Anno Santo, l'aube d'un génie de la japanimation
Quel fiel cynique de nombreux petits malins n'ont-ils pas bavé sur Gunbuster et ses casseroles gentiment ringardes, ces vingt dernières années ? Un désuet objet d’adoration pour irréductibles otakus puristes qui ne se seraient pas remis de la fin des années 80…
Le premier épisode de l’anime est une parodie explicite, mais réservée aux initiés, des séries sportives de l'époque, et surtout de l'anime de tennis Aim to the ace (Ace wo nerae), la référence est d’ailleurs pafaitement explicite dans le titre japonais de l’épisode : "Toppu wo nerae" (Aim to the top). Exposé brutalement à la vue du gringo, le spectacle a de quoi dérouter : ses méchas-majorettes qui font des pompes ou gémissent sur un ton d’adolescente émoustillée, ses futures combattantes de l’espace se livrant à des intrigues de cour de collège, son recyclage des pires clichés de l’époque (pop bruyante, bôgosse à ray-ban, rire machiavélique de la vilaine camarade jalouse, etc.) sont autant d’éléments voués à décrédibiliser d’entrée de jeu le potentiel dramatique auquel un tel titre doit prétendre. Cerises sur le gâteau, les tenues légères des "étudiantes" (maillots comme uniformes et décolletés généreux), tout comme la "fameuse" scène du bain de l’épisode 2, illustrent un fan-service pépère qui ne laisse rien augurer de bon (2). Malgré la remarquable qualité de son animation et de son score, un des plus inspirés de la japanimation (de Vangelis à Brahms), l’"enfance" de Gunbuster tend un sérieux bâton à l’amateur blasé. On retrouve même un premier degré suicidaire – s’alliant mal à la parodie, et un pathos facile rappelant les moins bons films de Spielberg, du deuxième Indiana Jones à Hook…
On craint vite que vendue avec ces arguments, l'histoire du canard boiteux qui s’émancipe héroïquement, filon riche mais fatigué, ne manque plus seulement d’originalité. Il importe ceci dit de replacer Gunbuster dans son contexte. Certes, les scènes de transformation des méchas sont dans la veine de ce qui se faisait à l’époque, soit d’un kitsch borderline. De la même façon, les situations convenues, que Gunbuster enchaine comme autant des clichés précités, pourraient inciter à la critique. Seulement, lorsque l’anime est l’initiateur même d’une partie de ces futurs "clichés", les juger hors contexte deviendrait malhonnête. Leur approche radicalement graphique rappelle le caractère pionnier de l’anime, en tant que première réelle célébration d’un genre encore jeune à l’époque.
> Le naïf magnifique
Il est sûr que faire cohabiter un récit de guerre universelle avec les états d’âme d’une adolescente pleurnicheuse était un pari risqué si l’on ne se contentait pas de viser un public de midinettes… et si l’on traitait la (lourde) tâche à la légère. Le pari a été tenu et la tâche sérieusement investie, si bien qu’à défaut d’avoir pris la voie d’un tout-parodique un peu vain (le premier épisode suffisait), il en découle un premier degré qui s'avère vite la condition sine qua non pour apprécier Gunbuster, objet audiovisuel peu enclin à la demi-mesure.
Le postulat de départ, traité au premier degré, prête fatalement une sorte de brillante naïveté à l’anime, qui n’est autre que celle de Noriko, dont le récit épouse le point de vue, sauf rares digressions, comme dans E.T. pour rester chez Spielberg. Gunbuster est donc naïf et romantique. Mais le déconsidérer en raison de sa naïveté reviendrait à critiquer, par exemple, La Reine Margot de Patrice Chéreau sous prétexte que sa violence est trop picturale, alors que c’est précisément ça, l’idée. La naïveté est une composante essentielle de l’émotion qui y est générée.
Le romantisme est général. Ce n’est pas qu’une question d’amourettes juvéniles. D’abord, d’un point de vue strictement dramaturgique, Gunbuster ne se démarque pas de la culture feuilletonesque japonaise, friande en relations complexes, parfois tragiques et inattendues entre les personnages : le coach de Noriko n’est autre que le dernier homme à avoir vu son père avant que ce dernier ne meure héroïquement ; Azumi voue audit coach un amour destiné à une tragédie attendue… Ensuite, on peut le voir comme un anti-Planetes (3) : l'espace n'y est pas traité dans un souci de réalisme, mais plutôt comme un champ dramatique exclusivement voué au spectaculaire du fond et de la forme, épique. A l'approche socio-réaliste et adulte des Ailes d’Honnéamise (4) est privilégié un symbolisme qui excuse toute simplification, du b.a.-ba de l’espace au postulat de base improbable selon lequel des gamines peuvent être recrutées pour défendre l’humanité.
Néanmoins, Gunbuster étant une conception à 100% otaku et le produit d’une époque où le préformaté n’avait pas encore remplacé la cogitation passionnée (Akira venait de sortir), il se devait de traiter l’univers infini avec l’intérêt minutieux caractéristique de l’otaku légendaire. L'approche n'est certes pas celle d'un amateur de hard-science, mais celle d'un scénariste malin adaptant du mieux qu’il peut son goût pour les récits héroïco-tragiques au cadre spatial. Ainsi on est agréablement surpris par l’usage de la théorie du "Warping" et d’une poignée d’autres détails qui ne dénotent aucune connaissance du sujet, mais une curiosité studieuse tout à fait bienvenue. Le prologue de l’épisode 3, cours express de physique quantique sur fond de karaoké alcoolisé, sert même un des grands thèmes de la série, ce "dévoreur de temps" que constitue l’espace… ainsi que l’émancipation progressive d’un réalisateur encore méconnu.