La Flamme démarre par une présentation qui pourrait faire office de note d'intention:
«Dans la vraie vie, un homme qui mettrait en compétition une quinzaine de femmes les unes contre les autres serait considéré comme un immonde porc dégueulasse...mais ici, ce n'est pas la vraie vie. Bienvenue dans La Flamme».
La messe est dite: la série portée par Jonathan Cohen sera notre échappatoire comique durant cette fin d'année compliquée, une hymne au second degré qui se moque allègrement de ce qui se passerait dans la vie réelle.
Mais rendons à César ce qui appartient à César: le concept drôlissime de La Flamme provient de l'excellente web-série américaine Burning Love créée par Erica Oyama et Ben Stiller. Son histoire ? Sensiblement la même que celle de la série de Jonathan Cohen et Jérémie Galan: un séducteur complètement idiot cherchant à trouver l'amour dans une édition de dating. Les prétendantes improbables s'y succèdent au même titre que les situations borderlines, et à peu près tout le monde en prend pour son grade dans la joie et la bonne humeur. Pour peu qu'on soit familier aux diverses télé-réalités qui pullulent l'écran, c'est incroyablement drôle et à peine plus dingue que les différentes saisons du Bachelor.
Ce n'est donc guère étonnant que Burning Love ait tapé dans l’œil de Jonathan Cohen: l'irrésistible valeur montante de la comédie française avait trouvé dans cette histoire le terrain de jeu idéal pour faire exploser définitivement son talent comique. Pour ce faire, l'acteur révélé par Serge le mytho a voulu faire les choses en grand. Son ascension fulgurante ces dernières années n'ayant après tout échappé à personne, c'est armé de la bénédiction de Canal + que Cohen s'est entouré de tout ce que le cinéma français actuel comptait de plus prestigieux. Et à vrai dire, pourquoi pas ! Les personnages sont si atypiques qu'il y a là de quoi faire en matière de second degré, histoire de casser une image peut-être trop rigide pour certains.
Et le résultat est là: sans surprise, tout le monde s'amuse à l'écran...ce qui peut autant réjouir que inquiéter. Après tout, la série peut n'être qu'une simple réunion de bons potes dont la pertinence est inversement proportionnelle à l'amusement de ses protagonistes. Mais La Flamme n'a rien d'une fête nous laissant sur le carreau, et c'est peut-être là sa plus grande qualité: celle de fédérer en jouant habilement avec les codes de la télé-réalité.
Sur une trame au départ quasiment identique à celle de Burning Love, La Flamme fonde son humour sur une base très simple: s'amuser avec absolument tous ses personnages, construits de manière à être fondamentalement idiots ou susceptibles de créer le rire. De fait, chaque épisode d'une durée de trente minutes (soit quasiment deux fois plus que ceux de la série américaine) enchaîne les vannes à vitesse grand V, au risque de fatiguer son spectateur. A ce titre, il faut être honnête: toutes les situations ne font pas forcément mouche. C'est que l'humour généreux a toujours ses risques, et il y a quelques pots cassés qui feront moins rire selon la sensibilité de chacun. De même, il est parfois difficile pour les scénaristes de renouveler la structure épisodique propre aux télé-réalités dont la série s'inspire ouvertement. Le fait est que certains épisodes tournent un peu en rond, s'imposant moins fièrement que d'autres pans de l'intrigue bien plus intenses.
Mais ces défauts, finalement peu handicapants, relèvent plutôt de l'exception qui confirme la règle tant l'écriture est souvent réussie. Bien sûr, et on ne l'apprendra à personne, il est difficile de faire plus subjectif que l'humour. Mais La Flamme a pour elle un argument de taille qui la rend bien plus intéressante que ce qui peut se faire ailleurs: elle préfère rire avec plutôt que de rire de.
