Joueur du grenier
7.7
Joueur du grenier

Émission Web YouTube (2009)

La leçon d'un papy qui dure et qui durera encore !

Presque dix ans. Oui, au moment où j’écris cette critique, cela fait presque dix ans que « Joueur du grenier » existe. A l’échelle de Youtube (et selon la temporalité propre à ce réseau social) c’est juste ENORME. Alors certes, c’est vrai, dans les faits la longévité n’est pas forcément gage de qualité. Néanmoins, elle peut nous interpeller sur les raisons de cette performance. On ne dure jamais aussi longtemps, à un tel niveau d’audience, sans raison. Il y a forcément derrière du gros boulot et une certaine forme de talent pour comprendre les attentes de son public. Or, moi ce que je trouve merveilleux avec ce « Joueur du Grenier », c’est que contrairement à des chaînes qui ont émergées en même temps et qui sont devenues depuis de véritables industries (je pense notamment à « Cyprien »), le « JDG » est parvenu à la fois à rester fidèle à son concept, mais aussi à conserver ce côté artisanal qui fait tout son charme et son identité, et tout cela en accomplissant parallèlement une remarquable mutation formelle.


Parce que oui, j’invite pour ceux que ça intéresse à revoir les débuts et observer l’évolution avec le temps. D’un concept de base simple et sympa tourné honnêtement mais avec les moyens du bord, aujourd’hui on est arrivé à des épisodes incroyablement denses, gorgés de références à de la pop culture, et qui démontrent une vraie science de la narration, du montage et de la mise en scène. En cela, je trouve que cette chaîne incarne même carrément ce qui se fait de mieux sur la scène française de Youtube. Et j’ai conscience qu’en disant cela, certains pourraient devenir dubitatifs quant à la mesure de mes propos. Parce que bon… « OK ils sont sympas et amusants les deux compères Molas et Rassiat, pourrait-on me répliquer, mais d’un autre côté ils ne réinventent pas Youtube à chaque vidéo non plus ! » Et à ceux qui penseraient cela je leur répondrai sûrement qu’ils ont raison. En soi, « Joueur du Grenier » n’invente rien comme concept. Je vais même aller plus loin en disant que leur format est finalement beaucoup plus proche d’un format télévisuel standard plutôt que d’un format typique de ceux qui sont apparus sur Youtube.


Après tout on a une thématique très proche de ce que faisaient des gars comme Jean-Pierre Dionnet au temps de « Cinéma de Quartier » ou Antoine de Caunes au temps de « Rapido ». C’est-à-dire des spécialistes d’un genre en marge qui profitent de l’émergence de nouveau canaux pour se risquer à animer une émission focalisée sur une niche culturelle encore dépréciée par le grand public. Pour chaque émission, Dionnet et De Caunes nous dégottaient un ou deux spécimens, les extraits étaient ensuite entrecoupés de leur présentation succincte en face-cam, et le tout était agrémenté de codes et de clins d’œil qui nous faisaient sentir que c’était bien là des passionnés qui parlaient à d’autres passionnés. En cela, « Joueur du Grenier » ne fait donc qu’adapter cette formule connue au service du Retro Gaming. Mais ce n’est pas grave, car au fond ce n’est pas l’essence-même du concept qui m’a fait tomber progressivement amoureux de cette chaîne. Non, ce qui m’a fait tomber amoureux de cette chaîne c’est bien la manière dont le duo Molas / Rassiat l’a exploité.


Parce que le bon Frédéric Molas aura beau rabâcher autant de fois qu’il le voudra qu’il ne considère son émission que comme une émission humoristique – certes autour du Retro Gaming – mais rien de plus, moi je reste malgré tout persuadé que « Joueur du Grenier », c’est bien plus que ça. Car comme je le disais plus haut, aujourd’hui, les épisodes du « JDG » sont devenus incroyablement denses. Or, avec le temps, je trouve qu’ils se sont aussi considérablement densifiés dans le fond. Au-delà des petites blagues d’énervement sur le gameplay foireux des « Tintin au Tibet » et autres « Ninja Turtle », il y a dans chaque épisode une vraie exploration des fondements du jeu vidéo. On ne rage pas seulement pour le plaisir de rager. On éduque sur les bases de la programmation, qu’il s’agisse de Hit-box, de pattern, ou bien encore de pathfinding. On questionne aussi ce qui fait qu’un jeu devient agréable à jouer tandis que d’autres – à ne pas respecter des règles élémentaires – deviennent de véritables purges. On s’interroge sur les processus de développement et on s’en moque. On replonge en permanence chaque jeu dans son contexte culturel. Et en plus de tout cela, même les blagues qui entrecoupent les tests ne sont en fait que des prétextes pour faire du lien entre les références culturelles de la culture pop d’hier et de celle d’aujourd’hui.


