Quand on est un « vieux de la vieille » comme moi dans le domaine du jeu-vidéo, Julien Chièze on connait. On connait même très bien …
Julien Chièze c’est ce testeur qui, jadis, recopiait les dossiers-presse envoyés par les éditeurs sous le pseudonyme de Gollum dans le magazine-papier « Joypad ».
Julien Chièze, c’est aussi ce gars qui a accepté de rejoindre GameOne à une époque où tous les historiques de la chaine avait décidé de la quitter à cause de la nouvelle politique éditoriale très orientée qu'entendait imposer le nouveau propriétaire Atari.
Julien Chièze c’est également le fameux « monsieur 5/5 » ; une expression qui lui colle à la peau depuis sa participation à cette hallucinante table ronde chez Schneidermann où il se justifiait de son entière objectivité en tant que journaliste alors qu'en parallèle il acceptait de participer à des "ménages" payés par les éditeurs.…
Mais Julien Chièze c’est encore ce mec qui est parvenu à se faire virer de Gameblog alors que le site n’était pourtant pas une référence en termes de fiabilité des informations.
Julien Chièze c’est celui qui connait toujours un bruit de couloir ultra-fiable du genre « la Switch sera une console qui fera le café, c’est un mec qui est dans les bails qui me l’a dit »…
Julien Chièze c’est l’homme de ménage.
Julien Chièze c’est l’affaire Hugues Ouvrard…
Mais bon…
Malgré tout ça, Julien Chièze, aujourd’hui en ce début d’année 2020, c’est quand même l’un des gars qui pèse le plus en France au sein de la presse Jeu-vidéo et ça…
…ça c’est juste hallucinant quoi.
Non mais merde !
Dans quel monde vit-on ?
550 000 abonnés. 170 millions de vues. Et le gars se retrouve accrédité à tous les événements du jeu-vidéo avec sa partenaire Carole Quintaine, même les plus sélectifs !
Julien Chièze est tellement devenu une marque rentable que sa chaîne, autrefois appelée « Je vous en parle ! », a désormais été rebaptisée… « Julien Chièze ».
C’est démentiel…
…Et visiblement ce n’est pas prêt de s’arrêter.
Alors d’accord, le cas Julien Chièze, ça ne date pas d’hier…
Alors du coup pourquoi ne me mettre à déblatérer sur son compte qu’aujourd’hui ?
Après tout c’est vrai : Julien Chièze c’est un petit peu notre Durendal du JV : il ne fait de mal à personne, on aime ou on n’aime pas, « ta ka pa regarder si tu trouv que cé de la merd », toussa toussa…
C’est sûr, c’est vrai…
Donc pourquoi l’ouvrir ?
Bah disons que, le mois dernier, il y a eu la petite goutte d’eau de trop…
…Le mois dernier, il y a eu la sortie de « Cyberpunk 2077 ».
Pour ceux qui ne s’intéresseraient pas au jeu-vidéo sachez que « Cyberpunk 2077 » ça devait être le gros choc de 2020 ; le nouveau jeu totalement démesuré de CD Projekt Red ; le studio à l’origine de « The Witcher III ».
Annoncé en 2012 pour sortir sur PC et sur les consoles de huitième génération, puis présenté à l’E3 en 2018, il devait initialement sortir sur Stadia en août 2019.
Finalement à l’E3 suivant on nous apprend que sa sortie serait pour avril 2020… Puis on apprend un peu plus tard que finalement ce serait plutôt pour le 17 septembre 2020… Puis le 19 novembre… Tout ça pour nous emmener au final au 10 décembre 2020.
Entre temps, la presse – dont Julien Chièze – reçoit le jeu pour le tester.
Seule la version PC est rendue disponible, laquelle ne tourne qu’avec une config de compète. Pas de version console PS5 ou XBox Series S/X et surtout pas de version PS4/XBox One.
…Voilà qui annonce le pire.
Le 7 décembre à 18h, la presse est enfin autorisée à s’exprimer.
Un torrent de fiel déferle alors sur les réseaux sociaux de la part des testeurs élus. ExServ en devient presque un symbole malgré lui : lui d’habitude si tendre – lui qui écrivait pourtant un bouquin avec CD Project Red et avec qui il était en très bon termes – voilà qu’il découpe le jeu de dépit, et pas qu’un peu…
Bugs en cascades, chutes de framerate incroyables, disparitions et repops aléatoires de PNJ et de véhicules sitôt on fait un tour sur soi… La question technique est tellement affligeante que le niveau indigent du propos et de l’univers passent carrément au second plan.
Les témoignages se multiplient et ne cessent de concorder.
Impossible de cacher le désastre industriel qu’est ce jeu…
…Impossible… Sauf pour Julien Chièze.
…Parce que oui, moi, c’est ça qui m’a fait revenir vers notre bon Julien.
