L’agonie créative de la chaîne AMC n’est plus un secret pour personne – quand on remarque que ses seuls récents succès sont les spin-offs de ses plus anciens, on est en droit de se poser des questions quant à la teneur de ses ambitions : décliner The Walking Dead pendant vingt ans et trouver le moyen d’écrire sur les personnages secondaires de ses shows à Emmys ? Si Weiner a catégoriquement refusé (il semble être le seul à avoir jamais su résister aux réductions budgétaires et ingérences artistiques des patrons de la chaîne), Gilligan, lui, a fini par craquer avec Better Call Saul. Lancée avec le lead-in zombiesque le plus important de la télévision américaine, Into the Badlands est bien là pour lancer une nouvelle franchise : créée par le duo à l’origine de Smallville, sa veine fantastique transpire d'ailleurs de la générosité mesurée de ses producteurs à l’intention de ses spectateurs.
Malgré sa volonté de générer une audience forte, Into the Badlands s’est efforcée de développer un univers et une ambiance quasiment inédites. Relecture post-apocalyptique de La Pérégrination vers l’Ouest (l’un des romans emblématiques de la littérature chinoise), où se rencontrent des influences western, wu xia pian (et plus particulièrement Tsui Hark) et de Mad Max, Into the Badlands réutilise des codes d’origines diverses pour livrer ce qui serait, théoriquement, le spectacle d’action ultime.
En résulte un résultat chaotique où se mêlent arts martiaux et champs de coton ; pourtant, de ces alliances étonnantes ressort aussi un ton unique et transcendant qui, malgré ses défauts, force l’admiration. La maestria technique, notamment des séquences de combats (qui se classent avec Banshee parmi les plus impressionnantes du petit écran), ne fait que souligner l’accomplissement formel de la série. Pourtant le budget est peu important, et ça se voit à l’écran – il n’y a pas de cadre recherché ni de réussites esthétiques notables, mais plutôt ce qui ressemblerait à une très longue série B des années 80, légèrement kitsch mais foncièrement fascinante et passionnée.
Qu’est-ce qui empêche alors à Into the Badlands de briller ? Tout le reste, en fait. Des acteurs plus mauvais les uns que les autres au scénario façon soap opera aussi inintéressant que les personnages secondaires ridicules qui n’arrivent pas à pimenter l’intrigue principale ; si la construction d’arrière-plan est grandiose, les pions qui lui donnent une justification souffrent de défauts d’écriture majeurs. On en vient à espérer que les dialogues insipides se terminent rapidement pour qu’on assiste à une autre séquence d’action, preuve que malgré des efforts visibles, les scénaristes échouent lamentablement à intéresser le spectateur.
Into the Badlands se trouve actuellement sur le fil microscopique qui sépare la purge du divertissement honnête. Elle a les cartes en main pour réussir – un univers original et un talent certain pour le mouvement – mais peine à leur donner une saveur dans le développement calamiteux de figures centrales prévisibles, d’enjeux mal définis et de failles béantes dans l’exécution de la narration. Into the Badlands a de l’imagination mais ne sait manifestement pas raconter une histoire – et pourtant il y a de quoi faire quelque chose de réussi. Avec toute la sympathie que l’on a pu développer pour elle, on espère que son envisageable second acte saura régler ces problèmes. Mais c’est clairement mal parti.