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Une véritable amie (ou la fabrique d’un crush adolescent)

Introduction

2008. J’ai 14 ans. C’est une époque où je regarde un peu la télévision. À ce moment-là, je crois que c’est par ennui, alors que c’est par besoin vital de dopamine, par besoin vital de contre-balancer l’anxiété, les questions dans ma tête, le manque de folie, le manque de rythme, le manque de sexe, le manque des autres. Si je regarde la télévision à ce moment-là, c’est par adolescence. Les réseaux sociaux n’ont pas inventé le manque d’interaction et l’asociabilité, l’introversion adolescente l’a fait bien avant. À la maison familiale, nous avons CanalSat et ses plusieurs centaines de chaînes, alors je zappe à la recherche d’un vide plus intéressant que le miens. Je le trouve dans un visage, qui me happe, qui me coupe la respiration, pour de vrai, ma télé à tube cathodique 4/3 ne me suffit pas à comprendre correctement cette apparition. La chaîne sur laquelle je me suis arrêté par hasard c’est Disney Channel, la série c’est Hannah Montana, le visage c’est celui de Miley Cyrus. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais à ce moment-là de ma vie, j’ai le sentiment d’être face au plus beau visage qui m’ait été donné de voir. Ce sentiment est même accompagné de la conviction que je n’en verrai plus jamais d’aussi beau. C’était une partie de mon adolescence, et puisqu'il faut de tout pour faire une adolescence, parlons de Hannah Montana.



La série Hannah Montana

Miley Stewart, originaire du Tennessee, est une collégienne à Malibu, qui essaie tant bien que mal de garder un secret important : grâce à une perruque à frange blonde et des costumes multicolores, elle mène une double vie de pop-star, sortant des albums, donnant des concerts ; blonde, elle est l’icône de sa génération, brune, une collégienne comme les autres.

On suit donc cette Miley, sa meilleure amie Lilly, son meilleur ami Oliver, son frère Jackson, et son père Robbie Ray Stewart, ancienne star de la country. Il faut s’empresser de préciser que Miley est jouée par Miley Cyrus, vraie fille de Billy Ray Cyrus (acteur du père), vrai star de la country. Hormis d’être la fille-de, en 2006, Miley Cyrus n’est encore personne aux yeux du public mondial, et pourtant la série est écrite pour qu’on la considère comme une déjà star. Dans la série, on ne sait pas comment c’est arrivé, on ne connaît rien de son parcours précoce (elle a 14 ans au début de la première saison), mais c’est une star, chanteuse et actrice, enfant prodige. Dès 2006, les albums de la bande-originale sont vendus à la fois comme merchandising pour la série, et à la fois comme l’œuvre d’une artiste : Hannah Montana/Miley Cyrus… si on voulait être honnêtes on dirait simplement Miley Cyrus donc, puisque, le public étant dans la confidence, dans la vraie vie, Hannah Montana est bien celle qui n’existe pas ; Miley Cyrus est la vraie chanteuse que l’on voit performer. Bref.


La filmographie Hannah Montana, est composée de quatre saisons télévisuelles (2006-2011), d’un film-concert évènement Hannah Montana and Miley Cyrus : Best of both worlds concerts (2008), et d’un film de cinéma Hannah Montana, the movie (2009), qui suivent le succès de la saison 2.



Son secret, Miley le révélera à plusieurs reprises. D’abord durant l’épisode pilote (S1E1 Lilly, do you want to know a secret?) à Lilly ; puis à Oliver (S1E2), à Jake Ryan, petit ami de Miley (S2E9), à Siena, petite amie de Jackson (S4E4), à Jesse, petit ami bis de Miley (S4E9), et enfin, à Jay Leno et au monde entier au Late-Night (S4E10). Parmi les gens au courant, on peut également compter son père et son frère ; mais aussi sa tante Dolly Parton, et sa grand-mère paternelle Ruthie Ray, qui dans la série est au courant mais dans Hannah Montana, le film ne l’est pas… Dans ce même film, Miley finit par le révéler également à tout son village d’enfance dans le Tennessee, lors d’un concert final. Définition du péquenaud : celui qui, du fait de sa condition géographique et sociale, peut garder des secrets.



