Toute la force de Carnivale, traduit par La Caravane de l’étrange pour l’exploitation française, réside dans cette intemporelle et éternelle lutte entre le bien et le mal. Une lutte qui s’étend sur les grandes étendues sans horizon de l’Amérique. Nous suivons les mésaventures d’une troupe d’itinérants du spectacle, avec qui on prend la route d’un territoire désertique encore vierge où se joue les enjeux de cette dualité entre un jeune guérisseur et un prêcheur dément.
Le créateur de la série, Daniel Knauf, réussit par une juste alchimie mixant plusieurs influences du folklore cinématographique, à imposer une sorte de continuum événementiel qui s’inscrit durablement. Dès un premier épisode littéralement bluffant, il nous embarque dans un univers ultra référencé, on pense à David Lynch pour le côté étrange ou le rationnel côtoie l’inexplicable, à Todd Browning pour sa peinture humaniste d’une communauté de « freaks » à laquelle on s’attache assez aisément et tout ça se déroulant pendant la période de la grande dépression, magnifiquement relatée par les livres de John Steinbeck ou les peintures de Dorothea Lange. Où quand Les Raisins de la Colère croisent l’univers d’Elephant Man.
Au-delà du visuel super léché et des attributs induits par une écriture très travaillée des divers personnages, ce qui est particulièrement frappant et s’incruste durablement, pendant et encore après le dernier épisode de ces deux saisons, c’est ce cheminement labyrinthique emprunt de mysticisme n’obnubilant jamais l’aspect profondément humain des quidams, qui interroge sur l’aspect sous-terrain de la construction du sol américain, et par extension, du monde en général, et de rendre tout cela crédible malgré les multiples pistes irrationnelles qui jalonnent le récit.
Le pilote de la série, magnifiquement mis en scène par le réalisateur colombien Rodrigo Garcia, réussit, grâce à une construction méthodique, à imposer toute une palette de personnages atypiques forts et passionnants, et cela ira crescendo au gré des épisodes qui présentent tous un véritable intérêt d’un point de vue scénaristique, et qui font évoluer l’intrigue, malgré les multiples pistes empruntées et cette forme labyrinthique naissante qui parvient souvent à nous égarer, toujours pour le meilleur, Lynch et sa science du forage ne sont jamais loin.
Au-delà de la construction narrative mettant en évidence le combat entre les deux principaux protagonistes, le jeune guérisseur interprété par Nick Stahl et le prêcheur qui sombre dans le mal absolu à qui un Clancy Brown de haute volée prête ses traits, nous avons droit à un incroyable défilé de second rôle tous plus géniaux les uns que les autres. Le personnage de Samson, le nain de Twin Peaks, incroyablement charismatique en chef de troupe, cristallise à lui seul toutes les ambigüités d’un schéma narratif interrogeant en permanence sur l’idée de mystère enfoui. Il semble détenir des secrets qu’il est le seul à pouvoir juguler, afin de garder le groupe soudé. Il fait référence à un grand patron, une voix étrange derrière des rideaux dans une roulotte dont il est le seul à détenir la clé, et construit ainsi une sorte de jeu de dupes basé sur les apparences et les croyances y étant induites. Toutes les subtilités et les secrets de la magie du cirque, rendre crédible l’invraisemblance.
A ce groupe itinérant, formé d’artistes divers : de la femme à barbe, aux sœurs siamoises en passant par la diseuse de bonne aventure, ainsi qu’un duo de strip-teaseuses mère et fille, vient s’ajouter un jeu homme qui à le pouvoir de guérir. C’est vers ce personnage qu’ira notre empathie, il est le représentant du bien en quête permanente d’un secret enfoui. Face à lui, un prêcheur qui a choisi la voix du mal et n’aura de cesse d’user de son aura afin d’arriver à ses funestes fins. Il est intéressant de constater qu’il utilisera les médias et les politiques pour étendre son domaine de lutte acharnée. Chacun pourra se faire sa propre idée et ses propres intentions sur ce constat qu'on pourra, selon ses opinions ou idéaux, définir comme implacable.