J'ai regardé le film avec des épisodes mal numérotés, donc je n'en ai pas profité de manière optimale....
Bon, j'ai fini "Heimat". Que dire, sinon qu'on aimerait que cette série dure plus longtemps ? Magnifique reconstitution, l'historien en moi s'amusait beaucoup à essayer de comprendre comment le réalisateur s'y est pris pour reconstituer l'évolution de la culture matérielle d'un village sur un siècle. Cette série me confirme que la chronique est un genre qu'il faudrait réévaluer, vraiment, et qui convient bien à notre époque, qui a besoin de pédagogie. L'alternance du noir et blanc et de la couleur change de signification selon les épisodes, et certains épisodes ont une unité propre, comme "Die stolze Jahre", dans les années 1960, qui rappelle un peu "Mon oncle" dans le choix des couleurs, etc... C'est une fort belle série, qui appelle à être revisionnée, à la fois pour la richesse de ses personnages et pour reprendre, en connaissant le motif d'ensemble, afin de mieux saisir les petites subtilités.
Episode 1 "Fernweh" : le film commence par le retour d'un soldat dans le village fictif de Schabbach, dans la Rhénanie. Paul, assez mutique au début, rentre dans son village, retrouve sa mère, son père, son frère Eduard, qui a des poumons fragiles, sa soeur Pauline, assez naïve. Le film progresse comme une chronique : toutes les 10-15 min., on avance d'une année, de 1919 à 1929. L'image est en général en noir et blanc, un très beau noir et blanc qui semble un hommage à Murnau et à Fritz Lang. Parfois l'image passe en couleur. ça paraît un peu aléatoire, mais j'ai l'impression que c'est à chaque fois pour souligner soit un moment qui se grave dans l'esprit des personnages, soit une impression liée à un paysage. Les petits incidents s'accumulent : fenêtre du Juif du village caillassée ; une femme retrouvée morte ; la première radio, créée par Paul, fan de technique ; un aviateur français qui atterrit dans un champ. Etc... Ce premier volet montre cette vie paysanne comme un éden, avec déjà quelques fausses notes, comme - grande séquence - le discours agressif du maire lors de l'inauguration du monument aux morts.
Episode 2 "Die Mitte der Welt" : Brève séquence montrant Paul à Ellis Island. Séquence assez onirique d'une jeune Française élégante qui cherche le château de Baldenau. Séquence montrant Eduard à Berlin, ingénu dans un bordel où l'on croise des cadres nazis. La patronne lui met le grappin dessus, persuadé qu'il est riche. Wiegand, qui s'est fait une petite moustache, prépare l'anniversaire du Führer. Son fils part à Berlin servir dans les S. S. La mère va souhaiter l'anniversaire d'un neveu, mais est témoin de l'arrestation d'un ancien communiste. Même si le gentil Gestapiste dédramatise, l'atmosphère est lourde. La mère ramène à la maison la fille du communiste, qui est malade. Eduard, pistonné par sa femme, sert dans la Wehrmacht. Sa mère, voyant le fils de Maria habillé en Hitlerjugend, lui fait promettre de ne plus mettre cet uniforme. Un épisode avec davantage de couleurs, et déjà un malaise assez fort, notamment vis-à-vis de ce grand niais de Eduard, qui se fait facilement embrigader dans la folie nazie.
Episode 3 - Weihnacht wie noch nie.
Cet épisode est plus court (57 min.) et se concentre sur les années 1934-1935. Eduard est devenu le maire nazi de la ville (première scène géniale d'exposition, où il glande à son bureau en regardant les photos, dont celle de sa femme, d'un air désabusé. On suit aussi le jeune garçon borgne, Hans, qui rencontre un S. S. gardant des prisonniers et se découvre une passion pour le tir au fusil sur les lignes électriques (il va faire un tour au poste pour sabotage, mais a la chance de tomber sur Eduard). Eduard et sa femme Lucie se font construire un splendide manoir avec l'appui du Gauleiter, mais Lucie est désespérée qu'Eduard ne soit pas plus ambitieux (c'est le fil rouge de cet épisode). Anton, comme son père, est fan de technologie, tandis que son petit frère Ernst, embrigadé par Wilfried (le fils de Wiegand revenu de Berlin cadre S. S.), entre avec enthousiasme dans la Hitlerjugend. Noël 1935 passe, un noël féérique comme dans un livre de Karl May, et l'opulence est revenue. Mais Lucie est déçue : de hauts cadres nazis, Rosenberg, Frick et Ley, en mission secrète de préparation de l'invasion de la Rhénanie, devaient être hébergés dans son manoir, mais ils ne peuvent rester.