…Julien Chièze, l’homme de ménage.
S’il ne devait y en avoir qu’un pour sauver la mise de ce naufrage industriel ça ne pouvait être que lui.
J’étais curieux. Je voulais voir jusqu’à quel niveau de prostitution le mec pouvait aller…
…Et sur ce point Julien ne m’a pas déçu.
Julien a fait du grand Julien Chièze.
…Du monsieur « 5/5 ».
C’est donc lors de ce fameux 7 décembre que l’ami Julien sort sa vidéo.
« Cyberpunk 2077… décevant ou démentiel ? (Mon avis) »
Comment le gars s’y est donc pris pour cacher l’éléphant au milieu de la pièce ?
Eh bien – je l’avoue – il s’y est au final plutôt pris habilement, quand bien même la manœuvre est au fond assez coutumière et grossière pour qui le connait bien.
Au fond Julien Chièze est resté le Gollum de Joypad : le meilleur moyen d’esquiver le cœur du sujet reste encore de compartimenter, de dissoudre, de diluer.
Les bugs, les versions PS4/XBox One inaccessibles et les quelques défauts de gameplay, il en parle bien mais il dissémine le tout un peu partout dans sa vidéo, au milieu d’un discours tellement élogieux qu’on ne peut que minorer ces points…
…Une méthode doublement astucieuse car d’un côté on ne pourra pas lui reprocher d’avoir passé sous silence ces points, tandis que de l’autre il parvient à induire l’idée que toutes ces points ne sont au fond que des détails qui ne doivent pas nous priver de cette œuvre aux « possibilités absolument gargantuesques » et « aux enjeux ludiques et techniques absolument coloss[aux] ».
(Oui, visiblement chez Julien Chièze, tout ce qui concerne « Cyberpunk 2077 » touche à l’absolu.)
Seulement voilà, le problème avec une telle méthode, c’est que pour bien diluer les défauts, il faut à côté de ça être capable de noyer le tout dans des hectolitres de qualités…
…Or, trouver des qualités à « Cyberpunk 2077 », visiblement c’est compliqué, puisque même l’habile Julien va s’y prendre les pieds.
Commence alors pour lui une longue course d’aviron en solitaire… Une course de 25 minutes…
… 25 minutes passées à chercher et à meubler.
Par où commencer ?
Eh bah Julien décide lui de commencer avec… l’éditeur de personnage bien sûr !
Une minute de rame sur cet élément de menu (tout de même) qu’il parvient malgré tout à nous présenter comme « très riche », « très bien foutu », « [où] on peut tout paramétrer », blablabla…
Ensuite vient le moment d’aborder l’entrée dans l’univers. Là encore, l’ami Chièze va miser sur la quantité : « il y a énormément de choses […], beaucoup beaucoup (sic) d’éléments à amalgamer » mais c’est ce qui permet, à ses dires, de « s’immerger dans le lore général », rappelant d’ailleurs à quel point « le degré de détails est absolument dingue. »
Au bout de six minutes, Julien est déjà en difficulté visiblement puisqu’il joue déjà son Joker habituel : la carte « technique ».
…Et vas-y que je te balance du « Ray-tracing » à tout va, du jeu « à la première personne sans cinématique » qui aide à l’immersion générale « tout simplement folle » (Je vous laisse juger du caractère révolutionnaire et « simplement fou » du principe de jeu à la première personne.)
Il ajoute à ça le fait que les animations « sur la plupart des personnages sont ultra-travaillées », insistant sur le fait qu’ « un petit rictus fait instantanément prendre conscience des choses », que « ça grouille de vie » que « chaque PNJ est différent », que c’est « bluffant », « incroyablement bien fait », ce qui apporte une « qualité de véracité » aux choses…
L’air de rien, avec ça, il atteint les treize minutes.
Treize minutes durant lesquels on n’a parlé ni de gameplay, ni d’intrigue, ni de la narration, pourtant présentée par l’ami Julien comme le gros point fort du jeu.
Ce n’est donc qu’à la treizième minute que l’ami Julien rentre vraiment – selon lui – dans le cœur du sujet : la narration.
…Et là, c’est festival.
Que se décide-t-il de dire au sujet de cette fameuse narration ?
Eh bah il nous (re)dit à partir de là à quel point les animations sont bien travaillées !
…Pardon ?
Non mais dis-donc Julien ? Tu ne serais pas en train de faire de la diversion là ?
Ah bah non semble-t-il nous dire : car l’intérêt de cette narration c’est le « non-verbal » justement !
Et c’est quoi la qualité de cette narration en non-verbal d’après Julien Chièze ?
C’est des « tenues ultra variées et super-classieuses » !
C’est une « esthétique assez unique » !
Ce sont des « femmes [qui] sont très bien réalisées, hautement sexy ».