Une étude scénaristique rapide nous ferait dire que la saison 1 (26 épisodes) est une saison de rodage, on présente l’entourage de Miley, et on insiste sur la seule idée du synopsis de base : Miley a une vie normale ainsi qu’un secret à garder coûte que coûte. La saison 2 (29 épisodes) contient les vrais épisodes importants, on appuie notamment sur le fait que les Stewart viennent du Tennessee ; Miley apprend une leçon de morale par épisode, pour autant les gags de chaque épisode sont sans continuité particulière, à part le fait que Miley et Lilly sont maintenant en High School, et que Miley tombe amoureuse de Jake Ryan. Dans la saison 3 (30 épisodes), les intrigues se mettent clairement en place et se suivent : les amours entre Miley et Jake, Oliver et Lily, le déménagement de Malibu… Dans la saison 4 (13 épisodes), nouvelle maison, nouvel High school, nouvelle vie, nouvelle copine pour Jackson, puis l’Université, puis la révélation… il faut bien finir.


Une étude des corps, nous ferait dire que la saison 1 et 2 s’intéresse à des pré-ados, des filles et des garçons qui s’amusent ; Miley est vive et imprécise, Lily est un garçon manqué qui aime le skate, et Oliver est un maladroit fou-fou. Dans la saison 3, on est en plein dans l’adolescence, les personnages cherchent à revendiquer leurs existence et leur autonomie à leurs parents, en considérant que tout leur est dû. Miley devient une vraie californienne de plus en plus insupportable (ce qui amènera aux thématiques du film : le fameux retour aux racines), les cheveux sont brushés, la féminité a rattrapé Lilly, qui ne fait d’ailleurs plus de skate. Enfin pour la saison 4, on est dans une sorte de post-adolescence ; les cheveux sont extra brushés, les visages extra maquillés, on essaie de rendre les corps plus « matures ». Traduction du californien : plus « mature » = plus sexy.



Une étude des comportements et du traitement des genres maintenant, nous montrerait que les hommes sont toujours soit bêtes soit rabaissés, diminués, et souvent hostiles à l’équilibre de la vie saine de Miley. À force de balancer des « Yiiii doggies ! » à tout va, le père Stewart est surnommé « Hillbilly » – l’équivalent d’un « péquenaud » du sud des États-Unis –. Le frère Jackson, au quotidien répugnant, est d’une bêtise burlesque qui le ridiculise toujours un peu plus. On notera tout de même la capacité versatile de son interprète, clown performeur, Jason Earles, qui à plusieurs reprises nous surprend de ses imitations hautement costumées : Elvis Presley, Axel Rose, parrain de la mafia (s1e20) ; ou encore un Ozzy Osbourne plutôt drôle, dans l’épisode (We're So Sorry) Uncle Earl (S2E22). Épisode qui décide de montrer le fameux Oncle Earl, dont on entend parler depuis le début de la saison 1. Un oncle du Tennessee, mais surtout un homme, donc un empatté bien ridicule. Épisode dommage par ailleurs, puisque tout le comique autour de ce personnage s’était précisément construit autour de sa non-présence, et de ses expressions/interjections de campagnard sudiste uni-thématique (sur sa ferme), souvent bien trop imagées, et citées par la famille Stewart. Ces citations, qui paraissaient toujours trop stupides pour être vraies, nous dressaient un portrait imaginaire, drolatique et loufoque du bonhomme. L’incarnation par un David Koechner, grimé de force, fait peine à voir. C’est la limite du burlesque de sitcom : les scénaristes ne savent jamais où s’arrêter, parce qu’ils ne savent jamais exactement où ils sont drôles – d’où l’obligation de balancer des rires off toutes les cinq secondes. En forçant le rire sur toutes les vannes, y’en a bien une qui prendra… Moyen hystérique de justifier le mauvais goût.

