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Un faisceau d’indices inquiétants
La communauté scientifique est en émoi. Depuis quelques temps, une vague de suicides parcourt ses rangs sans qu’il soit possible d’en identifier clairement la cause. Pour autant, il est vrai que l’ensemble des expériences menées par les grands centres de recherche aboutissent depuis quelques mois à des résultats incompréhensibles défiant toutes les lois jusque-là établies par la science. Les plus pragmatiques des cerveaux auraient de quoi se voir anéantis par la remise en cause des préceptes sur lesquels s’établissent leurs connaissances mais de là à se donner délibérément la mort, il y a un pas sur lequel l’inspecteur Da Shi a bien l’intention de se pencher. Rien ne laissait par exemple présager que Vera Ye mette subitement fin à ses jours, plongeant dans le deuil et la stupéfaction ses proches dont Saul Durand son collaborateur mais aussi Auggie, Jin, Will et Jack tous physiciens de leur état et amis indéfectibles à la ville. Les chiens ne faisant pas des chats, il se trouve que Ye Wenjie, la mère de la défunte, était elle aussi une ancienne grande chercheuse, ayant exercé ses fonctions en Chine du temps où Mao et sa « Révolution Culturelle » se chargeaient de se débarrasser de l’ensemble des têtes pensantes du pays. Un état de faits auquel son père, professeur à l’université, n’avait malheureusement pu se soustraire, mort publiquement sous les yeux de la jeune fille alors que celui-ci se refusait à renier les principes fondateurs de la physique moderne. Ce qui intrigue également Da Shi, c’est que se trouvait auprès de certains suicidés un casque de réalité virtuelle dont la technologie dépasse de loin celle utilisée par les concepteurs de jeux vidéos. De fil en aiguille, celui de Vera se retrouve dans les mains de Jin qui va alors découvrir un univers imaginaire aux obscurs enjeux. De son côté, et alors qu’elle est en passe de concevoir des nanofibres aux propriétés exceptionnelles, Auggie commence à voir défiler dans son champ de vision un compte à rebours angoissant dont elle ne saisit évidemment pas la signification.
Des univers variés et un drame évitable
Cela fait beaucoup d’éléments à prendre en compte mais au vue de la richesse du roman de Liu Cixin dont la série est l’adaptation, ils sont exposés avec une clarté étonnante. Jusqu’au bout, les événements s’enchaînent avec une fluidité exemplaire alors même que la narration ne se contente pas d’exposer les faits de manière chronologique. Certes, durant les premiers épisodes, on ne comprend pas bien les tenants et les aboutissants de chaque arc narratif mais c’est en grande partie ce qui les rend intrigants : à priori, rien ne les relie entre eux mais ils finissent par former un tout cohérent. On profite alors d’un mélange de sensations où notre époque côtoie celle de la Chine dictatoriale de Mao tandis qu’un univers énigmatique de jeu vidéo se déploie régulièrement sous nos yeux.Et puis le puzzle finit par s’assembler et l’enjeu principal de la série se dessine clairement en un concept stimulant et prometteur. Dès lors, on se demande quels moyens seront mis en œuvre pour tenter de parer à l’inévitable. A ce stade du récit, un nouveau personnage dénommé Wade, sorte de chef des opérations volontairement clivant, fait son apparition. Sa détermination à sauver l’humanité l’autorise à prendre des décisions d’une folle cruauté sans qu’aucun scrupule ne s’empare de lui. Il en résulte une scène d’une violence saisissante qui tend à nous prouver que la série n’hésitera pas à faire preuve de radicalité si le scénario l’exige. Par ailleurs, Auggie, se sentant en partie responsable de ce massacre, en profite pour interroger le spectateur quant à la fameuse formule : « La fin justifie-t-elle les moyens » ? De fait, cette séquence marquante aurait dû faire coup double. Malheureusement, elle perd de son impact dès l’instant où il apparaît qu’elle était dispensable. En effet, impossible de ne pas imaginer qu’il existait d’autres alternatives bien moins épouvantables que celle déployée à cette occasion.
Une cassure de rythme mal négociée
On se dit toutefois que si les objectifs escomptés n’ont pas été atteints, la montée en puissance est manifeste et augure une fin de saison dantesque. Et bien pas vraiment. Suite à cet épisode assez clinique, la suite bascule dans le drame intimiste qui fait rapidement retomber la tension. Car indépendamment de cette menaçante fin du monde qui occupe les esprits, Will est malade. Atteint d’un cancer en phase terminale qu’il s’évertue à cacher à certains de ses proches, il ne lui reste que peu de temps à vivre. De plus, il est amoureux d’une femme à qui il n’a jamais osé déclarer sa flamme, persuadé que cet aveu pourrait nuire à leur relation. Plusieurs de ses amis l’accompagnent donc dans cette dernière et douloureuse épreuve que les dialogues, plutôt neutres, ne rendent pas aussi émouvante que souhaitée. Toutefois, la personnalité de Will contribue à en faire le personnage le plus attachant de la série. La douceur qui se dégage de son regard et de ses paroles suscitent notre compassion. Mais à ce stade du récit, les instants passés à ses côtés nous détournent de la catastrophe mondiale qu’il convient d’éviter sans que l’on comprenne en quoi son histoire personnelle pourrait influer sur le cours des événements. Et alors que celui-ci entreprend de dépenser des millions dans l’achat d’une étoile, on se dit que même si cette anecdote s’avérait déterminante, cela n’effacerait pas le sentiment de mièvrerie qu’elle nous a sur le moment inspirée. Sur ce plan, on peut penser qu’une construction narrative mieux agencée aurait pu palier ce sentiment de creux généré par ces épisodes un peu ronronnants.
Un ensemble trop lisse
Si Will est celui sur qui notre affection se porte naturellement, ses compagnons ont le droit à un traitement plutôt inégal. Jin, fortement sollicitée durant toute la saison, se voit interprétée par une actrice, Jess Hong, qui livre une partition impeccable. De son côté, Auggie incarne les états d’âme légitimes auxquels les confronte le pragmatisme immodéré d’un Wade qui use de cette posture jusqu’à la caricature.Toutefois, les doutes qui assaillent la jeune femme l’amènent à si fréquemment changer d’avis sur la conduite à tenir que ses multiples revirements finissent par lasser. Quant à Saul, il faut attendre la toute fin de saison pour qu’enfin, une fonction correspondant de près ou de loin (mais surtout de loin) à ses compétences lui soit confiée. De fait, s’il ne comprend ce qui lui arrive, on doit bien avouer que nous non plus. Avec le débonnaire Jack à leurs côtés, on a alors le sentiment d’assister au « club des 5 » prêt à partir en mission pour sauver l’humanité. Il apparaît en effet improbable que chaque membre de cette petite bande d’amis soit en charge d’un rôle dont dépend la survie de notre espèce. Cette incongruité nous amenant à penser que le monde est vraiment petit aurait pu s’avérer anecdotique si la série s’était dotée d’un souffle à même de reléguer au second plan ses évidentes imperfections. Or, il n’en est rien. Non pas que la mise en scène, la photographie, les dialogues ou le montage soient mauvais. Mais ils paraissent trop propres pour espérer (malgré son final plutôt réussi) faire de cette saga une de celle dont on attend la suite avec impatience. Alors, si « Le problème à trois corps » se laisse regarder avec un plaisir certain, le principal reproche qu’on peut lui adresser est, justement, de manquer de corps. Un jeu de mots un peu facile pour signifier qu’on s’attendait à un peu plus de folie de la part des auteurs de la tempétueuse « Game of Thrones ».
Disponible sur Netflix