Ceux qui me suivent un peu le savent : je suis le premier à trouver génial qu’Internet permette à tout à chacun de s’exprimer librement. Tout comme je trouve génial qu’Internet offre aussi la possibilité à tout à chacun de choisir d’écouter qui il veut s’il le veut. Il suffit de regarder comment, en seulement une dizaine d’années, Youtube a totalement renouvelé nos « passeurs de savoirs » et nos approches de certains domaines pour se rendre compte à quel point cet outil nous a été – et nous est encore ! – précieux… Et oui, Internet est précieux, même s’il est aussi responsable de phénomènes comme Durendal.
Parce qu’on le veuille ou non, Durendal, aujourd’hui, c’est clairement une figure incontournable du Youtube français en termes de critique de cinéma. 222 000 abonnés au moment de la rédaction de ces lignes (mai 2018). 75 millions de vues cumulées. Et même quand il énerve, tout le monde en parle. On ne peut pas ignorer Durendal. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai voulu m’exprimer à son sujet. Durendal est à lui seul un aspect de la critique cinéma d’aujourd’hui qu’on ne peut ignorer. Et c’est évident qu’ils sont aujourd’hui nombreux les bébés Durendal : In The Panda, Les cousins font leur cinéma, Perle ou Navet, Critique Masquée, Captain Popcorn, Regelegorila, Dex et le cinéma… J’en passe et des meilleurs. Seulement qui est Durendal ? Et histoire de troller un peu, je reformulerais même ma question à la mode d’un Raphaël Enthoven : « mais de quoi Durendal est-il le nom ? » Personnellement, je trouve que Durendal est le nom de quelque-chose de pas très beau, à la fois pour la critique de cinéma, mais aussi pour Youtube en général.
Mais malgré tout, les raisons qui m’amènent à ce bilan n’ont rien à voir avec l’idéologie bourgeoise conservatrice défendue par Enthoven. Que Durendal se permette de dire tout le mal qu’il pense de vaches pourtant sacrées, ça ne me pose aucun souci. Qu’il ait recours à une certaine forme de trash talking et de mise en scène de lui-même, ce n’est pas ce qui dérange non plus. Non, ce qui me dérange c’est que Durendal soit finalement parvenu à se poser comme une référence mais que pour de mauvaises raisons. Parce qu’arrêtons deux secondes de fantasmer et analysons le « procédé Durendal » pour une de ses vidéos. Et quand je parle d’une vidéo de Durendal, ici je parle bien de ses Vlogs critiques, puisque ses Pourquoi j’ai raison et vous avez tort disposent d’une page à part sur SensCritique. Le procédé est toujours le même : il commence d’emblée par une expression de son ressenti final, comme si on venait de l’interroger là-dessus juste au sortir de la salle. Ensuite, il instaure une rupture pour dire de quel film il sera question dans cette vidéo. Il donne, le titre, l’auteur et parfois la nationalité de l’œuvre. Ensuite il se lance dans un pitch de deux à trois minutes. Puis enfin il fait l’énumération de tous les détails qui l’ont chiffonné durant son visionnage. Soit ce sont des détails de scénario (une incohérence, une scène bien amenée), soit des détails techniques pas très signifiants sur le type d’objectif utilisé… Il digresse pas mal. Il se met en scène autour de ses ressentis. Et puis that’s it. « Je vous le conseille / je ne vous le conseille pas. » Puis « merci « et « abonnez-vous à ma chaîne. »
Que Durendal ait un protocole qu’il répète à l’envie, ce n’est pas un souci en soi. Le souci c’est ce qu’il en fait. Pour un gars qui aime régulièrement se vanter des études qu’il a fait dans le cinéma, ainsi que de sa brève carrière en tant qu’assistant réalisateur, je suis affligé de constater qu’il gaspille autant de temps pour allonger son propos (parfois plus de trois quarts d'heure) sans qu’il ne semble y avoir aucun véritable questionnement sur le rythme et le temps de la vidéo. C’est très haché. Décousu. Ecrit au fil de la pensée. La phase de résumé du film est clairement dispensable. Le travail de montage est réduit à peau de chagrin. Autant je tolère de la longueur à l’écrit parce que la lecture en diagonale permet une réelle flexibilité dans ce qu’on veut lire ou pas d’un avis, autant pour moi c’est un vrai souci en vidéo car on est dépendant du rythme imposé. Alors certes, vous allez me dire qu’on peut toujours avancer le curseur un peu plus loin et que cela résout le problème. Soit. Mais vous avez déjà essayé de le faire avec une vidéo de Durendal ? Son propos est si peu construit qu’en opérant ce type de manœuvre on ne peut que tomber sur une anecdote ou autre singerie dont il est friand, si bien qu’il est impossible de savoir où est-ce qu’il se trouve dans son propos ! Et ceci s'explique au fond très simplement : c’est parce que – tout bêtement – du propos, il n’y en a pas tant que ça en fait.