Au passage, David Koechner se fera plus tard connaître dans le rôle de Todd Packer dans The office US, tout comme Melora Hardin (Jan Levinson-Gould dans The office US), qui joue Lorelai, dont Robbie Ray tombe amoureux dans Hannah Montana, le film (2009).


En parlant de guests, on peut aussi citer la présence de Ray Liotta (Les Affranchis), en proviseur ridiculement stricte dans la saison 4 ; Dwayne Johnson, alias The Rock (s2 e17), dans son propre rôle, avec bigoudis, boucles d’oreilles et maquillage ; Austin Butler (Elvis) en crush de Miley, beaucoup trop sensible aux films d’horreurs ; John Cryer (Two and a half men), le père de Lilly, hyper-sensible, sans emploi, et à la masse. Des hommes qui font pâles figures face aux rôles féminins.

Susan, la mère disparue de Miley (interprétée par Brooke Shields), belle et admirable ; Ruthie Ray, la grand-mère paternelle aimante et inspirante ; Dolly Parton, dans son propre rôle (elle est la tante de Miley Stewart dans la série, mais la vraie marraine de Miley Cyrus), jalouse mais protectrice ; Roxy, la garde du corps indomptable et un peu trop protectrice d’Hannah ; Ashley Dewitt, jeune starlette entrepreneuse nouvelle riche californienne… Les femmes sont la majorité du temps des personnages forts, entreprenants et/ou respectables. Elles sont de bonnes confidentes de Miley, là où les hommes sont plutôt les sources de ses problèmes. Ainsi lorsque Miley révèle son secret au monde, elle le fait sur le plateau télé d’un homme – Jay Leno –, qui ne sait faire autre chose que des blagues potaches gênantes : il est utilisé par Miley pour son audience, pour l’effet d’annonce, et non pour ses qualités humaines. L’épisode d’après, elle s’entretient avec une femme, Robin Roberts et son « Good morning America », qui l’écoute avec empathie : elle est utilisée par Miley afin de s’expliquer pleinement au monde, dans le respect, le temps d’un épisode entier (S4E11 Kiss it all goodbye). Ce dernier est d’ailleurs un point de retournement intriguant, puisque pendant l’interview, Miley n’est plus, dans son jeu, dans sa voix, ni Hannah Montana ni Miley Stewart. En réalité on reconnaît clairement les phrasés et les mimiques de l’actrice/chanteuse Miley Cyrus en interview. Elle a même l’air de parler de Hannah et Miley Stewart comme de personnages différents d’elle-même : « I think I was so lucky to have hannah Montana and then Miley Stewart, because I got to see people’s true colors ». C’est donc maintenant Miley Cyrus qui nous parle et qui fait son deuil de ce qu’a pu être Hannah Montana.


Les femmes de la série savent se débrouiller seules, et l’affirment. Le féminisme des années 2000 envisageait bel et bien qu’une enfant de 14 ans puisse avoir un talent aussi reconnu que d’autres grands de la musique (Hannah laisse notamment son empreinte sur le Hollywood Boulevard : S2E25). Constamment obnubilée par les beaux garçons qu’elle rencontre, et par l’importance de leur plaire, le personnage de Miley est élevé de manière à ne devoir ses réussites qu’à elle-même. Au-delà des garçons, ce qui compte c’est son épanouissement, son autonomie, sa carrière, la reconnaissance du public et de ses proches à son travail à elle, indépendamment de toute influence extérieure, et d’autant plus toute influence masculine. On sent bien que les conseils de son père ne font pas exception, en ce sens qu’ils ne sont qu’une version cheap et bourrine de ce qu’aurait du apporter la mère disparue.


On compte d’ailleurs, dans la discographie Hannah Montana, un certain nombre de chansons sur la thématique du girl-power : I got nerve, Make some noise, Old blue jeans, Supergirl, Don’t walk away, Dream, Kiss it goodbye, ou encore Who said, dont le couplet parle de lui-même :

Go on and make some noise

Every girl has her choice

To lead their own parade

I do it my way !