Un épisode assez triste, qui montre très bien comment les gens réticents, comme Maria, Anton et la grand-mère n'osent rien dire . Le personnage de Lucie semble incarner un peu l'Allemagne, qui veut viser le sommet et vit à crédit.
- Episode 4 - Reichshauptstrasse.
Encore un épisode d'environ 50 minutes. Une autoroute est en train d'être construite par l'organisation Todt. Wilfried gronde Maria, qui refuse qu'Anton aille aux Hitlerjugend et lui achète beaucoup de maquettes scientifiques. L'ingénieur de l'autoroute, M. Wohlleben, est amoureux de Maria, qui le garderait bien auprès d'elle. Maria et Pauline vont au cinéma, Robert rentre et montre à Maria les bijoux qui font fureur : des bagues à tête de mort et yeux de rubis qui font peur. Une ancienne pute de Lucie vient la voir dans son manoir. En chemin elle chauffe les mecs de l'autoroute, mais Lucie l'envoie paître quand elle suggère de transformer le manoir en lupanar. Il y a aussi un rally auto. On sent que Lucie commence à en avoir assez du Hunsrück.
- Episode 5 - Auf und davon und zurück.
Environ une heure. L'autoroute est finie. Lucie a un accident, qui la marque physiquement. Maria nous son idylle avec Wohlleben, mais reçoit une lettre de Paul, qui a fait fortune dans l'électricité à Detroit. Wohlleben est muté, puis poursuivi pour un ascendant juif (belle scène où les amants se retrouvent à Trèves, avec vue sur la Porta Nigra). Paul ne peut pas descendre du bateau, faute de preuve de son ascendance aryenne. Eduard se démène en vain dans une étude avec WIlfried pour trouver une telle preuve. Puis c'est le début de la guerre avec la France. L'horloger voit sa voiture réquisitionnée par le Führer, et Pauline est très inquiète.
Episode 6 - Heimatsfront
Environ 1 h. Scène d'ouverture sur des hommes remontant des poteaux télégraphiques après un bombardement. Wilfried achève un parachutiste anglais. Maria recueille Martha, enceinte d'Anton. Il y a des prisonniers français, que WIlfried refuse de bien traiter, s'attirant les remontrances de Kathe. Matthias perd de plus en plus la vue, se tape même un pouce, pour la 1e fois en 50 ans. Wohlleben travaille dans le déminage avec Pieritz. Eduard souffre d'une oreille. On apprend la mort du jeune Hans. Le mariage de Martha et Anton, parti en Russie, est célébré par téléphone et filmé par des techniciens grossiers, avec en prime un sermon de Wilfried. Ernst sert dans la Luftwaffe, malgré son jeune âge. Il dépose un bouquet de rose depuis son avion avant de partir. Pendant une soirée d'officiers chez Lucie, Wilfried fait allusion aux Juifs qui "sortent par la cheminée", mais refuse de développer devant Pauline et ses enfants.
Episode 7 - Die Liebe der Soldaten
Environ une heure. Episode déroutant, dans la période de la guerre, hiver 1944-1945. Anton est un aide-caméraman. Un jour le colonel filme une exécution, dont la bobine est envoyée au ministère de l'Intérieur. Chouettes parallèles caméra-fusil, réflexion sur la fabrication de l'image. M. Wohlleben revient voir Maria, en chemin vers une mission à Coblence, et toujours accompagné de Pieritz. Il rencontre l'enfant que Maria a eu avec lui et élève. Ils parlent. La venue de Wohlleben donne l'illusion qu'un homme est revenu dans la famille (souper en écoutant la radio...). Mais Wohlleben repart, et perd la vie au cours d'un déminage (belle montée de l'angoisse). Alertes aux bombardements, des morts. Eduard revient chercher Lucie avant l'arrivée des Américains. Lucie, déguisée en bonne, se prépare à partir sur les routes avec toutes ses robes sur elle. Mais la vue du petit avec un chewing gum lui redonne espoir : on peut sûrement traiter avec ces "Amies".
