, écartelée entre deux lieux (Londres et Tokyo), qui vire rapidement à la tragédie familiale, un peu à la manière des grands films de James Gray, si l'on veut...
Bien sûr, la recette est des plus risquées, qui jongle avec les décalages culturels, générateurs de malentendus et de conflits (souvent amusants, d'ailleurs...) autant qu'avec les genres (du film de yakuzas avec ses codes réjouissants au drame sentimental, en passant même - lors d'une pré-conclusion littéralement sidérante - par le film de ballet !). Pour faire tenir le tout debout, et nous faire avaler de redoutables ruptures de rythme, puisqu'après un démarrage pétaradant et un très beau quatrième épisode en flashback, la série choisit la quasi-immobilité jusqu'à un final assez culotté dans ses tonalités dépressives, il faut une sacrée combinaison de talents : des acteurs superlatifs (Yosuke Kubozoka dégage un charisme renversant, clé de la crédibilité d'une histoire qui tourne seulement autour de lui, Kelly MacDonald est une nouvelle fois bouleversante, Will Sharpe est constamment drôle et poignant en prostitué flamboyant,... mais il faudrait citer chaque acteur, tant tous les seconds rôles sont soignés...), une réalisation impeccable, magnifiant aussi bien les gun fights que les moments atmosphériques ou sentimentaux, et surtout un scénario qui ménage suffisamment de surprises pour accrocher le téléspectateur sans pour autant tomber dans le twist à outrance, ou bien la liquidation systématique de personnages importants (... même si ...).
Alors oui, certaines audaces formelles, comme les passages dessinés - malheureusement trop vite réservés à la récapitulation en début d'épisode -, ou le split screen (multiple, horizontal) - qui n'apporte pas grand-chose -, ou encore le changement de format d'écran et le passage au Noir et Blanc - pas forcément cohérents en termes de temporalité - s'avèrent soit gratuites, soit sous-utilisées, nourrissant des regrets quant à une forme encore plus sophistiquée qui aurait aidé "Giri / Haji" à sortir encore plus du lot.
En l'état, nous voilà déjà devant un mélange de genres assez inattendu, oscillant entre rires, tension et larmes, sans prôner une efficacité systématique qui risquerait de le déshumaniser : une réussite, dont on espère même qu'elle aura une suite...
PS : A noter le titre curieux - car son lien avec le scénario est des plus ténus - de la série : "Giri / Haji" met en opposition deux termes réputés pour être intraduisibles car recouvrant des concepts excessivement japonais. Ce sens du devoir ("Giri") qui devient une obligation génératrice d'humiliation, et cette honte ("Haji") que l'on ressent en public sont deux marqueurs indiscutables du fossé culturel entre l'Occident et l'Empire du Soleil Levant, et sont probablement brandis par la série comme symboles de ce grand écart douloureux qu'effectuent ici les personnages principaux, et qui mène tout droit à la tragédie.
[Critique écrite en 2020]
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