La Famille Addams
7.1
La Famille Addams

Série ABC (1964)

Charles Addams est le créateur de l’adorable famille Addams avec une série de dessins doucement macabres, assurément drôles, publiés dès 1938 dans le prestigieux The New Yorker. Ils ont été édités pour la première fois en France (enfin!) en 2016 chez Huginn & Muninn (merci!).

Mais c’est bien la série télévisée diffusée entre 1964 et 1966 qui fera connaître au plus grande monde le travail de Charles Addams et fixera les canons de cette famille décalée, d’un gothique amusé, décliné ensuite en différentes moutures, dont le célèbre film de 1991 et sa suite en 1993, un film d’animation en 2019, fortement conseillable, et sa suite en 2021. Le thème musical de la série, composé par Vic Mizzy, est d’ailleurs un classique, revenu dans d’autres adaptations mais aussi facilement reconnaissable en dehors, qui donne immédiatement envie de claquer des doigts. Ses autres compositions pour la série sont d’ailleurs toutes réussies.

C’est d’autant plus remarquable que cette série a été créée en réaction à l’annonce d’un projet semblable chez CBS avec Les Monstres, qui n’aura pas chez nous la même popularité. La chaîne concurrente ABC décide de lancer une série en reprenant le travail d’Addams, et toutes deux seront en concurrence frontale, lancées exactement la même semaine. La série est donc ainsi crée dans une ambiance de guéguerre entre les deux chaînes.

Et pourtant, quelle réussite ! Malgré les décennies, les toiles d’araignée dont raffolent tant les Addams n’étouffent pas la série, qui a réussi à conserver son humour et son charme.

Certes, les premiers épisodes ne sont pas les meilleurs, peut-être écrits un peu trop vite, pour pouvoir être lancés en même temps que ceux de la série de CBS. Ils se reposent un peu trop facilement sur la même idée, celle d’un personnage de la bonne société qui va se retrouver confronté à l’univers particulier de la famille, dans le premier épisode un fonctionnaire de l’Éducation nationale, il y en aura d’autres, et qui va vouloir s’en sortir au plus vite. Les autres épisodes continueront parfois cette idée, mais en utiliseront d’autres, permettant d’approfondir l’histoire familiale (bien chargée en loufoqueries) ou de développer d’autres thèmes. L’épisode où le majordome Lurch devient le chef de la maison est ainsi assez croquant.

Il faut reconnaître à la série des personnages truculents, ancrés dans cet univers où le macabre utilisé l’est pour de rire. La galerie des membres de la famille Addams est loufoque et campée par des acteurs formidables, complètement investis dans leurs attributions, aux voix fortes et reconnaissables : difficile dans ces conditions de ne pas s’étaendre sur leurs qualités et leurs particularités.

La belle Carolyn Jones (qui avait déjà fait carrière au cinéma) est la chaleureusement ténébreuse Morticia, mère et femme, toujours de bon conseil, selon le point de vue des membres du foyer. Maniérée à sa manière, elle est engoncée dans sa robe noire qui ne lui permet que de marcher à petit pas, dans une démarche qui n’appartient qu’à elle. Gomez, son mari, est fou d’elle, et même encore plus dès qu’elle prononce un mot en français (en VO, bien entendu), balayant son bras de millelou baisers, son ardeur freinée par Morticia pour diverses raisons. On aurait pu craindre une certaine pudibonderie à la vue de l’époque de la série, et pourtant ces deux-là s’aiment, avec une certaine passion, et même quelques sous-entendus. Gomez est l’homme de la maison, mais sans aucune gravité, c’est un enfant, toujours rieur, toujours entraînant. John Astin est incroyable, d’une énergie folle, même quand il est sérieux il se dégage malgré tout quelque chose d’amusant dans son visage. Gomez est un homme d’affaires, avocat à ses heures, peu importe, l’argent sort par brouettes, plus souvent qu’il ne rentre, dans une certaine insouciance. Sa grande passion est l’explosion de petits trains, mais il pratique aussi de nombreuses activités dont le zen yogi, l’escrime, ou le saut sur trampoline, toujours dans un grand salon qui accueille toutes les occupations farfelues de la famille.

Oncle Fester est un autre membre farfelu, un peu grognon, amateur d’explosifs, aux idées particulières, et le plus souvent assez maladroit. Une carrure assez imposante sur laquelle repose un visage joufflu et chauve, très expressif, qui n’est autre que celui de Jackie Coogan, le Kid de Chaplin ! La série n’est pas en manque de physiques particuliers avec celui de Ted Cassidy, le majordome Lurch, un semblant de monstre de Frankenstein, absolument saisissant, toujours présent, parfois réticent aux idées folles des autres personnes, qu’il exprimera par un grognement ou des yeux vers le haut, mais toujours impliqué malgré sa désapprobation évidente. Il est assisté dans ses attributions domestiques par The Thing, une main sortant le plus souvent d’une boîte, idée géniale, prête à décrocher le téléphone, apporter le courrier ou autre objet.