Encore une fois, Lucie est un peu l'allégorie de l'Allemagne. Elle dit sans ambages à Wilfried, qui se cache chez eux : "Tu vas devoir partir". Cet épisode, avec une séquence un peu longue au centre, est tout de même fort émouvant, et dans sa grande majorité en noir et blanc.
- Episode 8 - Der Amerikaner
On revient à un format de long métrage. On suit Ernst et Anton au moment des derniers assauts allemands. Ils sont couchés, blessés, et un personnage féminin leur parle (une hallucination ?). De nouvelles personnes, qui ont perdu des leurs à la guerre, sont accueillies à Shabbach : Mari-Goot, Lutti, la femme d'Anton, qui a eu un fils, Herrmann. Ce dernier trouve un doigt dans une jeep abandonnée. On est sans nouvelles d'Ernst, qui passe près de Shabbach après y avoir envoyé une compagne, mais ne s'arrête pas car entretemps il a retrouvé une autre femme. Wiegand ne se remet pas de la mort probable de Wilfried, et crie des insanités antiaméricaines qui mettent tout le monde mal à l'aise.
Et puis un homme souriant et solide entre à Shabbach, dans une limousine rutilante conduite par un Noir. Oui, c'est bien Paul. Il fait un discours très Disney à la salle des fêtes, où l'on écoute du jazz fifties. Sa mère l'accueille comme si de rien n'était, mais Maria, quoiqu'elle dise tout ce qu'il veut entendre, n'accepte pas ces vingt années perdues, et sue l'amertume. Eduard est content de la prothèse auditive qui lui donne son frère (on dirait un Ipod, d'ailleurs). Lucie se révèle très pro-américaine, dans un accès de schizophrénie survivaliste. A Simmern, les filles accostent les soldats ricains. Des bruits circulent sur une nouvelle monnaie. M Pieritz revient, mais Maria le chasse comme un mauvais rêve. Et puis... la mère, Kathe, meurt. Et Paul ne reste pas pour l'enterrement : il doit saisir son bateau avant que son visa n'expire. Et puis il songe aux affaires qui l'attendent à Detroit. Anton revient ! Il rêve de fonder une usine d'optique.
Episode 9 - Herrmänchen
Un bel épisode de plus de 2 h, qui reprend le fil chronologique. 1955. Anton a fondé une usine avec l'argent de son père. Il prêche partout les joies de l'entreprenariat, mais devient un monstre froid : il va intimider Wilfried, devenu propriétaire terrien, car celui-ci utilise des pesticides qui amènent de la poussière sur les objectifs des ouvriers d'Anton. Ernst, de son côté, a épousé une femme riche, bénéficiant de son aura de pilote, mais a fait faillite en voulant utiliser un hélicoptère pour une exploitation forestière. Maria devient plus amère. Mais le récit se focalise plus précisément sur Herrman, le fils qu'elle a eu avec Wohlleben. Culottes courtes, bicyclettes, boucles blondes sur un front d'intellectuel, yeux en amande : Herrman finit sa scolarité, il est fan de philosophie et de poésie. Il tombe amoureux de Klärchen, une des secrétaires d'Anton. Baise et traduction de Verlaine, déclarations enflammées. Klärchen tombe enceinte, avorte. Une de ses lettres est interceptée par Maria, qui en informe Anton, lequel révèle ses aspects tyranniques-donneur de leçon. Herrman pique la voiture de Glassisch pour passer le nouvel an avec son amour. A la fin, elle lui annonce qu'ils ne se verront plus et lui confie une lettre d'insultes et de menaces qu'elle a reçu d'Anton (qui était probablement jaloux).
