Oh, Alain...

Commençons par le commencement: je ne déteste pas Alain Soral, à certains égards j'aime bien Alain Soral. En tout cas il me fait rire. Mais aussi il me fait un peu pitié. Enfin, c'est un personnage symptomatique, peut-être même emblématique, et c'est pour ça que je perds mon temps pourtant précieux à écrire sur lui...

Tout d'abord il y a la partie drôle, celle de la rhétorique soralesque. J'adore la foi qu'il met dans ses formules péremptoires, ces slogans qu'il martèle avec une conviction qui fait presque envie. Ah, le fameux "complot atlanto-sioniste"! le "féminisme libéral", ces raccourcis de la pensée qu'il emploie avec l'assurance sans réserve qui était jadis celle des militants du PCF récitant leur catéchisme dialecto-matérialiste... à chaque fois, je pouffe...

Et puis, il y a l'égo d'Alain... et là, c'est pas rien! Encore une fois ça fait presque envie. Il s'est fait tout seul, sait tout, a réponse à tout et les autres ne peuvent au mieux qu'espérer corroborer ses dires. Il tient à son image faite d'intégrité brutale, de certitude inébranlable et de machisme beauf. Dans le temps on appelait ce genre de mecs des phallocrates, mais ce genre de terminologie est un peu passée de mode et de toute façon Alain, il dirait que ce sont des catégories de féministes libérales hystériques vendues à l'or juif...

Mais hélas, il y a le coté moins marrant d'Alain... oh, non je ne parle pas de son discours qu'on peut bien dire antisémite, ou alors de son machisme féodal, ou alors de sa foi adolescente dans les vertus du christianisme français (tellement rock 'n roll ce christianisme français!)! Non, c'est le fait que quand j'écoute Alain, je me retrouve souvent à acquiescer... Ben oui, parce qu'il n'y a pas que des conneries dans le discours d'Alain, et c'est aussi là ce qui déçoit le plus. Je m'explique.

On retrouve des trucs intéressant: sur la culture de l'islamophobie, le lien entre immigration et économie, la politique étrangère US, l'emprise du capitalisme de marché sur la société européenne, plein de thèses avec lesquels je suis d'accord, en fait... mais c'est surtout là que ça pèche, parce que toutes ces belles choses est sans considération passé à la moulinette des théories du complot et de la paranoïa qui va avec...

Le problème des théories du complot, c'est qu'elles opèrent sur le registre de la suspicion légitime. Ben oui, tous les détails ne collent jamais vraiment... il y a toujours moyen de mettre en doute les versions officielles... et par définition, elles sont surtout une affaire de foi. On ne convaincra jamais un complotiste avec des preuves puisqu'il se base sur l'assomption que les preuves peuvent toujours être manipulées et la foi qu'il doit y avoir une raison (de préférence qui colle avec leur vision du monde) à toute chose. Les complotistes ont une haine fanatique de l'indétermination!

Alors pourquoi les juifs? Hé bien, l'idée du complot juif est un peu coextensive au capitalisme et est née avec le nationalisme industriel. Le juif incarne le capital apatride, celui qui ne sert que lui-même, qui détruit les valeurs nationales et traditionnelles. En cette période de scepticisme très fort ce genre de thèse a une force qui n'a pas de prix: elle met un nom sur les malheurs de tout le monde. Votre femme vous fait chier parce que vous refusez de faire à bouffer? Complot sioniste! Vos gosses sont des merdeux obsédés par leur nouvel iPhone? Complot sioniste! Votre quartier n'est plus sûr et vous avez peur des bronzés? Complot sioniste! Ça a le double avantage d'être simple et déculpabilisant. L'absence de nuance de Soral est de ce point de vue une vertu chèrement cultivée: Française, français, belge, belge, ce n'est pas la faute à ta culture... tout ça c'est qui? C'est COMPLOT JUIF!

Parce que oui, Soral serait antisémite... il s'en défend et j'ai envie de le croire parce que je suis comme ça, sympa, et que j'aime à penser que les gens ne cachent pas toujours des préjugés haineux derrière leurs déclarations de façade... je ne force par contre personne à partager mon optimisme... mais cela relance un peu involontairement la question de l'équivalence antisionisme=antisémitisme... pourtant pas mal de juif sont antisionistes, ça empêche pas.

Parce que l'antisionisme de Soral, je serais prêt à le pardonner... je ne suis ni pro, ni anti... j'ai tendance à considérer que c'est la force qui fonde le droit, et que les récits qui viennent justifier cette fondation, ben, c'est un peu les gouts et les couleurs... je ne vois pas plus de légitimité d'un coté que de l'autre.

Mais Alain ça le chipote cette histoire d'absence de fondement dans la légitimité, ça revient à cette vieille histoire d'indétermination. Le monde va à vau-l'eau, les repères se brouillent, nous sommes manipulés, mais où diable trouver un fondement solide sur lequel rebâtir? Cette nouvelle fondation il va la chercher dans la tradition.

Un pays comme la France a été bâti, ni plus ni moins que n'importe quel état, par la force... La différence de la France, c'est qu'elle peut se prémunir d'une longue histoire, d'une forte reconnaissance et de ce qu'on peut bien appeler une tradition... Mais le capitalisme post-industriel a tout saccagé, de la solidarité sociale à la structure familiale, pour nous plonger dans le marasme d'un consumérisme carnassier obsédé par sa propre continuation. Pour soutenir la croissance, il a lancé le pillage systématique de la terre et créé un empire de domination au risque d'amener l'humanité aux portes d'un conflit cataclysmique. Que faire? Alain, lui, il se rabat sur les bonnes vieilles recettes éprouvées: famille, église, patrie, et tout le toutim, moi je trouve qu'il y a plus sexy mais lui si ça lui va je ne trouve rien à y redire: le passéisme est une façon comme un autre de vivre sa vie. La tradition a cette tendance à gommer la violence de la fondation... ça pare d'un lustre coquet, y'en a beaucoup qui aiment.

Alors oui, Soral est bien symptomatique: beaucoup de gens se sentent dépossédés de leur destin et ont l'impression d'être les jouets d'un capital sans visage et des républiques bananières à leur solde. Beaucoup de gens cherchent des alternatives au libéralisme globalisé. Alain leur parle... dans un discours amphigourique mâtiné de complot, de prétention faramineuse et de paranoïa lepenesque...

Alors, qu'on ait peur de ce genre de coco me dépasse (à moins qu'il n'y ait vraiment un complot juif et là j'aurais l'air vraiment très con!), qu'on puisse l'apprécier je le comprends. Mais entre les moments où il me fait rire, il me fait surtout regretter que certains s'imaginent que c'est ce genre de gugusses qui incarnent la dissidence et l'esprit critique en France et en Europe... c'est peut-être hélas qu'on révère ce genre de zozos qui est révélateur de notre triste manque d'imagination.

PS: je voulais pas mettre de note, mais le système fasciste de SC ne permet pas ce genre d'abstention, alors ben, je mets trois, mais j'aurais pu tout aussi bien mettre dix, ou un...