Depuis que Tarantino en a fait son nouveau cheval de bataille, le révisionnisme a le vent en poupe. Pas tout à fait dystopie, puisqu'il place le basculement historique à l'embouchure de son récit plutôt qu'à sa source, il tient plus de la catharsis que de l'avertissement : un costard taillé sur mesure pour l'industrie du divertissement, en somme. Qui n'a donc jamais rêvé de rayer Hitler de la carte (certainement pas Mélanie Laurent), de voir un esclave noir prendre sa revanche sur les sudistes ou de contrecarrer les meurtres monstrueux de Charles Manson ? La machine Tarantino met en image un impensé cinématographique, ceui d'une histoire revisitée, plus ou moins discrètement rectifiée, apologie du pouvoir des images sur le fatalisme du destin.
Malheureusement, Ryan Murphy n'a lui pas compris à quel point ce seul dispositif pouvait faire office de propos esthétique et politique. Loin de seulement tenter une échappée cathartique dans les méandres de l'Hollywood d'après-guerre, il propose une pure et simple correction morale d'une époque révolue qui n'en demandait pas tant. Un exercice qui nécessite bien évidemment d'évacuer le Code Hayes, la ségrégation ou encore la pénalisation de l'homosexualité, évoqués de loin en loin mais jamais traités comme un facteur aggravant des inégalités. D'après Hollywood, première véritable série Netflix du créateur d'American Horror Story (The Politician était une production Fox Studios), créer un monde plus juste ne nécessite qu'un peu de bonne volonté. Et les sept épisodes de la série s'acharnent à nous le démontrer en mettant en scène une galerie de jeunes premiers voluptueux dont on nous répète qu'ils méritent d'être célèbres et célébrés. Les obstacles placés sur leur route n'y changent rien : le racisme devient décoratif, le sexisme un ornement, et Hollywood ne manque jamais de porter aux nues les principes libéraux de la méritocratie. Le monde entier vous crache à la figure, le Ku Klux Klan brûle des croix devant chez vous ? Un peu de courage voyons ! C'est tout ce qu'il vous faut.
Simples instruments du destin, non plus tragique mais presque carnavalesque, les personnages d'Hollywood, soutenus par une farandole de prestations déplorables de jeunes beaux ultra-standardisés (David Corenswet, Jake Picking et Darren Criss semblent tous issus de la même cuisse), peinent à exister. Et c'est sans doute pour le mieux, puisqu'ils n'auraient pas pu exister de toute façon : auréolée de tous les honneurs du monde, le personnage de Camille Washington, premier rôle noir du film-dans-le-film, Meg, est une insulte à la femme bien réelle qu'est Halle Berry, non seulement la première actrice noire à avoir reçu un Oscar pour un premier rôle... mais aussi, à ce jour, la seule. Rock Hudson, transformé ici en imbécile musculeux, n'en ressort pas non plus indemne, puisque Ryan Murphy semble penser, ou laisser penser, qu'un coming-out inter-éthnique aurait suffit à lui offrir la vie qu'il méritait. Et lorsque cette vision morale aseptisée se poursuit jusque dans une représentation effarante de concupiscence de la prostitution, il est difficile de ne pas voir dans Hollywood un véritable traité de science-fiction plutôt qu'un simple exercice chafouin de révisionnisme.
Et c'est bien là où le bât blesse : Hollywood met en scène une utopie inenvisageable de la société américaine, selon des principes fondamentaux d'égalité qu'elle échoue encore aujourd'hui à respecter et faire respecter. Le recul nécessaire sur ce qui peut bien faire obstacle à la dignité humaine aux États-Unis n'est jamais pris, et le résultat est un monstre hideux, reconstitution blafarde et polie du passé qui tente par la même occasion de nous emmener plusieurs décennies dans le futur. Lorsqu'Eleanor Roosevelt s'invite dans le récit, et intime aux producteurs de Meg de réussir là où la politique a échoué, les prétentions de Ryan Murphy s'éclaircissent : l'homme, icône autoproclamée d'une industrie qui se déboite régulièrement l'épaule pour se donner une tape chaleureuse dans le dos, pense pouvoir changer le monde avec Hollywood. Il ne sera finalement parvenu qu'à sérieusement écorner sa propre image.