La musique Hannah Montana

2009. Je décide finalement d’acheter les albums. Je prends ceux d’Hannah Montana pour mes petites sœurs, et ceux de Miley Cyrus (qui entame une carrière en son propre nom)… pour moi. Je le fais de manière discrète, mais en même temps, à ce moment-là, rien ne choquait. Pour découvrir la musique d’un artiste il fallait acheter l’album, il n’était donc pas rare d’avoir dans sa discothèque des albums d’artistes non assumés que l’on avait acheté « parce qu’il fallait bien écouter pour savoir ce que c’était… ».



La discographie de Hannah Montana est directement liée aux saisons télévisuelles. Un album n’est plus simplement une œuvre musicale posée sur disque compact, c’est une proposition de marchandise – merchandising en anglais –, parmi d’autres propositions de marchandises. Hannah Montana c’est autant une série télé, un magazine, un T-shirt, un CD, une poupée, un agenda pour collégienne ou un tatouage éphémère ; c’est une marque. Prenons l’offre comme elle vient, et intéressons nous à la marque musicale Hannah Montana.

Il y a ainsi cinq albums : Hannah Montana (2006) ; Hannah Montana 2 (2007) ; Hannah Montana 3 (2009) ; Hannah Montana, The Movie (2009), Hannah Montana Forever (2010) – titre officiel de la saison 4 –.


Concernant les thèmes abordés dans les textes, le premier album (bande originale de la première saison), ne fait que révéler le secret de Miley. Who said, Just like you, The other side of me, This is the life, et bien sûr The best of both worlds, titre de tous les génériques de début de la série, qui en est l’incarnation la plus évidente, puisqu’il explicite très clairement la double vie de l’adolescente :

In some ways, you’re just like all your friends

But on stage, you’re a star […]

Livin’ two lives is a little weird,

But school’s cool, ‘cause nobody knows […]

Who would’ve thought that a girl like me

Would double as a superstar ? […]

You get the best of both worlds

Without the shades and the hair

You can go anywhere !

Le deuxième album (bande originale de la deuxième saison) s’épanche plus sur des leçons de morales et de vie, ou sur l’amitié ou la famille : Nobody’s perfect, Life’s what you make it, (Love is) Bigger than us, You and me together, True friend.


Le troisième album (bande originale de la troisième saison), développe beaucoup de titres qui dépendent directement des différentes intrigues de la saison : He could be the one (rencontre avec Jesse S3E18-19), Don’t wanna be torn (choix amoureux déchirant entre Jake et Jesse S3E19), Every part of me (décision de retourner vivre avec son cheval dans le Tennessee S3E29), Mixed up (potentielle éloignement d’avec Lilly S3E30).


Le quatrième album (bande originale de la dernière saison), est musicalement différent des autres. Dans la diégèse, c’est justifier par le fait que c’est maintenant Miley qui écrit ses chansons, et non plus Robbie Ray. Dans l’extra-diégétique, le montage et les dialogues de la série insistent moins sur des titres phares, comme ils avaient l’habitude de le faire dans les saisons précédentes : This is the life pour la saison 1, Nobody’s perfect pour la saison 2, Supergirl pour la saison 3. Mais la saison 4 n’a rien en stock. C’est très étonnant de voir à quel point tout ce qui a été mis en place pour créer une chanteuse et des chansons de qualité, hyper calibrées, notamment dans la saison 2 – et dont l’aboutissement est le film Hannah Montana and Miley Cyrus : Best of both worlds concerts adapté de la tourné –, est ruiné dans cette saison finale. Durant toute la saison, Miley Cyrus n'y croit pas, elle ne bouge pratiquement pas sur scène, et chante sans conviction. Exit les chorés de fou et l’euphorie de la vie de tournée. Comme une obsolescence programmée du produit Hannah Montana, on a tout fait pour fabriquer un produit de l’adolescence, tout ça pour ne pas savoir quoi en faire plus de trois saisons. Quant aux textes, ils parlent principalement de morales vagues sur l’avenir : Que sera, I’ll always remember you, Love that lets go, Wherever I go.