Encore un bel épisode, avec davantage de couleur, dans des tons très super-8. Plus de plans aériens, sur l'usine, et des scènes d'action avec un hélicoptère. J'aime bien aussi le moment où les garçons font un boeuf très fifties dans une cave, et se font gauler par une voisine. Le contexte social passe par l'opposition de la critique sociale d'Herrman et de la morale très fermée, quoique cachée derrière une façade progressiste, d'Anton.
Episode 10 - Die stolze Jahren.
Environ 1 h 20. Deux mercedes viennent à l'usine d'Anton. Une grande firme propose de lui racheter son usine pour 60 millions de DM, mais il hésite. Va voir son père, de passage à Baden-Baden. Paul, décontracté, en chemise hawaïenne, a vendu son usine sauf le département de recherche et aide Herrmann à concevoir une oeuvre de musique contemporaine. Il a l'air jouisseur et irresponsable. Pauline vient voir Maria. Après la mort de Robert, elle a retrouvé des Rentenmarks qu'il avait cachés au cas où. Elle essaie de persuader Maria de vendre sa vache pour partir voir Paul en Floride. La nouvelle qu'Anton songe à vendre se répand, mais ce dernier, attaché à son idéal social-démocrate d'excellence, et soucieux de conserver les emplois de ses employés, dicte devant eux le telex par lequel il refuse de vendre. Pendant ce temps, Ernst démarche les paysans pour leur proposer des fenêtres en alu pas cher. En réalité il récupère le vieux bois pour en faire des meubles vintage vendus dans les grandes villes. Dispute dans le grenier avec Anton. Le Hunsrück vend son passé, à l'image du monument de la 1e guerre mondiale, qu'on déplace du carrefour pour le planquer dans le cimetière. Herrmann a fini son oeuvre, que personne ne comprend, sauf Glassisch, qui reconnaît le chant d'un oiseau. Herrmann repasse en coup de vent, débraillé, avec deux nymphettes, ce qui attriste beaucoup Maria.
Episode 11 - Das Fest der Lebenden und der Toten
1 h 40. Maria est morte, tout le monde se rassemble, mais c'est la fin de Shachbach, qui est devenu un mouroir, malgré quelques enfants. Après l'enterrement, Anton barricade les portes de la maison mesquinement, car il craint que des amis brocanteurs d'Ernst ne viennent piquer des meubles. A l'enterrement, Glassisch, le narrateur, devenu gâteux, demande pourquoi Maria n'est pas là. Lotti lui explique que c'est elle qu'on vient d'enterrer. Paul revient, avec une jeune Américaine qui veille sur sa santé ; il refuse d'expliquer pourquoi il avait quitté le village. Herrman revient, discute avec un vieux, sur le banc du cimetière, du dialecte du Hunsrück. Flashback d'Anton, vexé quand Maria a refusé qu'il lui offre une télé : elle voit trop de vieux devant par les fenêtres du village. Flashback des 70 ans de Maria, où presque tout le monde était venu, y compris Lucie, devenue une petite vieille bien destroy. Une fête a lieu au village : des prostituées échangent leurs réflexions sur comme le Hunsrück a changé, et encanaillent Anton, bourré, sous les yeux de sa femme, Martha, et le regard goguenard d'une de ses filles : il finit temporairement sourd. Herrmann visite l'abri souterrain avec une jeune femme et lance le projet d'en faire une salle de concert. Glassisch rêve d'une porte blanche qui s'ouvre sur une hallucination où il retrouve tous les morts, dans une salle des fêtes. On retrouve son cadavre, mais on l'allonge dans un coin pour ne pas gâcher la fête foraine.
C'est un dernier épisode esthétiquement plus baroque et plus ambitieux. De fort jolis effets à partir de silhouettes projetées sur des façades par les phares de voiture ou autres projecteurs. Je ne suis pas entièrement convaincu par le cauchemar final de Glassich : la séquence n'est pas complètement aboutie à mon goût. Sinon l'atmosphère de mouroir est poignante, et le personnage de Ernst, par exemple, fort touchant. La farandole est évidemment une référence aux danses macabres du Moyen Âge, symbole peut-être un peu trop appuyé. Pas mon épisode préféré, même s'il est intéressant.