C’est cette tension sexuelle qu’on « ressent manette en main […] au travers d’un petit regard [ou] d’un sourire » !
…Non mais attend là. Le truc des animations faciales, c’était pas un argument que tu avais déjà utilisé cinq minutes plus tôt quand il s’agissait de parler des performances techniques ?!
…Tu ne serais pas en train de tourner en rond et de noyer le poisson mon cher Gollum ?!
Bien sûr que non ! Parce que débarque alors l’exemple ultime !
A un moment, quand le jeu veut nous faire comprendre que Jacky est un peu stressé on le voit qu’ « il tape avec son pied là, tactactac. (sic). Il ne le dit pas, mais on le sent qu’il est stressé ! Et on sent que les autres personnages le sentent aussi ! C’est très naturel ! Et cette vue FPS permet d’être plus en immersion ! »
…Sans commentaire.
Je ne vais pas trop m’étaler sur le reste de la vidéo car c’est clairement dans la même saucée. Pour parler de gameplay, Julien Chièze passe son temps à ressasser sans cesse le même exemple à base d’approches différenciées des missions, quand bien même ne cesse-t-il de rappeler qu’il n’a pas vraiment eu le temps de tester personnellement…
(Oui oui, il le dit. Plusieurs fois même.)
Il continue les énumérations quantitatives.
Il continue d’enchainer les « c’est bluffant », les « absolument génial », les « Ray-tracing »… Et quand arrive le moment d’aborder des réserves, on sent que le Julien se met tout de suite à marcher sur des œufs.
Ainsi dit-il concernant le piratage : « j’ai pas trouvé ça absolument génial ».
Au sujet de la conduite il concède que c’est un « point qui n’est pas complètement fou […] J’ai pas eu de sensation géniale »…
Et attention grosse audace – ça balance – concernant certaines poursuites il ose dire : « j’irais presque jusqu’à dire qu’elles sont un peu ratées. »
La vache mais que d’acide !
Julien arrête le vitriole là ! On va commencer à te trouver trop indépendant !
Monsieur 6/5 là ! …21/20 même !
Heureusement que tu précises que ce que tu n’as pas aimé, ta douce Carole a apprécié quant à elle car il ne faudrait pas être trop catégorique non plus !
…Non mais franchement.
Comment après une vidéo comme celle-là on peut encore prendre ce mec au sérieux ?
Comment peut-on le percevoir autrement que comme un vendu ? Un homme de ménage ?
Le pire, c’est que je pense comprendre comment on tombe dans le panneau…
…Et c’est peut-être cela la force de Julien Chièze.
Au fond Julien Chièze mise sur tous ces gens qui n’ont pas le temps de s’intéresser au jeu-vidéo, ou qui ne veulent pas trop en passer, du temps.
Il inonde sa chaine de contenus en tout genre – news, let’s play, commentaires d’événements en direct… – si bien que ça peut être tentant de ne se limiter QU’A du Julien Chièze.
Alors pourra-t-on commencer à se laisser inhiber par ce verbe douçâtre, ce sourire falot et cet enthousiasme de veille de communion…
Alors pourra-t-on trouver Julien Chièze finalement bien sympa… Reposant… Rassurant…
…Et voilà comment, petit à petit, on finit par s’endormir tout tranquillement dans les bras du conformisme acceptable et accepté, du consumérisme heureux, du plaisir serein du voyage sur une mer d’huile...
Étonnamment je n’en veux pas trop à ses fans d’aimer Julien Chièze.
…Par contre ça m'énerve qu'ils ne comprennent pas en quoi ce type incarne un véritable problème dans le monde de la presse du jeu-vidéo, voire dans le monde de la presse tout court.
Car tant qu’il y aura de gens pour donner du crédit à des Julien Chièze, des scandales comme celui de la sortie de « Cyberpunk 2077 » seront encore possibles.
N’oublions pas que ce titre a quand même obtenu 91/100 comme note Métacritique au moment de sa sortie… C’est dire si des Julien Chièze, il y en a.
D’ailleurs, qu’on ne fasse pas dire à cette critique ce qu’elle n’a pas dit.
Julien Chièze n’est pas un problème. Julien Chièze est juste la manifestation d’un problème.
…Un problème que tous ses followers contribuent à alimenter.
Quand je me rends compte que le seul triple-A que ce mec n’a pas encensé c’est « Zelda : Breath of Wild » – et cela sous prétexte que techniquement il n’était pas au top – pour moi ça dit tout du type.
Suivre ce type, c’est donner du crédit à ce discours : « le jeu c’est que de la technique. »
Alors qu’on ne s’étonne pas qu’à force de suivre des Julien Chièze – et au regard de l’influence de la critique sur les choix de production des gros éditeurs – on se retrouve à l’avenir avec de moins en moins de « Breath of the Wild » et de plus en plus de « Cyberpunk 2077 »…