Pourquoi il n'a ni raison, ni tort, mais que ce n'est ni intéressant, ni bien exposé
C'est presque encore jeudi, donc on peut presque dire #JeudiConfession : je suis l'un de ces illuminés qui estiment qu'en matière de cinéma, et plus globalement en matière d'art, l'objectivité est une utopie, et une critique se base donc immanquablement pour partie sur le re-ssen-ti.
On peut caser des analyses, une lecture des intentions du cinéaste (voire, avec suffisamment de sources, les connaître réellement), on peut mettre à profit son bagage technique pour décortiquer la mise en scène, mais in fine il sera très difficile, et selon moi impossible, que cela ne soit pas teinté par ce que l'on a vécu de la séance. Et a fortiori si elle n'a provoqué aucune réaction émotionnelle, ce qui est rarement bon signe.
À ce titre, autant se l'avouer, j'aurais plutôt un a priori positif sur la chaîne de Durendal. Il y a indéniablement de la spontanéité et de la passion dans ces vidéos et finalement, oui, c'est un spectateur lambda. Very much so.
Là où le bât blesse, c'est qu'il ne l'est pas, ou dit qu'il ne l'est pas, ou ne devrait pas l'être, ou pas autant.
Durendal est de façon incontestable étudiant en cinéma, et de façon bien plus contestable auto-proclamé cinéphile. Nonobstant l'étude de texte et l'étymologie, certes il dit aimer le cinéma, mais on a surtout l'impression qu'il aime dire qu'il aime le cinéma. Cela me pose un problème à plusieurs niveaux.
Tout d'abord posséder un regard raisonnablement affûté, du moins sensément de par ses études, devrait se traduire par un minimum d'esprit analytique, et un tant soit peu de recul sur les œuvres dans leur globalité.
Il y a toujours des coups de cœur (j'y reviendrai) pour lesquels la raison peut s'effacer, mais je ne comprends pas comment, avec les éléments multiples et passionnants de théorie qu'il doit ingérer tout au long de son cursus, il peut livrer des lectures aussi percluses de larmes, d'hormones et de sentimentalisme, souvent mal placé d'ailleurs.
Je ne fais pas de généralisation autour d'une seule vidéo, j'en ai vu quelques unes, pas toutes en entier je le reconnais volontiers, mais il n'est pas question ici de se focaliser sur l'une ou l'autre, eusse-t-elle cristallisé l'attention récemment (hint, hint).
tl;dr : il devrait essayer d'étoffer son argumentaire, étayer d'arguments quantifiables, et garder le 100% affectif pour quelques perles rares. En l'état on finit par se demander s'il en est capable.
Ça, c'est plutôt pour le fond.
Pour ce qui est de la forme, j'avoue être fondamentalement gêné par le manque d'écriture et de montage. Il n'est pas question de céder à la facilité et à la mode : je ne suggère pas un montage nerveux "à la bref" ou comme dans Les tutos. Je veux simplement dire que tout en préservant le côté "sur le vif", il doit être possible de structurer son propos avec quelques recherches en amont, des répétitions rapides et des prises supplémentaires.
Les "euh" incessants, les hésitations sur les noms des acteurs et réalisateurs, loin d'apporter de la fraîcheur, rendent le discours poussif et l'écoute fastidieuse. C'est en outre, à mon sens, un manque de respect pour ces artistes et, plus marginalement, pour les spectateurs de sa chaîne.
tl;dr : l'amateurisme n'excuse pas tout. Pour gagner en crédibilité, il y a un minimum de travail à fournir. On ne le ressent pas.
Si j'ai, comme beaucoup, été consterné par la fameuse vidéo sur Lucy, qui lui a valu tant de haine, il ne faut pas se leurrer, c'est là aussi amplement teinté par mon propre ressenti vis-à-vis de ce film.
Non pas parce que nous sommes en désaccord, mais parce qu'il oppose à Cartel (ce n'est qu'un exemple) les mêmes reproches -formels, j'entends- qu'il pourrait lister dans Lucy.
On est justement dans le cas des coups de cœur que j'évoquais plus haut, pouvant occulter tout sens critique ou même commun.
La question devient alors : est-il pertinent d'étaler ainsi ses sentiments sur la place publique, surtout dans une chronique qui s'affiche maladroitement comme une vitrine pour la filière cinématographique ? Et, dès lors que l'on fait ce choix, parfaitement défendable en soi, ne faut-il pas accepter que l'on prête à son tour le flanc à la critique ?
Cela peut être vu comme prétentieux mais, dans l'acception du postulat selon lequel une critique est le reflet d'une certaine sensibilité, ainsi que je le soutiens et que Durendal le revendique, ne devient-elle pas de facto une modeste œuvre, elle-même ? N'est-il pas légitime d'imaginer voir sa critique être critiquée en retour, et être prêt à la contradiction ?
L'artiste, exprimant son talent (quelle qu'en soit la quantité) mais aussi sa personnalité, est vulnérable face au public. L'homme parlant de la façon dont il a perçu et reçu le travail de l'artiste doit, c'est la moindre des choses, s'attendre au même traitement.
Je ne cherche pas à être grandiloquent, ni à adoucir mon propos en qualifiant Durendal d'artiste, la réalité est sans doute quelque part à mi-chemin entre cela et la thèse de l'amateurisme complet.
Je ne veux pas non plus gratuitement me revendiquer sage qui cherche à calmer les esprits autour de la polémique suscitée par des vidéos somme toute relativement innocentes.
Mais il convient de raison garder, pour les détracteurs.
Et, pour les défenseurs, de se rappeler que l'existence de moyens techniques démocratisant l'expression, ne doit pas systématiquement servir de prétexte à la dégradation de la qualité.
En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'on a quelque chose à dire et la possibilité de le faire, que c'est nécessairement une raison pour s'exécuter.
(Bien des circonvolutions pour dire qu'il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche...)