Enfin, l’album Hannah Montana, The Movie, est un cinquième album somme, de neuf titres inédits, qui rassemble en grande partie LA thématique qui travaille Miley/Hannah sur les dernières saisons : comment se retrouver, et suivre son chemin ? Comment se construire avec ce que la vie vous apprend ou vous inflige ? La mort d’une mère, la nostalgie du pays d’enfance, l’amour, etc. You’ll always find your way back home (tout est dans le titre), Hoedown throwdown (hommage à sa country sudiste natale), Dream, The climb (chanson libératrice pour Miley Stewart ET Cyrus), Butterfly fly away (duo avec papa Robbie/Billy Ray). On note la présence dans le film et sur l’album d’une certaine Taylor Swift (interprétant la chanson Crazier), chanteuse de country dans le Tennessee, pour le film et dans la vie ; clin d’œil à une sorte de Hannah Montana réelle – autant dans l’intérêt pour le Tennessee que dans le style musical et scénique –.


On note également dans la discographie générale, une constance de chansons romantiques : If we were a movie, One in a million, He could be the one, I wanna know you ; ainsi que des chansons sur la fête, les concerts ou la vie de star : Pumpin’up the party now, We got the party, Rock star, Let’s do this, Supergirl, Let’s get crazy, Gonna get this, Are you ready.



Le teen-movie : Mythe fondateur de l’adolescence.

Saison 2 Épisode 26. Miley Stewart cherche à réinventer l’image de son alter ego pop-star. Pour cela, elle décide de devenir l’opposé de ce qu’est Hannah Montana, une « anti-Hannah ». Question : c’est quoi l’inverse de Hannah Montana ? Réponse de Miley : c’est une gothique qui fait du punk…

Mais l’inverse de la teen-pop n’est pas le punk-rock. Tout comme le reggae n’est pas l’inverse du flamenco. La blonde l’inverse de la brune. Le couteau l’inverse de la fourchette. La question paraît anodine, et est présentée comme le simple gag d’un épisode, et pourtant. Miley Cyrus passera sa vie d’après Hannah Montana à creuser le sillon de cette question : quelque soit l’inverse de ce personnage, elle voudra le devenir ! Et elle finira par se rappeler qui était réellement son alter-ego blond, à savoir un produit de Disney Channel. Ainsi elle ira chercher du côté de ce qu’une certaine morale refuse de vendre au public de Disney Channel (composé principalement d’enfants et de pré-ados) : sexualisation, drogues, tatoos, piercings, scandales, etc. La question n’est donc pas anodine, elle est la question d’une vie pour un être qui s’est fait connaître comme la fille modèle du rêve américain. Sorte de Laura Palmer compatible Disney sans connexion avec l’immortel ; Hannah Montana, elle, est bien mortelle, et voilà pourquoi.


Qui est vraiment cette Miley Stewart ? Le souvenir de mon adolescence était trop flou. Il fallait que je réactualise mes informations, que je ré-objectivise mon analyse. Et en revoyant les épisodes, la question trouva un début de réponse.

Première évidence, elle est une amie toxique et narcissique, dont le parcours de vie consiste à tirer profit de la bonne morale que lui apprend son mauvais comportement vis-à-vis des autres. Se faisant toujours passer avant les autres en début d’épisode, mais demandant pardon à la fin, avec les yeux qui brillent et des remords plein son petit cœur. Elle est aussi la fille à laquelle on s’identifie par un certain mimétisme envieux, parce qu’en définitive, on aimerait bien avoir tous ses problèmes. Il faut se rendre à l’évidence, Miley Stewart ne vit la vie normale de personne d'autres que les Malibusiens nouveaux riches. C'est une série entière sur les problèmes de riches.


