Franchement, je n’avais jamais ressenti un tel ascenseur affectif avec une série. Impatient de revoir une collaboration entre Jim Carrey et Michel Gondry, je me suis jeté dessus dès sa sortie. Première tentative : échec. Pas accroché à la première moitié de la saison 1. Mais...j’ai choisi de persévérer et, bon dieu, j’ai bien fait. Voici ce que j’ai tiré de la deuxième (et fructueuse) tentative :
Le récit, plutôt original, narre les espoirs et (surtout) le désespoir de Jeff Peakles (Jim Carrey), l’animateur mondialement connu d’un show à marionnettes pour enfants. La mort d’un de ses deux fils confronte cette homme d’une bonté caricaturale à l’éclatement de sa famille. Pour autant, il refuse de renoncer à son émission, qu’il considère avant tout comme un moyen de transmettre bonheur et bonté aux enfants qui le regardent. Ainsi, il prend le risque de continuer en comptant sur le soutien de sa sœur (qui confectionne les marionnettes) malgré les doutes de son père (également le « patron » de l’émission). C’est donc la dialectique constante entre les souffrances de Jeff et son idéalisme sans faille qui constitue ce drame burlesque et mélancolique.
Phase bateau : « Kidding, on aime ou on aime pas ». Parce qu’au format série, qui peut amener à de belles découvertes mais qu’on est peut-être plus habitué à consommer comme du fast-food, le temps peut vite paraître long si l’on n’apprécie pas le spectacle.
Bon, mis à part une temporalité un peu hasardeuse qui peut rendre le tout trop confus pour être immédiatement compris, cette série est singulièrement touchante. Touchante parce que drôle et triste à la fois, sans jamais tomber dans le cynisme d’une comédie noire.
...Et en plus elle « féréfléchir ».
La bonté malmenée
En pressentant le ton moral de la série, j’ai craint une énième leçon de savoir-vivre sauce « sjw ». Mais pas du tout. La bonté de Jeff n’est caricaturale que pour être mieux, et plus finement, questionnée. Avec un certain sadisme empreint de pitié, on se demande à chaque épisode si Jeff va craquer, s’il va disjoncter. La mort de son fils, la séparation avec sa femme, le nouveau compagnon de cette dernière, la relation avec son redoutable père, la dure loi de la télévision. Qu’est-ce qui brisera sa tolérance et ses idéaux ? Quel événement finira par l’empêcher de penser comme il voudrait que pensent les millions d’enfants qui regarde son émission ?
Si le sentiment d’avoir un devoir ne quitte pas Jeff, son regarde n’en est pas moins changé par les bouleversements de sa vie privée. Et cela le mène logiquement à reconsidérer les valeurs à transmettre et moyens d’éduquer ses jeunes téléspectateur. Mais...ces valeurs ne sont-elles pas trop naïves ? Sont-elles universelles ? La confiance des enfants dont bénéficie Jeff Peakle peut-elle s’avérer dangereuse ?
Les auteurs vont pousser cette thématique jusqu’à l’épisode complètement fou de la saison 2 (E5), mettant en scène une émission de Jeff sur le divorce (avec, oui, Ariana Grande en guest). On y reconnaît d’ailleurs l’habile patte de Michel Gondry, et son talent pour aborder des sujets délicats sur un ton des plus enfantins.
La société du spectacle
Mais la série « féossiréfléchir » à notre monde où l’économie repose en grande partie sur la communication et les connexions qu’elle implique. Qu’est-ce que représente un travail, fut-il artistique, dans un monde ou tout peut être reproduit, réutilisé, transformé, travesti ?
Relisons ce cher Guy Debord :
« Le travailleur ne se produit pas lui-même, il produit une puissance indépendante. Le succès de cette production, son abondance, revient vers le producteur comme abondance de la dépossession. Tout le temps et l’espace de son monde lui deviennent étrangers avec l’accumulation de ses produits aliénés » La Société du Spectacle.
Jeff et sa sœur Deirdre, ouvriers de leur émission, et même Seb, leur père et patron « à l’ancienne », tous les trois tentent à leur manière de faire face à la dépossession nécessaire de leur œuvre. Car oui, pour que cette œuvre puisse vivre ou même survivre, il faut prendre en compte l’impact des propos tenus sur l’audimat, savoir taire ce qui n’est pas audible, mais aussi surfer sur la vague de produits dérivés. Ce dernier se retrouve ainsi a vivre entouré de références à son émission (marionnettes, jeux vidéos, jouets à son effigie), sans pour autant être obsédé par sa propre image dont il est pourtant dépossédé.
Étonnante étrangeté...
En s’identifiant à Jeff, on est vite plongé dans un monde ou la réalité et le rêve se confondent. Parce qu’au delà des deux thèmes mentionnés au dessus (et des autres), cette série est un « état-limite » quasi permanent. La dépression, la folie, la mégalomanie, les addictions, tous ces maux devant lesquels le réel se fissure affectent les personnages, les poussant parfois aux pires extrémités. Le travail, la famille, les amis : la mise à l’épreuve de ces trois dimensions de la socialité proche est mise en scène. C’est pour cette raison que Kidding est touchante, parce qu’elle parle de ce qui nous concerne tous, sans niaiserie, sur un plateau aux allures de l’île aux enfants de Casimir. Dans Kidding, le burlesque écarte la mièvrerie sans tuer l’émotion. Et l’on attend avec impatience la suite des aventures de Jeff Peakles.
A voir, vraiment !