Je m’en suis quand même enfilé des vidéos Durendal ! Et pourtant je n’ai pas vraiment de souvenirs d'analyses de fond. Quand Dudu se risque à donner son avis sur le propos d’un film, c’est souvent sur un élément ponctuel de l’intrigue, et quand c’est plus global, ça finit toujours par se transformer en simple expression d’un ressenti. Après, à sa décharge, je pense tout simplement qu’il n’a pas l’épaisseur culturelle et le matériau intellectuel suffisant pour pousser plus loin son analyse. C’est d’ailleurs sûrement ce qui me choque le plus quand je compare ses vidéos avec les tauliers français du genre que sont pour moi M. Bobine, Karim Debbache et le Fossoyeur de films. Quand j’écoute une analyse de taulier, mes réactions se résument souvent à : « Ah ça ! Je suis totalement d’accord ! » ou »Ah ça ! C’est marrant je ne l’ai vraiment pas appréhendé selon le même angle » ou bien encore « Ah ça ! Je l’avais pas vu, mais maintenant qu’il me le dit ça me parait assez évident ! » Par contre, quand j’écoute Durendal je suis plus en mode « Mais il attend quoi pour aborder le fond du sujet ? » En gros, ce n’est pas que je ne sois pas d’accord avec Durendal. C’est juste que la plupart du temps j’ai l’impression que Durendal n’a pas vu le même film que moi. C’est comme s’il lui avait manqué le son, ou qu’on lui avait retiré la moitié des scènes et qu’il ne s’en était pas rendu compte. Et c’est là qu’on va commencer à toucher les raisons qui me conduisent à dire que, à mon sens, Durendal incarne quelque-chose de pas très beau du Youtube français...
Parce qu’à bien tout prendre, qu’il soit paresseux dans la forme de ses vidéos et qu’il manque de culture et de jugement pour aborder les œuvres qu’il traite, au fond ce n’est pas bien grave. Par contre, ce qui est grave, c’est que ce mec pèse 222 000 abonnés. Sûrement 220 000 personnes qui ont l’impression de se cultiver et de mieux comprendre le cinéma en regardant ses vidéos. Et c’est cette escroquerie là qui me dérange. C’est cette méthode dont a usée Durendal pour se positionner comme un incontournable qui me pose problème, car c'est elle qui fait qu'aujourd'hui beaucoup tombent dans le panneau. Parce qu’autant Dudu n'a pas l'air de comprendre grand-chose au cinéma, autant j'ai l'impression qu’il maitrise par contre parfaitement bien les règles du Youtube Game.
Comment un gars comme lui a pu arriver là où il est aujourd’hui ? D’une part il est là parce qu’il poste comme un malade et qu'il a sûrement été le premier à le faire à cette échelle. Ses vidéos pleuvent à une cadence infernale, même s’il a clairement ralenti depuis quelques années. Rien de plus efficace sur Youtube pour se constituer un noyau de spectateurs en recherche de contenus réguliers et fréquents. Or ça Dudu il l’a bien compris. Idem, l’ami Dudu ne va pas choisir ses films au hasard. Plus le temps passe et plus il a compris que les gros blockbusters étaient ce qui lui rapportait le plus grand nombre de vues. Alors, là encore, il a su abandonner depuis les reviews sur des genres moins rentables. D’ailleurs, au regard de ses dernières publications, seuls les films sociétaux abordant la question gay résistent encore à cette logique. Pour le reste, le listing est plus qu’édifiant. Et enfin, reste la pierre angulaire qui explique selon moi son succès : le fait que Durendal sache être dans l’affirmation à outrance. Et quand je parle d’affirmation, c’est à la fois l’affirmation de ce qu’il avance, mais aussi l’affirmation de lui-même.
