Nul n'est prophète en son pays, dit le proverbe. Pourtant, dans le domaine culturel, c'est l'exact inverse : il y a bien des types d’œuvres qu'on consomme en masse là où elles sont produites, mais qui constituent une expérience aux frontières du réel pour les âmes qui n'y sont pas habituées. Aussi ces véritables OCNI (Objets Culturels Non Identifiés) trouvent-ils rarement un public en dehors de chez eux, à tel point qu'on peut vraiment parler de manies, de délires culturellement spécifiques, en quelque sorte.
Après tout, les films complètement barrés de Lollywood avec leurs bruitages improbables et leur montage en roue libre font rarement recette hors Pakistan, à part chez quelques amateurs de nanards exotiques. Exception faite des Ehpads, on n'apprécie que très moyennement les policiers assommants et apathiques dont nos amis d'outre-Rhin ont le secret ; quant au Japon, ses manga érotiques racontant des relations très particulières entre frères et sœurs ou avec des tentacules... ouais, bon, ok, ça, ça a peut-être un peu plus de succès. L'exception qui confirme la règle, pour ainsi dire !
Eh bien nous aussi, on a notre petit trip franco-français. Je veux parler de toutes ces comédies (dramatiques) insipides et mollassonnes servies par des comédiens qui tirent la tronche et font le minimum vital. Toutes ces productions pantouflardes, volontiers cul-cul la praline sur les bords, très souvent stéréotypées et donneuses de leçons alors qu'au fond elles ne racontent rien tant elles demeurent d'une vacuité cinématographique et intellectuelle abyssale. Ajoutez une réal bien trop torchée pour susciter le moindre sentiment profond ainsi qu'un humour qui ne dériderait pas l'oncle Gégé après 3 litres de rosé à l'apéro dominical, et pas mal de noms viennent en tête : Navarro, Une femme d'honneur (dans le genre policier), Plus belle la vie, Demain nous appartient (dans le genre Feux de l'amour discount), Camping paradis (dans le genre apéro festif, coucou Gégé !)...
Mais il y a une série, UNE, qui aura hissé notre manie nationale au rang d'art. Le paroxysme de « la série française », le mètre étalon de ce qu'on peut faire de plus réussi en la matière, j'ai nommé : Joséphine ange gardien.
Joséphine, c'est qui ? Eh bien c'est un ange gardien, un vrai, un envoyé du Très Haut, avec apparitions lumineuses et tout le toutim. Jojo, elle est envoyée sur Terre pour régler les problèmes des humains. Je ne parle pas de la famine en Afrique, de la crise écologique ou des tensions géopolitiques mondiales, non, on reste quand même dans le premier monde, et apparemment aider un père à avouer à son fils qu'il est adopté, ça fait partie des priorités du Seigneur. Je ne nie pas que certains aient de graves soucis dans Joséphine ange gardien, mais enfin, si c'est ça les dossiers urgents là-haut, c'est qu'à moitié étonnant qu'on soit dans la panade...
Bref, que fait Jojo ? En général elle vient, se trouve un taf pour se couvrir, bien aidée de ses pouvoirs magiques (l'occasion d'admirer les magnifiques effets spéciaux de la série, attention c'est spectaculaire !) puis apprend à connaître les protagonistes. Euphémisme pour dire qu'elle s'immisce carrément dans la vie d'autrui en fourrant son nez dans ce qui ne la regarde pas — ce qui suffit à se faire envoyer paître par 99 % des gens, mais pas Joséphine ! Elle, c'est la star, il faut bien qu'elle finisse l'épisode..! Et c'est déjà bien commencé : scénar inepte au possible, réalisation fadasse, rythme de tortue sous tranquillisants... Pas de doute, ça va envoyer du rêve !
En général, chaque histoire aborde un problème de société, et ça se finit toujours pareil : le méchant revient à de meilleurs sentiments/est déjoué, Joséphine prend son ton le plus docte pour donner des conseils dignes de Psychologies Magazine au héros, et hop, avec un peu de dialogue et de compréhension, tout rentre dans l'ordre. Tout est affreusement cliché (série française, vous vous souvenez ?), les méchants sont choisis sur mesure pour le boomer de base qui lit Libé : facho/néo-nazi, patron exploiteur, parent trop strict axé sur la réussite de ses gosses... Enfin, on est quand même chez les Bisounours, donc ne vous attendez pas à trop de drame ou de violence. Tout cela reste parfaitement gentillet, dégouline de bons sentiments sauce politiquement correct prêt-à-consommer, avec une dose de paternalisme et de condescendance quand même assez ahurissante. Jojo voit tout, sait tout, pas d'inquiétude, elle est là pour nous expliquer la vie !
Notre ange, mélange improbable entre une assistante sociale insupportable et une magicienne au rabais (à moins que ce ne soit l'inverse) est en outre incarnée par Mimie Mathy, qui dans la vie réelle fait plutôt parler d'elle pour les fois où elle aurait été odieuse envers autrui... La boucle est bouclée pour cette série mielleusement hypocrite, centrée sur une actrice dont l'égo, lui, n'est visiblement pas de petite taille...