Abouti à chacun de ses niveaux, envoûtant et onirique, ce chef-d’œuvre d’HBO surpasse, scénaristiquement et formellement, tout ce qui a été vu ces dernières années dans l’univers télévisuel, voire cinématographique, plusieurs références de la série se rattachant d’ailleurs à des œuvres majeures du septième art comme Freaks, Des souris et des hommes ou La nuit du chasseur, et à quelques aspirations lynchiennes aussi que l'on retrouve, souvent, dans une atmosphère étrange et inquiétante propre au réalisateur protéiforme.
C’est l’Amérique des années 30, le crach de Wall Street entraîne la Grande Dépression, le fascisme monte en puissance en Europe, et le Dust Bowl (tempêtes géantes de poussière) ravage tout le Middle West, entraînant mort, dégénérescence, pauvreté, famine et migration massive. C’est dans ce contexte difficile que la lutte ancestrale du Bien et du Mal, aveugle aux yeux des hommes, continue de se dérouler par le biais de ses deux avatars, Ben Hawkins et Frère Justin Crowe, eux-mêmes fils des précédents avatars.
Carnivàle alterne l’univers des deux hommes jusqu’à la rencontre cathartique, la fête foraine itinérante pour Ben, le milieu religieux pour Frère Justin, installant et observant patiemment deux mondes qui finiront par se croiser lors d'un duel apocalyptique. La procession des forains est emblématique, elle construit l’ambiance visuelle et le look graphique de la série. Les décors, les costumes, les acteurs, la mise en scène, la lumière, la musique, tout concourt à créer un environnement particulier superbement rendu qui donne presque à ressentir, à éprouver la chaleur et la poussière, la sueur et le vent, en plus d'un climat déliquescent propre à la période historique en cours, sombre et dure où la condition humaine désespérante pouvait se résumer à la loi du plus fort.
Carnivàle brasse également plusieurs thèmes de façon cohérente tels que le fanatisme religieux, l’obscurantisme, l’acceptation de soi et de son destin, et décrit également tout un pan méconnu et passionnant de l’histoire américaine. La série, interrompue après deux saisons en raison d’une faible audience (et malgré des critiques impressionnées), s’achève forcément sur un goût de frustration. En dépit des nombreuses questions qui resteront sans réponse, il est possible, plus ou moins, de comprendre que dans cet éternel combat entre deux contraires, personne n’a gagné et personne ne gagnera jamais vraiment, l’humanité se construisant et se reconstruisant sans cesse sur des bases multiples et antagonistes qui font tout l’intérêt, toute la complexité de la vie.