"Invasion", nouvelle série Apple TV+ qui vient s’ajouter à une liste désormais longue de films et de séries traitant de l’éternelle terreur humaine d’une invasion de notre planète par des extra-terrestres hostiles et incompréhensibles, part de prémisses suffisamment originales pour tenter aussi bien le téléspectateur sceptique quant à la Science-Fiction que le fan hardcore : il s’agit cette fois de filmer avant tout l’impact de l’invasion sur des gens « ordinaires », en allant une étape plus loin que ne le faisait déjà (et assez habilement) Spielberg dans sa version de "la Guerre des Mondes", les aliens et les aspects militaires et géopolitiques de l’affrontement, ou plutôt de l’effondrement de la civilisation terrienne, étant largement en toile de fond.
Qui plus est, le scénario proposé par Simon Kinberg, David Weil et leurs scénaristes, a l’originalité (qui ne devrait pas en être une, mais bon…) d’offrir une perspective pour une fois plus globale qu’états-unienne : on suit en effet en parallèle, et parfois en « temps réel », les aventures de quatre groupes de personnages, chacun sur un continent : une famille immigrée aux USA, un groupe de collégiens en Grande-Bretagne, un soldat américain en Afghanistan, des scientifiques au Japon. Chacune de ces fictions montre longuement l’impact de la situation globalement provoquée par l’invasion (une invasion dont on ne verra quasiment rien pendant la grande majorité de la série…), sur ces personnes qui tentent de se déplacer, avec à chaque fois un objectif lié à leur situation personnelle, et de survivre dans un environnement hostile.
"Invasion" prend donc son temps, beaucoup de temps même, à nous décrire des situations plus caractéristiques en fait d’une série télévisée traditionnelle, de type soap opéra : la famille immigrée en fuite est confrontée à l’infidélité du père qui a décidé d’abandonner femme et enfants, la brillante scientifique japonaise essaie d’établir le contact avec sa compagne astronaute perdue dans l’espace, le militaire paranoïaque perdu sans ses compagnons dans le désert afghan est rongé par la culpabilité vis-à-vis de sa famille aux USA, et le jeune garçon anglais, épileptique, est victime de harcèlement scolaire du fait de sa maladie et de sa situation sociale ! Et il faut admettre que pas mal d’épisode s’éternisent sur des dilemmes sentimentaux ou moraux, pendant que le téléspectateur trépigne de plus en plus en réalisant qu’on ne lui montre rien qui puisse expliquer l’environnement apocalyptique de la série, et en particulier la disparition peu vraisemblable d’une large partie de la population terrestre invisible à l’écran…
Il faut même attendre le 6ème épisode, "Home Invasion", pour que l’on voit enfin les envahisseurs, et qu’une véritable tension vienne temporairement nous réveiller, avec des scènes ultra-classiques mais ultra-efficaces d’affrontement avec un « monstre » dans une maison obscure ! Ce ne sera là malheureusement qu’une brève satisfaction, "Invasion" reprenant ensuite sa progression à un train de sénateur en nous révélant – bien tard, et de manière assez fantaisiste – des liens mystérieux entre chaque personnage à l’invasion… Jusqu’à un avant-dernier épisode ("Full of Stars") relativement prenant – même si l’on nous refuse la moindre représentation de la dernière phase du conflit entre envahisseurs et humains. On imagine toutefois la rage qui saisira ensuite la plupart des téléspectateurs, affrontant un dernier épisode en forme de sur-place, qui ne sert qu’à présenter dans ces dernières images une seconde saison… qui ne se justifiait certainement pas !
S’appuyant sur un budget visiblement conséquent et bénéficiant donc d’effets spéciaux très crédibles, "Invasion" a aussi un casting séduisant, puisqu’on y trouve Sam Neill en « produit d’appel » (car présent dans un seul épisode, le premier !) et surtout Golshifteh Farahani dans un rôle très central, mais jamais convaincant. En effet, les différents réalisateurs à l’œuvre, tâcherons rompus à la pratique de la série TV standard, échouent largement à diriger convenablement leurs acteurs, et ratent largement le versant « psychologique » de la série, qui en constituait pourtant sa seule vraie justification.
Sans être fondamentalement désagréable, "Invasion" a l’allure d’une belle promesse (la fin du monde vue par le petit bout de la lorgnette) jamais vraiment tenue, et même finalement mensongère.
[Critique écrite en 2021]
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