D’un côté on a les plus âgés de la série, comme papa Robbie Ray, veuf ayant abandonné sa carrière de chanteur super-star pour élever sa fille chérie. Ou encore la tante et la grand-mère, qui se disputent leur relation avec Elvis (S2E20) ; ce qui prouve bien à quel point ces gens-là cherchent constamment une légitimité à la place qu'ils occupent. Entretenir un lien d'hérédité, même symbolique, est capital pour eux. D'où leur peur de vieillir face à la jeune Hannah, nouveau succès musical de sa génération. Mais celle-ci aussi a ses problèmes. Comme à la fin de la saison 3, quand elle est moralement au plus mal par « manque du pays » (le fameux homesick), et parce qu'elle veut vivre avec son cheval Blue Jean. Miley fait venir Blue Jean du Tennessee parce que papa cède au caprice, Blue Jean dit à Miley – par rêve interposé – qu’il n’est pas heureux, papa trouve un ranch de luxe pas loin pour que Miley puisse monter Blue Jean, et continuer à mener sa vie de Los Angelesienne avec son amie Lilly. Résultat, elle a eu tout ce qu'elle voulait : elle ne quitte pas L.A, elle ne quitte pas Lilly, elle ne quitte pas Blue Jean, et elle ne retourne pas au Tennessee – argument du homesick qui ne lui a servi qu’à mener à bien son caprice pour retrouver son cheval –. Morale : les riches règlent leurs problèmes en étant gentils avec leur papa, pour qu'il leur achète une plus grande maison. De même dans les dernières minutes de l’épisode final de la série (S4E15 : Wherever I go), après beaucoup d’hésitations et de décisions contraires, Miley finit par refuser de tourner un film de Steven Spielberg avec Tom Cruise à Paris (fantasme ultime des stars américaines, et donc rêve de Miley), pour rejoindre Lilly au College (fantasme des américains moyens, et donc rêve de Lilly). C’est comme si on cherchait à nous rassurer : ne vous inquiétez pas, les ados de Malibu traversent des zones de troubles, mais ils s’en sortent, alors pourquoi pas vous ? Les stars n'étaient pas déjà suffisamment admirées, elles voulurent avoir leur propre série télé, pour étaler leurs petits soucis de star. Début d’une mode qui prendra racine très vite.


En fait, on pourrait même croire que ces ados-acteurs nous envient, nous les gens moyens. Ils cherchent une adolescence normale, là où la leur est surexploitée. Alors ils jouent ce qu’ils imaginent être nos rôles, les trouvent chiants, et donc les passe dans un filtre burlesque surexcité. L’ado moyen du teen-movie est ainsi une vision fantasmée qu’ont les ados surexploités d’Hollywood des ados moyens. Des surhommes et des surfemmes qui jouent au jeu de la banalité, des créatures de pouvoir qui s’inventent un âge qu’ils ne connaissent pas. Miley fait croire qu’elle envie l’ado moyen, en faisant en sorte de se faire envier en tant qu’ado hors-norme. Une Déesse qui lutte pour ne plus être une Déesse, pour mieux rappeler qu’elle en est une. Mais quelle Déesse sait réellement ce que ça fait que d’être un humain mortel ?


Et cela se vérifie dans la vraie vie, car si à la fin de Hannah Montana Forever, Miley Stewart fait le choix du College, l’actrice Miley Cyrus, elle, fait précisément le choix du show-biz, pour devenir une véritable super-pop-star. Elle n’a jamais voulu être une ado normale – doute, ennui, école, télé –, et n’a toujours cherché qu’à remplir sa vie de celle d’Hannah Montana – strass, paillette, fans, interviews –.

L’impact collatéral ? C’est une fabrique à gens moyens complexés, dont j’ai fait partie. Ça ne s’adresse qu’à ces occidentaux moyens, qu’il faut bien occuper devant la télévision. On crée une sorte de culture pop, volontairement pop, consciente de l’être, qui n’a pas besoin que les gens moyens se l’approprient, puisqu’elle s’impose d’elle-même, dans son discours même, dans son intérêt même. C’est là toute l’arrogance du riche et de l’américain, persuadé de fasciner le monde moyen, il cherche à l’inspirer. Quand on a été enfant ou ado entre 2006 et 2011, on se souvient forcément de Hannah Montana : c’est une madeleine de Proust pré-mâchée qu’on nous a fait ingurgiter, et qui se vomit très bien. Preuve en est, peu d’entre nous s’en souvient vraiment.



