Pas déplaisant dans son format, ce documentaire en 4 parties a le mérite de faire intervenir des témoins qu'on n'a pas souvent eu l'occasion d'entendre, comme Maxime Kahn, le trader qui a débouclé la position de Kerviel pendant trois jours, sans savoir ce qu'il faisait réellement. J'ai bien aimé aussi le témoignage de Daniel Bouton, qui semble très marqué par cette affaire au point qu'il a dû faire une cure de sommeil en clinique et qu'il a rapidement démissionné par la suite. J'ai trouvé aussi intéressant de voir comment trois avocats successifs, Dupond-Moretti, Metzner et Koubbi, se sont servis de Kerviel pour se pousser du col sans jamais servir les intérêts de leur client, totalement dupe de ce qui lui arrive.
Je ferais néanmoins deux reproches à ce documentaire : premièrement il épouse la thèse de Kerviel dans une enquête à charge, faute sans doute d'éléments plus probants pour tenir une autre ligne sur quatre épisodes (la vérité est souvent aussi brève que décevante) ; deuxièmement, il ne répond pas aux questions qu'il pose. Et sur ce dernier point, j'aimerais bien savoir :
- En 2007, Kerviel aurait gagné 1,4 milliard d'euros, ce qui n'est jamais confirmé par quelqu'un d'autre. Pourquoi ?
- En 2007 toujours, Kerviel n'a déclaré que 50 millions sur son 1,4 milliard. Pourquoi ?
- Kerviel prétend avoir utilisé son argent pour aider ses collègues qui n'avaient pas atteint leurs objectifs. Pourquoi ?
- En 2006, Kerviel touche 40k de salaire fixe annuel + 60k de bonus. Il a fait 11 millions de profit cette année-là. Manifestement, il est sous-payé. Pourquoi ne va-t-il pas voir la concurrence à ce moment-là ?
- Kerviel nous explique qu'il ne connait rien à l'informatique en arrivant à la Société Générale mais que le week-end, il lit des bouquins et développe des petits programmes informatiques. On a un peu de mal à croire que dans une banque où la moindre installation d'un logiciel requiert l'intervention d'un administrateur réseau, il puisse installer comme ça des logiciels de sa propre création. Je ne dis pas que c'est faux mais on aurait aimé que cette surprenante pratique soit un peu plus étayée par d'autres témoignages, son copain informaticien avec qui il va boire une bière par exemple.
- Kerviel prétend que la pratique du « carpet » qui consiste à cacher ses pertes est monnaie courante chez Delta One (8 traders) et dans la finance. On n'a aucun témoignage qui vient étayer ce fait. C'est regrettable.
- Début 2008, le corbeau Kerviel rompt sa relation avec le renard Moussa Bakir, son broker. Pourquoi ?
- Comment Kerviel a-t-il contourné les plafonds imposés à Delta One ?
- En 2007, Kerviel a déclenché 74 alertes du contrôle interne de la SG. Est-ce un nombre élevé par rapport à d'autres traders ? Comment la SG explique qu'elle ne l'ait pas stoppé à ce moment-là ?
- En 2007, Kerviel appelle à 460 reprises un cabinet de voyance selon Vincent Vantighem, journaliste à 20 minutes à l'époque (et excellent live-twitter de procès par ailleurs). Kerviel minimise à deux ou trois fois. Pourquoi ne pas le mettre face à ses contradictions ? Par peur de saper une crédibilité déjà très entamée ?
- Si la SG savait qu'un de ses traders « jouait » 50 milliards, est-ce qu'elle n'aurait pas plutôt mis en place une équipe un peu plus chevronnée que Kerviel tout seul, qui, de son propre aveu, demeure un petit calibre dans le monde de la finance ? Pourquoi laisser un type aussi peu considéré, il n'y a qu'à constater son salaire pour s'en convaincre, manipuler des sommes aussi énormes ?
- Concernant la Société Générale, je ne suis pas sûr que la négligence dans le contrôle soit, pour une banque, une circonstance moins aggravante que la malhonnêteté. Ça mériterait d'être étayé en tout cas. Goldman Sachs se porte très bien, à titre d'exemple.
- Sur le crédit d'impôt de 2,2 milliards, qui est selon Kerviel, la raison pour laquelle il est seul à porter le chapeau, la SG ne l'a pas utilisé, comme c'est dit à la fin. Et de toute façon, l'État français ne laissera jamais une banque de cette importance faire faillite. Elle ne l'a pas fait avec le Crédit Lyonnais ou Peugeot. Donc cet aspect du documentaire ne tient absolument pas la route.
- L'interview de François Hollande est totalement lunaire. D'abord on ne comprend pas bien ce qu'il vient faire là, son expertise étant assez limité. Ensuite, il prétend que son ennemi est la finance tout en reconnaissant que sans elle, l'État serait incapable de financer son déficit. C'est un peu paradoxal, non ? Enfin, et c'est sans doute le pire, il dit « ce n'est pas à l'État de payer l'incurie du privé », ce qui appelle deux remarques : l'État ne prête pas d'argent gratuitement, ou alors il devient actionnaire et touche des dividendes. Ensuite, c'est justement parce qu'on a laissé Lehmann Brothers faire faillite qu'on a eu la crise des subprimes. Évidemment qu'il aurait fallu sauver Lehmann (et sans doute poursuivre pénalement son top management). Ce type est donc soit un démagogue, soit un mec qui ne comprend rien à l'économie.
Sur la personnalité de Kerviel enfin, qui croit qu'il suffit d'appeler les gens par leur prénom pour être leur ami, jamais les auteurs du documentaire ne questionnent son déni, sa crédibilité ou sa mythomanie. Le mec a joué, il a perdu. Mais non, rien à faire, c'est la faute de tout le monde sauf de la sienne. Ce type a un comportement totalement erratique et immature, quand il n'appelle pas Madame Irma, il va voir le Pape et dénonce la finance qu'il a si mal servi. Pourtant il a avoué, avec une petite voix penaude et contrite devant sa hiérarchie. Il a aussi avoué devant le juge d'instruction et en garde à vue. Mais malgré ça, il conteste encore les faits, ce qui fait qu'on a tendance à douter de tout ce qu'il dit, et ce d'autant que jamais les auteurs du documentaires ne questionnent son déni, sa crédibilité ou sa mythomanie. 4X45 minutes avec aussi peu de sens critique sur Jérôme Kerviel, c'est finalement assez gênant.