Le Jeu de la dame
7.6
Le Jeu de la dame

Série Netflix (2020)

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The Queen's Gambit (passons la bêtifiante traduction française) raconte une histoire finalement assez simple et convenue : une orpheline surdouée se prend de passion pour les échecs, et va peu à peu gravir les échelons ELO, à une vitesse dont la fulgurance est appuyée par un art de l'ellipse et un montage alerte. Bien sûr, il faut que la dite héroïne, cette rouquine aux yeux d'écureuil écarquillés, ait quelques traumas et obstacles à surmonter : un passé qui ressurgit ici ou là, une famille d'adoption où s'adapter et, évidemment, des adversaires de plus en plus forts à déboulonner (du concierge qui l'initie dans la cave de l'orphelinat, au Grand Maître Russe, en passant par les champions du Kentucky et des Etats-Unis). Rien de très original ou de très profond en apparence, dans ce jeu cousu d'avance. Les scénaristes ont, pour égayer une thématique peut-être jugée trop monotone, choisi d'émailler ce parcours de sédatifs, alcools et, d'un peu de sexualité.


La grande force du jeu de la dame, c'est déjà la mécanique implacable avec laquelle l'histoire avance ses pions. Pas de temps morts, une construction scénaristique habile, qui présente discrètement des personnages, les effeuille, avant de les faire revenir par la petite porte (l'amie d'enfance à l'orphelinat, les concurrents échiquéens devenus copains voire amoureux). The Queen's Gambit esquisse bien quelques motifs psychologiques : les échecs comme fuite du réel, manière d'exister pour une orpheline qui n'a que ça pour exister. Concédons, le propos demeure ténu. On sent néanmoins une rigueur assez impressionnante dans la volonté d'être à la fois pédagogique, précis et riche sur le jeu des échecs lui-même : les règles sont sommairement expliquées, les parties vraiment montrées, parfois coup par coup, là où l'ordinaire confine les échecs à un artefact symbolique censé montrer l'intelligence des personnages; tandis qu'au fur et à mesure que la série progresse, les références à des stratégies ou des biographies de joueurs abondent. Plaisir coupable pour qui apprécie ce jeu, ou tout autre forme de jeu voire pratique addictive. Car, à l'instar du Joueurs d'Echec de Zweig, Beth est hypnotisée, du matin au soir par l'échiquier, jusqu'à fantasmer, halluciner psychédéliquement, des parties sur le toit de sa chambre. Enfermement dans une passion qui parlera peut-être à certain.e.s, résonne en tout cas quelque peu en moins, plutôt du genre compulsif en la matière, et qui est au final le discret propos de la série, sous ses allures de contes de fée, rock'n'roll.


Ceci étant écrit, la série ne gagne pas non plus sur tous les tableaux, car à vouloir forcer le côté glamour, qui fonctionne tout de même très bien, globalement, elle suscite ici ou là un peu d'agacement. Voir Beth, de plus en plus sexualisée, déambuler dans des décors richement reconstitués, finit par ternir l'émerveillement initial par une récurrence peut-être pas justifiée. Les musiques, obligatoirement de plus en plus rock'n'roll à fur et à mesure que l'on approche le summer of love de 1967, se font par ailleurs envahissantes dans un mix abusif (en tout cas sur mon enceinte). Rivée au charme particulier de l'actrice, qui joue à merveille une autiste légèrement crispante, The Queen's Gambit se tient tout de même foutrement bien, et saura à n'en pas douter parler aussi bien au stakhanovistes de la défense sicilienne qu'au néophyte simplement féru de belles histoires. A ce titre, la saga glisse ici ou là des relations touchantes : la mère adoptive devenue complice, pianiste (qui joue du Satie en boucle) au foyer, alcoolique esseulée par un mari fuyard, belle esquisse de femme au foyer tapissant sa solitude dans la liqueur (un thème qui reviendra d'ailleurs par la petite porte via une ex-lycéenne devenue maman... et buveuse). On appréciera, par ailleurs, dans cette saga à la fois ample et alerte, certains seconds rôles, excellents : ainsi de Ben Watts en cow-boy gringalet (incarné par un Stark de Game of Thrones) ou du touchant et surprenant champion du Kentucky (brillamment interprété).

fan_2_mart1
7
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le 17 nov. 2020

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