Et ce qu’il y a de justement brillant, c’est qu’au final on peut avoir l’impression que tout cela ne se réduit finalement qu’à un simple divertissement sympa et sans prise de tête réalisé par des mecs sympas. Non. « Joueur du Grenier » est bien plus que ça. C’est non seulement une émission qui a su se poser comme « passeur de savoirs » (J’adore cette expression de « Bits ». En plus ça colle tellement bien à « JDG »), mais en plus c’est une émission qui est parvenue à forger son propre syncrétisme culturel, en fabriquant finalement du neuf avec de l’ancien. Plus les épisodes s’enchaînent et plus l’émission pose des codes que les amis Molas et Rassiat se plaisent à reprendre et à détourner dans les épisodes suivants.


Alors oui, cela pourrait très rapidement fonctionner en vase clos et finir par s’étouffer dans la redondance et l’autoréférence mais, pour le moment, ce n’est toujours pas le cas. Et si pour moi ce n’est toujours pas le cas après maintenant presque dix ans, c’est parce qu’il y a chez ces deux types là un état d’esprit qui, à mon sens, fait toute la différence entre d’un côté les auteurs éphémères et de l’autre les grands auteurs qui laissent une trace durable. Parce qu’au fond, les auteurs éphémères – ceux qui disparaissent – ce sont ceux qui ont fini par se reposer sur leurs lauriers. Ce sont ceux qui ont considéré au bout d’un moment qu’ils étaient installés. Ou bien tout simplement, ce sont ceux qui sont arrivés à un niveau qu’ils ont jugé suffisamment satisfaisant pour arrêter les efforts de créativité. Frédéric Molas et Sébastien Rassiat ne sont pas de ces gens-là. Ce sont des gens humbles qui ont un incroyable respect pour ce dont ils parlent et pour ceux à qui ils parlent. Ils ne cessent de dire : « quand on n’aura plus rien à dire, on s’arrêtera. Quand on ne s’amusera plus, on s’arrêtera. » Du coup chaque épisode est bossé comme si c’était peut-être la dernière ligne droite. Ils donnent tout à chaque fois, ils sont exigeants, parce qu’ils ne veulent surtout pas duper qui que ce soit, et surtout pas eux-mêmes. Et c’est parce qu’ils creusent qu’ils trouvent encore. C’est cela qui les fait avancer et sans cesse progresser…


Et le pire dans tout ça, c’est que, personnellement, je crois Frédéric Molas quand il dit « on n’a pas la prétention de faire de la culture… Nous on fait de l’humour. » Je pense que ce n’est pas de la fausse modestie quand il dit ça. Et il le dit parce qu’il estime que ce qu’il fait est plus que perfectible. Il en voit chaque jour les limites et s’efforce de les repousser avec les moyens qu’il a conscience d’avoir ou de ne pas avoir. Et c’est parce que de son point de vue « Joueur du grenier » n’est qu’un petit truc qu’il cherche modestement à améliorer qu’en dix ans c’est devenu une si grande émission. D’ailleurs, plus qu’une grande émission, je planterai définitivement le clou en vous affirmant que pour moi, « Joueur du grenier » c’est plus que ça. C’est carrément une émission que je vois devenir plus tard une référence culturelle de choix. Or, je sais que je peux le dire sans crainte car il est évident que ces deux gars sauront s’arrêter à temps, au firmament de leur concept. Et rien que pour cela, franchement les gars, bravo. Et surtout merci…

lhomme-grenouille
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le 18 mai 2018

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