Puisque cette série est un produit, il faut se demander quel est son récit marchand. Quelle est la promesse du produit Hannah Montana ? Si la promesse d’X-Files était d’alimenter l’imaginaire FBI/extraterrestre/complot, quelle est celle de Hannah Montana ?

Sans doute qu’une série Disney Channel comme celle-ci peut paraître légère à étudier. Probablement trop éloignée du champ critique habituel. Cependant, ne pas questionner la série pour ado, revient souvent à lui reprocher sa cible, à considérer que l’imagerie du « jeune » appartient à une époque où l’on fait de toutes manières tout mal : l’adolescence. Ados, on serait de mauvais critiques de notre environnement. Ce serait pour ça qu’on regarde des fictions pour ados. Des séries avec nos semblables. Des séries un peu bêtes. Des séries qui nous sont semblables donc ?


Et pourtant. Est-ce qu’en tant qu’ado, j’en avais pas un peu rien à foutre de cette série ? L’ado, que j’ai pu être, n’a-t-il pas plutôt été pris de séduction par la mignonne Miley, qui m’a laissé croire qu’une fille comme elle puisse être une « fille lambda » quelque part sur cette planète ? Une fille « just like you », comme on l’entendait chanter dans la saison 1. « Une véritable amie », comme on l’entendait dans la saison 2. En y regardant de plus près, Miley n’avait rien de just like les filles de mon collège/lycée. Je crois que les ados ont conscience de ce qu’ils regardent, et qu’ils n’aiment pas forcément ce qu’ils regardent, mais je crois qu’ils sont tenus par un biais d’influence pervers du capitalisme. L’humour n’est qu’un prétexte. Ce qui m’a eu, c’est le récit marchand de la série.


Pour être honnête, ado, je n’appréciais pas vraiment ni la série ni la musique Hannah Montana. Les créateurs ne m’avaient pas eu avec leur produit pour pré-ado, et ils s’en foutaient bien. Parce qu’au fond, la star qu’ils avaient créé de toute pièce, était quand même devenue un personnage que les filles voudront devenir, et que les garçons voudront épouser. Il est là le récit profond, et j’en faisais partie.



La première promesse du produit Hannah Montana était de faire, encore et toujours, croire au rêve américain/californien. Mais il le faisait d’une manière plus banalisée, plus proche de la vie d’un être sensible, en construction, en doute : l’adolescent. Hannah Montana donne un imaginaire pour enfants de ce que serait soit disant l’adolescence, à savoir un temps riche de rebondissement, où l’amitié, la famille, et le là-d’où-l’on-vient – si cher aux américains qui quittent leurs États natals dès qu’ils le peuvent –, comptent plus que toutes les frivolités de la vie. En sommes, ça met en scène le fait que quelque part sur cette planète, les ados traversent des problèmes, mais qu’en fait ils sont globalement heureux. Et c’est de ça dont j’avais besoin quand j’avais 14 ans. Enfin non, c’est pas de ça dont j’aurais eu besoin, mais c’est la roue de secours dont je me suis emparé aveuglément. Je l’ai déjà dit, par manque de folie, par manque de rythme, par manque d’interaction, par anxiété. Par adolescence. J’ai cru en une fable que j’avais demandé.


Le coup de foudre adolescent a été mondialisé, heureusement l’offre et la demande est une mécanique qui se décortique facilement. En définitive, ce processus de jeu de rôles des starlettes américaines, participe à créer le récit de ce que l’on appelle l’adolescence, deuxième promesse marchande, et Leitmotiv de Disney Channel (High School Musical, etc.). Jouant de leur forte influence, les acteurs et actrices inventent des comportements que l’on qualifiera plus tard, une fois dissoute dans le monde moyen, de comportement typique d’un adolescent.