D’autres personnages font partie de cette famille, mais n’ont pas les honneurs de tous les épisodes, parmi lesquels les enfants, le grassouillet garçon Pugsley joué par Ken Weatherwax mais surtout l’adorable et malgré tout un peu inquiétante Wednesday que Lisa Loring incarne merveilleusement bien, bien avant la délicieuse Christina Ricci en 1991 et 1993. De nombreux acteurs connus de l’époque feront des apparitions dans la série, dont Margaret Hamilton, la sorcière du Magicien d’Oz.

Alors que les différents intervenants extérieurs auront le plus souvent envie de prendre envie leurs jambes à leur cou, ou resteront dans les parages de la maison familiale dans l’intention d’en retirer quelques profits contre quelques sueurs froides, la famille Addams reste elle d’une constante mesure. Le miroir qu’elle dresse est celle d’une bonne humeur toujours égale, rarement contrariée, mais aussi guère au fait de certaines conventions sociales à l’extérieur de leurs murs, dont elle s’étonnera parfois, et parfois qu’elles ne comprendront pas. La bonne société est un peu moquée, et si la série n’a rien de transgressive, cette famille affiche de toute façon une tolérance sans demi-mesure avec ses représentants et autres membres, parfois ses voisins, alors que ceux-ci les prennent pour des fous. Dans ces années 1960, si conventionnelles, le miroir déformant qu’offre la famille Addams aux spectateurs américains a pu les amuser, mais peut-être aussi les faire réfléchir.

Cette grande famille affiche d’ailleurs une certaine distance avec le « bon goût bourgeois», et préfère les ornementations plus typiques, à l’image de son ours empaillé de trois mètres de haut, de sa tête d’espadon en trophée avec une jambe qui en sort, de sa statue indienne, où le chef de famille y trouvera toujours quelques cigares. La salle de jeux est une salle de tortures. Le confort n’est pas le même, même si les membres du foyer vivent dans une belle et grande bâtisse. La série est en noir et blanc, on ne peut qu’imaginer comment la fantaisie de ces lieux aurait pu s’exprimer en couleurs. On ne peut que regretter aussi de n’en voir que quelques pièces, tant elles sont le plus souvent remplies d’idées de décoration, mais la série est de son époque, avec ses quelques plateaux abondamment réutilisés. Le salon est le lieu central, où se réunissent les personnages, s’agitant parfois dans des occupations complètement en décalage avec les personnes fortunées et privilégiées qu’elles sont.

Le ton de la série est donc bon enfant, sans aucune gravité, et d’ailleurs les intentions malveillantes de certaines personnes ne sont le plus souvent que partiellement comprises par cette famille, aux airs parfois d’innocents heureux. L’humour est le point le plus important de la série, elle ne concourt qu’à faire rire le spectateur tout en lui proposant un cadre complètement atypique.

Elle joue donc complètement sur son décalage, avec une exagération pleinement assumée. Gomez ou Fester s’en donnent à coeur joie, l’un, bondissant, parfois au sens littéral, d’autres fois vers le bras et le cou de Morticia, l’autre riant de se faire exploser ou de se faire décoincer une migraine avec le crâne dans un étau. Différents gags visuels jalonnent la série comme des running-gags, parfois renouvelés pour le plaisir du spectateur, à l’image de la sonnette capricieuse de la maison ou de la façon bien cavalière de Lurch d’enlever les chapeaux des visiteurs. Mais l’autre génie de la série consiste dans ses dialogues, avec les commentaires qu’apporte la famille sur leur mode de vie, leurs familles, leurs usages, évidemment délirants pour nous. Mais aussi bien sur grâce à la distance toujours constante dans les dialogues entre les membres de la famille Addams et leurs intervenants extérieurs, qui peinent parfois à se comprendre. L’un et l’autre camp ont des idées bien différentes, que les Addams vont défendre ou qu'ils accepteront avec une certaine circonspection, toujours dans un jeu d’échanges assez bien écrits.

Il y aura bien entendu quelques ratés dans l’humour, quelques épisodes un peu moins réjouissants en terme de contenus, avec certains un peu trop vite écrits. Un épisode un peu trop conservateur sur la place de la femme témoigne de son époque et dénote face aux autres plus progressifs. La série n’a pas pourtant si mal vieilli, et d’autant plus quand on se rend compte qu’elle date des années 1960. Elle a d’abord pour elle son cadre atypique, sa fausse noirceur et son côté bon enfant, son humour enjoué et décalé mais sa principale qualité réside peut-être dans ses personnages, délicieusement fous, des marginaux à leur façon, interprétés par des acteurs incroyables. Arriver à la fin de la série est un déchirement, même si un téléfilm est sorti en 1977 avec le même casting, et que ses traits et son ton se sont retrouvés dans les productions suivantes.

En France, la série aura été longtemps inédite avant d’être diffusée en 1987 sur M6. Son arrivée en noir et blanc sur nos écrans tricolores a dû faire sensation.

SimplySmackkk
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le 20 nov. 2022

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