Comment rendre compte de la beaufitude avec humour et efficacité ? Et bien, simplement en brossant le tableau sans concession d'un personnage portant en lui toutes les tares de son époque et de son milieu : Kenny Powers.
Incarnation d'une certaine Amérique, Kenny Powers représente tout ce que l'on peut s'imaginer de pire et de plus caricatural sur l'américain de base : acculturé, d'une simplicité frisant la naïveté, épris de reconnaissance et confondant bonheur avec possession matérielle.
Si vous êtes réfractaire à l'humour trash l'épreuve sera sans doute plus difficile pour vous. On ne fait pas ici dans la délicatesse et les mots d'esprit. Les auteurs se mettent volontairement au niveau de leur sujet, c'est à dire au plus bas. Cependant, que l'on ne s'y trompe pas, peu importe que le sujet rase le sol, l'important dans l'art narratif est d'enfoncer profondément le stylo au coeur de son thème.
Et ici Ben Best et Jody Hill les créateurs et auteurs de la série (co-produite par Will Farell) enfonce le stylo profondément dans la chaire de leurs personnages. Aucune turpitudes ne leurs sont épargnées en quatre magnifiques saison à voir comme quatre films de 8 épisodes chacun : drogues, sexe, violences et excès en tout genre. Et tout en utilisant les ressorts communs de la narration sérielle (amour, quête de sens, relations filiales, naissance, mort, course au pouvoir et à la gloire) les auteurs donnent une vraie profondeur à leurs sujets tout en conservant l'homogénéité comique de l'ensemble.
Kenny Powers prend, par sa conception, la forme d'un tableau en quatre temps (Tremble Vivaldi, Kenny Powers aussi se décline en 4 saisons !). Le spectateur va suivre les errances et les pérégrinations d'un ancienne gloire (éphémère) du base-ball qui cherche à retrouver le lustre de sa vie d'avant. Imbu de lui-même, la tête plus grosse qu'un dirigeable, doté d'un ego gonflé à la testostérone, chargé d'un appétit de vivre et de jouir sans borne, Kenny Powers (qui s'est fait écarté des stades sur des soupçons de dopage) pourrait incarner à la perfection les Etats-Unis elles-mêmes.
Comme les Etats-Unis, Kenny Powers ne sait pas vivre loin des sunlights et des paillettes de la reconnaissance médiatique et se comporte en gourou auto-proclamé de son entourage persuadé de sa toute puissance et de son bon droit. Dominateur, raciste et macho plus par formatage que par un quelconque calcul intellectuel, le personnage (aussi spontané qu'un nouveau né) inspire d'emblée une empathie qui peut mettre certains mal à l'aise. Mais rassurez-vous, la distanciation fonctionne pour les âmes sensibles : on ne rien pas "avec lui", on rit bien "de lui".
Pour être tout à fait objective, la série n'est pas exempte de défauts (certains de ses personnages secondaires et certaines situations outrancières par exemple), mais elle garde tout au long de ses quatre saisons une vraie férocité d'écriture, ce qui donne lieu à une saine mise en abîme entre sa forme et son fond. Exemple de cette mise en abîme : Kenny Powers, celui qui rate presque tout dans sa vie, se targue d'écrire (enfin en bon adepte des raccourcis, il enregistre plus qu'il n'écrit car ce sont des livres audio) des ouvrages où il se raconte, où il se réinvente et enfin où il explique aux autres comment réussir leur vie.
Savoureux, graveleux, infernal et doté d'un rythme presque parfait, cette série s'adresse à ceux pour qui la vulgarité n'est pas dans le sujet, la forme ou les mots, mais plutôt dans le fait de faire semblant d'ignorer cette part tout à fait indissociable de l'être humain. Cette part que la bien-pensance actuelle a remisé abusivement au rang de vulgarité la part primaire de l'homme faite de vanité, de domination, de sexe, de désirs, d'illusions, de naïvetés et d'une spontanéité rafraîchissante.
Alors si avez envie de rire sans fausse pudeur, voilà une série que vous pouvez tester. Si vous ne faites pas de plaques d'urticaire avant le 3e épisode, alors c'est une série pour vous. Et si vous hésitez, forcez-vous un peu que diable ! L'acteur principal, Danny McBride, au talent incontestable finira de vous convaincre mieux que moi... ou presque !