La vie d'un adolescent, j’entends la vie que son corps traverse, que son corps éprouve, c'est le collège, le lycée et les écrans. Le teen-movie l’a bien compris et ne tourne qu’autour de ça. Il alimente ainsi cette imagerie de l’ado. Mais ce serait quoi un « ado » sans ça ? Je parle bien de l’appellation « adolescent ». Est-ce que, ce qu’on appelle un « adolescent », ça existerait sans tout ça ? Est-ce que ça deviendrait pas juste un être humain ?

C’est quoi ce « jeune » que la série pour ado cherche tant à définir ? Et qu’est-ce qu’on doit faire de cette culture de flux qui s’empare de notre adolescence ? Qu'est-ce qu'on est censé faire de toutes ces séries pour « ados » qu'on nous a imposé pendant aussi longtemps ?



Conclusion

Ce texte n'est ni un hommage, ni un pamphlet. Ce texte est un écrit critique sur un phénomène culturel à cible. Je ne fais que pousser l’idiotie de ma curiosité intellectuelle sur un sujet qui m’a touché d’une manière absolument banale. Je me prête à un jeu qui n’intéressera peut-être que moi, mais qui aura le mérite, très individualiste – et très sain –, d'avoir été mené à bout.

On a tous eu un crush d’adolescence. Ils ne se valent pas, ils ne se jugent pas, mais ils peuvent parfois se comprendre. Le miens c’était pour sûr, Miley Cyrus, et je peux le comprendre, au moins en partie. Voilà pourquoi j’en parle ici. Ce qui est pas mal pratique en plus avec les crushs adolescents, c’est que c’est tellement bête qu’on finit par pouvoir les assumer.


La trahison du storytelling Hannah Montana a été de brouiller les pistes, de faire croire que Miley Stewart et Miley Cyrus c’était la même chose, que ma vie pouvait ressembler à la sienne, que nos corps pouvaient se ressembler. Quant à Miley Cyrus, elle a eu le temps de devenir l’inverse de tout ce qu’elle voulait, mais elle est resté un produit, une proposition culturelle payante. Elle a souvent raconté la surexploitation dont elle a été victime au moment du tournage de la franchise (ce qui explique sûrement en partie la fatigue visible de l’actrice pendant la saison finale). En sortant de la production de la série, elle du d’ailleurs protéger son prénom, pour ne pas se le faire voler par Disney Channel. Miley étant d’un côté le prénom du personnage de la série – propriété de la chaîne –, et le surnom de Destiny Hope Cyrus – nom de naissance de Miley Cyrus –. Elle devint finalement Miley Ray Cyrus, joua dans quelques films qui prolongeront la vision de l’adolescente à crush préfabriqué : The last song (2010) ; LOL USA (2012) ; So undercover (2012) ; mais elle se concentra vite uniquement sur sa carrière musicale. Elle subit plusieurs opérations des cordes vocales, dont l’ablation d’un œdème de Reinke, causé principalement par une suractivité de la voix (notamment pendant sa période Hannah), par une intensité de voix trop importante (mauvais conseils de techniques de voix lorsqu’elle n’avait que 14 ans), et par le fait de fumer (période post-Hannah). La conséquence est cette nouvelle voix, plus rauque, plus éraillée, plus grave, qu’on lui connaît aujourd’hui, et qu’elle devra entretenir avec attention jusqu’à la fin de ses jours. Un culte de la personnalité ça s’entretient, ou ça se perd.


J’aurais détesté qu’on me dise que le temps me la ferait oublier. J’aurais détesté aussi qu’on me dise que j’étais amoureux seulement de son image de l’époque. Mais je ne peux être qu’honnête, ce qui m’a fait me détourner de Miley ? Le temps ; et l’impression, soudainement devenue insupportable, que mon amour pouvait s’acheter. Ça me fait mal de le dire, mais de la cible élargie de Disney Channel, j’ai été l’impact collatéral. J’ai acheté les produits dérivés de Miley Cyrus parce que j’avais craqué pour son minois. L’amour ne rend pas seulement aveugle, il rend capitaliste.

FlorianMorel
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le 4 août 2023

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