Sensationnaliste

Il n'y a pas de meilleur terme pour expliquer la déception que j'ai ressenti devant ce docu-fiction, tout fraîchement sorti des entrailles de Netflix et qui ambitionne de raconter le règne chaotique de Nicolas II en alternant entre une voix off attribuée à Pierre Gilliard et une poignée de spécialistes chargés d'expliquer les conditions dans lesquelles le dernier tsar de Russie régna. Un format que je n'aime pas particulièrement, mais qui plaira sans doute aux amateurs du genre à défaut de ne pouvoir les convaincre totalement. En cause : une série qui ne sait absolument pas à qui elle s'adresse, étant trop évasive pour ceux qui connaissent déjà la période et pas assez explicative pour ceux qui au contraire n'y connaissent rien, et un rendu extrêmement caricatural, erroné sur bien des aspects où les acteurs se démènent comme ils peuvent pour interpréter des personnages auxquels ils ne ressemblent pas le moins du monde, exception faite peut-être de Susanna Herbert dans la peau de la tsarine Alexandra.

Caricatural en effet, pour ne pas dire hollywoodien : le grand-duc Sergueï Alexandrovitch - essentiellement présenté comme le discourtois "tonton Sergueï" qui se permet de dire que le défunt tsar pue lors des funérailles - incarne un véritable méchant de film Walt Disney avec son manque de respect et d'égard pour la populace, ses mauvais conseils qui justifieraient presque à eux seuls l'effondrement du régime. Anti-démocratique notoire, on ne peut pas vraiment dire que le vrai Sergueï était un saint mais de là à en faire notre Scar de service... on pardonnera cette analogie au Roi Lion, mais tous les éléments y sont. On va jusqu'à nous vanter le tsar Alexandre III comme un empereur sage et aimé de tous alors qu'il a travaillé dur pour freiner les avancées sociales permises par son propre père, refusant de doter le peuple russe d'une Constitution et menant une politique sévère de répression de ses contestataires. En somme, pas vraiment le Mufasa qu'on voudrait nous vendre... Quant au meilleur pote de notre héros, adjuvant qui tente de le garder sur le bon chemin jusqu'à ce qu'il nous fasse une sortie ultra dramatique en mode "Tu t'engages sur un territoire où je ne peux pas te suivre", il est incarné par Sandro. Et si vous ne connaissez pas bien la famille Romanov, vous ne savez très certainement pas que Sandro est le prince d'Oldenbourg, beau-frère de Nicolas II par son mariage avec sa soeur Olga, et ne comptez pas sur la série pour vous éclairer là dessus. Sandro incarne à lui seul tous les frères du tsar qui ne seront jamais mentionnés, exception faîte de Mikhail dont il est vaguement question mais je ne suis même pas sûre qu'il soit fait mention de son exécution en 1918.

Outre les Romanov - comprenez Alix et Nicky, l'intrigue ne s'intéresse pas follement à la personnalité de leurs enfants, on ne retiendra que la maladie d'Alexeï - seuls trois personnages se partagent la tête d'affiche : Iakov Iourovski, Raspoutine et Anna Anderson. Seul le premier se révèle être une agréable surprise, se revendiquant représentant du peuple russe et des soldats désabusés par la politique militaire du tsar, de fait il apporte un regard neuf - populaire - à un récit qui n’a recours qu’aux historiens pour décrire ce qu’il se passe hors les murs du palais. C’est d’autant plus intéressant que la série ne semble pas vouloir en faire un antagoniste classique, à la différence de l’oncle Sergueï, et qu’elle veut en faire un portrait plus ambigu, ce que ne font traditionnellement pas les fictions sur les Romanov. En revanche, accorder autant d'importance à Raspoutine et surtout à Anna Anderson, c'est tomber dans le piège du sensationnalisme, c'est céder à la possibilité d'attirer facilement les foules avec un peu de "subversion". Vous voulez du sexe ? Si la scène parfaitement inutile où le couple impérial s'envoie en l'air comme des bêtes à même le tapis du bureau du tsar ne vous suffit pas, la débauche de Raspoutine occupe l'écran bien trop longtemps à mon goût. Vous voulez du pathos ? Anna Anderson - qui n'a absolument pas sa place dans une oeuvre qui traite du règne de Nicolas II - est là pour vous servir avec le suspense inutile qu'elle induit et une considération soudaine, injustifiée pour la grande-duchesse Anastasia dans les derniers épisodes (la scène où Pierre Gilliard, voyant les enfants s'éloigner, tend la main en appelant "Anastasia", lui qui était le précepteur d'Alexeï et ne passait pas davantage de temps avec Anastasia qu'avec ses soeurs, est franchement risible).

Niveau véracité historique, je suis surprise par certains détails qui ont survécu à l’écran, à l’image du tatouage de Nicolas II ou la presque exactitude de l’annonce de l’abdication à Alexis (presque puisque, comme Gilliard le souligne dans ses mémoires, à aucun moment le tsarévitch ne pose de questions sur son avenir, son accession au trône, alors qu’il le fait sans ménagement dans la série). Et puis d’un autre côté, il y a plein d’inexactitudes qui donnent envie de taper du poing sur la table : cette facheuse tendance à parler d’une “famille royale” au lieu d’une “famille impériale”, à dire d’Anastasia qu’elle est “princesse” au lieu de “grande-duchesse” (le titre de princesse existe en Russie, mais il ne désigne absolument pas la même position que dans les cours européennes), sans parler du mausolée de Lénine que l’on peut apercevoir en 1905, soit bien longtemps avant sa mort ou de l’absence de la majeure partie des domestiques exécutés avec les Romanov… et que dire de cette scène où l’on surprend Maria en train de faire des folies de son corps avec un jeune garde bolchevik dans la maison Ipatiev, en 1918, à seulement quelques mètres de ses parents ?

Bref, si vous êtes sur Netflix, préférez Empire of the Tsars qui, s'il ne parle pas uniquement de Nicolas II, a le mérite de mieux situer les choses et vous en apprend autant, voire plus, sur cette période.