Actuellement, s'il est un secteur de l'audiovisuel qui est en pleine expansion et qui truste les meilleurs résultats, il s'agit à n'en point douter du marché du documentaire. L'Institut National de l'Audiovisuel présentait d'ailleurs, à ce titre, une étude en début d'année 2024 selon laquelle, depuis l'an 2000, il y aurait eu une multiplication par douze des créations dans ce domaine. En effet, on ne compte plus les séries et autres productions centrées sur l'histoire d'un personnage, plus ou moins célèbre, présenté à travers une décortication de sa vie. Le sport, la politique, les affaires, les tueurs en série... Tous les sujets sont visiblement bons pour créer un documentaire, peu importe l'absence d'éthique ou de moralité de l'individu mis en lumière. A titre d'exemple, le célèbre escroc de la finance Bernie Madoff, célèbre pour ses carambouilles basées sur le "système de Ponzi", avait été le personnage principal d'une série Netflix intitulée Madoff : Le monstre de la finance. L'aigrefin Jérôme Kerviel n'avait pas encore eu droit à cet honneur. C'est maintenant chose faite avec Kerviel : Un Trader, 50 Milliards produit par Max en cette fin d'année 2024.
Ledit documentaire réalisé par Frédéric Garson retrace méticuleusement, point par point, le désastre spéculatif de Jérôme Kerviel en se concentrant sur l'annonce de la perte par la Société Générale, l'une des plus grandes banques françaises, de quasiment 5 milliards d'euros suite à ses actions ainsi que les conséquences désastreuses des actes de ce faux génie de la finance. En parallèle, le réalisateur fera le choix d'examiner la personnalité du trader, notamment à travers divers témoignages dont celui de Jérôme Kerviel himself.
Ainsi, les différents épisodes s'articulent autour de l'énonciation des circonstances de la fameuse escroquerie en passant d'un argumentaire à un autre. Se succéderont ainsi une multitude de protagonistes : des anciens cadres de la Société Générale, en passant par des anciennes "petites mains" de la banque jusqu'au principal protagoniste, responsable de la perte sèche à dix chiffres. On pourrait espérer là que la diversité des témoignages permettrait, à tout le moins, un semblant de neutralité. Que nenni ! Il suffira au spectateur d'attendre une poignée de minutes pour comprendre que le biais pris par les producteurs de Kerviel : Un Trader, 50 Milliards est on ne peut plus subjectif. Comme souvent avec les documentaires de ce type, le personnage objet de la série est présenté comme un Robin des Bois, un héros salvateur, pourfendeur des puissants, protecteur absolu de la veuve et de l'orphelin, agissant pour le bien commun et en aucun cas pour son intérêt personnel. Inutile de préciser que la réalité est bien éloignée de la fiction présentée ici.
Dans le même temps, le spectateur ne pourra que regretter le choix opéré par le réalisateur, Frédéric Garson, de limiter son projet à une simple énonciation minutieuse des exactions commises par Jérôme Kerviel sans porter un réel regard critique sur le système bancaire post crise des subprimes. En effet, l'occasion était belle de dénoncer une méthode vacillante aux contours instables, où l'hypothèse et le risque prenaient le pas sur la protection des deniers confiés par la clientèle des établissements bancaires. Le documentaire aurait pu se transformer en pamphlet contre l'ultralibéralisme et son organisation déshumanisée. Au contraire, il se contentera d'un simple déroulé des faits sans analyse concrète de la situation. La déception n'en est que plus prégnante.
Partant, le documentaire Kerviel : Un Trader, 50 Milliards est un projet à l'aspect ambitieux, aux idées parfois intéressantes, mais malheureusement mal né et mal articulé autour d'une trame brinquebalante et manquant d'ambition. Le rendu apparaît alors comme une énième série de seconde zone, indigne d'intérêt et, comme souvent, incapable d'apporter une réelle plus-value au spectateur. Celui qui s'intéresse au monde de la finance et à ses aspects lugubres préférera, à n'en point douter, visionner le film The Big Short : Le Casse du siècle, centré sur la crise des subprimes, qui demeure lui un must have sérieux et critique des méthodes utilisées par les traders et autres loups du monde de la Bourse.