Et quel autre meilleur exemple pour l'illustrer que le personnage de Marc ? Le protagoniste de la série est un imbécile fini doublé d'un être immature et maladroit, pouvant déclamer des atrocités sans même sourciller. Mais Jonathan Cohen a eu l'intelligence d'aborder Marc comme il a abordé Serge le mytho: en le nuançant. Malgré sa position toute puissante dans le jeu, Marc se fait ainsi recadrer à plusieurs reprises par à peu près tout le monde, n'évitant pas les humiliations qu'il fait subir à certaines candidates. Plus la série avance, plus l'interprétation de Cohen rend le personnage épais. Au fond, Marc est plus seul et pathétique que véritablement malveillant, et le spectateur se prendrait presque à avoir de la peine pour lui s' il n'était pas aussi insouciant concernant le sort des candidates. C'est peut-être là que réside la plus grande force de La Flamme: son humanité. Malgré la débilité ambiante du récit, la série ne juge jamais ses personnages et les rend aussi attachants que possible (si on excepte la psychopathe Alexandra).
A ce titre, il faut saluer le travail des comédiens qui sont tous formidables. Les énumérer serait bien trop long, mais leur amusement et leur envie de bien faire transparaît immédiatement à l'écran. Leïla Bekhti et Doria Tillier, chacune dans une forme d'outrance différente, sont absolument hilarantes. A l'inverse, les prestations très premier degré de Vincent Dedienne et Pierre Niney font des merveilles. La présence de Dedienne en particulier relève du choix de casting parfait, tant de nombreuses situations comiques reposent uniquement sur ses réactions de présentateur (et c'est encore plus flagrant lors d'un deuxième visionnage). Ana Girardot est peut-être celle qui s'en sort le mieux, car elle hérite du personnage le plus fouillé parmi les prétendantes: son évolution ne cesse de surprendre, et la série a l'intelligence de donner quelques clés sur son passé qui permettent de mieux appréhender son comportement.
Quelques regrets subsistent tout de même concernant les comédiens. Adèle Exarchopoulos n'a par exemple pas grand-chose à défendre: si l'idée du cœur de singe fait sourire, le personnage de Soraya n'existe malheureusement jamais vraiment dans la série. Le problème ne réside pas dans son jeu mais plutôt dans son écriture, qui a tendance à faire de Soraya une coquille vide. Son sort déçoit assez, tout comme celui d'Alexandra. C'est d'autant plus décevant pour Alexandra que Leïla Bekhti est de très loin l'attraction des premiers épisodes. Son personnage est à l'origine de scènes d'anthologie, et on ne peut qu'être frustrés de la façon dont elle est évacuée. On a parfois l'impression que passés les trois premiers épisodes, les scénaristes semblent dépassés par Alexandra et ne savent plus trop quoi en faire. C'est dommageable, mais encore une fois compensé par d'autres personnages mieux traités et des apparitions hilarantes à n'en plus finir (celles de Orelsan et Ramzy Bédia, pour ne citer qu'elles).
Il faut dire que l'énergie comique de la série l'emporte largement sur les bévues. La Flamme est une série follement généreuse: elle se fait certes parfois déborder par son nombre de personnages, mais sa sincérité et son ambition lui font tellement honneur, et les comédiens sont si impliqués, qu'il est impossible de passer un mauvais moment devant. Le rythme effréné et le soin accordé à la forme, qui s'efforce de reproduire les codes de la télé-réalité, ont un effet assez jouissif sur le spectateur. Si on y ajoute des choix musicaux volontairement exagérés et un très savoureux jeu sur le malaise (ah, ces silences), il est difficile de nier que la série regorge d'atouts comiques dont l'efficacité ne faiblit jamais.
C'est d'autant plus fort que la série se paye le luxe d'être très actuelle dans son récit, sachant s'arrêter bien plus tôt que son inspiration Burning Love. Sans trop en dire, les deux séries se finissent exactement de la même façon pour Marc, à une différence près. Là où Burning Love contient un épilogue qui remet en cause le choix de Marc, celui-ci se rendant compte qu'il n'était pas au courant de «certains détails» (ceux qui ont vus la série comprendront), La Flamme se passe de cet épilogue et sait s'arrêter au bon moment. L'amour que rencontre Marc à la fin de la série est pur, vrai et dénué de toute forme de jugement. Le côté inattendu de la situation peut faire rire mais tout de même: finir le récit de cette façon en 2020 fait marquer un beau point à La Flamme.
Une franche réussite, donc, qui a de quoi laisser impatient pour une saison 2 déjà annoncée en grande pompe. Preuve de plus qu'il n'y a pas que des mauvaises nouvelles en 2020.
Critique initialement écrite pour le site du FireFlies Studio