C’est même selon moi ce qui résumerait le mieux les vidéos de Durendal. Ses vidéos au fond ne sont pas faites pour parler de cinéma et mettre en avant le cinéma. Non, ses vidéos au fond ne sont là que pour parler de Durendal, et mettre en avant Durendal. Il aime se voir. Il aime se mettre en scène. Il aime se donner de la profondeur en suggérant qu’il a du vécu et des fêlures. Il aime affirmer ses peines de cœur et la terrible perte qu’a représenté pour lui la mort de son petit chat (Oui, incroyable mais vrai). Il aime affirmer son homosexualité. Il aime affirmer sa tronche partout, tout le temps, sur TOUTES ses vignettes. Ce mec est dans un exercice d’égotisme permanent. Et ça marche, parce que cette affirmation permanente de lui-même est ce qui lui permet d’alimenter les deux principaux générateurs de clics : la conviction des uns et l’agacement des autres. Parce que oui, c’est toute la beauté de ces deux sentiments antagonistes – conviction et agacement – c’est que les deux génèrent vraiment beaucoup de clics.
Moi le premier je participe au truc : j’en bouffe du Durendal ! Même si je sais à l’avance que son avis ne va rien m’apporter, qu’il va encore essayer de m’enfumer avec quelques arguments techniques qu’il pose là, juste pour faire autorité, il n’empêche que quand je vais faire le tour des reviews des autres vidéastes qui m'intéressent, Youtube finit toujours par me proposer sa vidéo, encore et encore, et je finis toujours par me dire : « Allez... Juste pour la blague… » Ainsi, à chaque fois j’y vais, j’écoute cinq à dix minutes et puis je finis par arrêter en grommelant un dépité « Ralalah, sacré Dudu va… » Mais bon, au final il a quand même gagné. J’ai cliqué. J’ai alimenté l’algorithme Youtube. Et d’autres vont voir la vidéo de Durendal leur être suggérée. Et Durendal de son côté va encore plus se convaincre qu’il défraie la chronique avec ses avis tranchés, osés et avisés ! Donc il va encore plus s’affirmer lors de la prochaine vidéo, alimentant ainsi la mécanique à lovers et haters !
Le paradoxe veut d’ailleurs que c’est sûrement pour cette raison que je ne lui mets pas un cinglant 1/10. Parce qu’au fond, à être ce qu’il est, il n’est pas rare que Durendal alimente mes discussions. Avec mes potes on parle d’un film et on finit régulièrement par se dire : « Eh au fait d’ailleurs ! T’as vu ce que Durendal a osé dire à ce sujet ? » On se consterne deux secondes, on se regarde, et puis ensuite on se marre… Et c’est ce qui fait que je n’arrive même pas à lui en vouloir à ce type. Il incarne tout ce qu’il y a de plus moche dans la critique cinéma et la vidéo Youtube, mais au fond il reste inoffensif et il en devient presque drôle à ses dépends. Après tout il joue le rôle du bouffon du village. Personne ne lui a demandé de le faire. Il a décidé pourtant de s’affirmer jusqu’au bout dans cette démarche, sans logique de remise en cause. Eh bah dans ce cas tant mieux alors. Il est content. Ceux qui trouvent du crédit dans ce qu’il dit aussi. Et mes potes et moi, on s’en marre plutôt pas mal. Donc après tout, pourquoi pas. C’est ça aussi la beauté d’Internet. Donc que tout à chacun continue de s’exprimer sur le réseau. Et que tout à chacun continue aussi de rester libre d’écouter ou pas qui il veut. Après tout, c’est ça qui est beau et très bien comme ça...