Évidemment, cette série n’est pas une série sur les extra-terrestres. Déjà, dans années 1950-1960, les films de science-fiction à Hollywood étaient des allégories plus ou moins raffinées qui évoquaient d’autres sujets, notamment celle de la peur de la progression de la pensée communiste chez certains Américains. A contrario, d’autres réalisations mettaient en scène les ravages du maccarthysme dans cette même société américaine à travers des récits eux aussi métaphoriques. Avant eux, les Japonais avaient exprimé leur traumatisme de la bombe atomique avec leurs monstres préhistoriques.
Le sujet des Envahisseurs n’est donc pas à prendre au premier degré. Son sujet, c’est de montrer comment le délitement de la société américaine ouvre des brèches à qui voudrait lui nuire. Le cadre de la série n’est, en effet, guère reluisant : paysages désertiques, poussière, usines désaffectées, villes en décrépitude, couples en crise, personnages ombrageux en situation d’échec, etc. La situation n’est en rien bien exaltante et elle offre de formidables opportunités à qui veut nuire à l’humanité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les envahisseurs en question prennent une apparence humaine et utilisent les mêmes stratagèmes qu’eux pour les duper. L’homme est un loup pour l’homme.
Dans une société où l’individualisme commence à prendre une place bien envahissante, il devient, par ailleurs, difficile d’être entendu par ses pairs. C’est tout le problème que rencontre David Vincent tout au long de cette série (même si la situation évolue dans la deuxième saison) : on ne veut pas le croire car il est un étranger et son discours est dérangeant. L’ironie de cette série est bien là : parce qu’il sort du conformisme, David Vincent est l’étranger dont il faut se méfier alors que les véritables étrangers sont ceux qu’on côtoie tous les jours et qu’on croit connaître. Série totalement paranoïaque, Les Envahisseurs puise sa force dans cette capacité à présenter des personnages au profil illisible et où le seul personnage fiable n’est pas forcément le plus sympathique.
Dès lors, qu’importe que les effets spéciaux ne soient pas toujours très heureux et que le prétexte des extra-terrestres ne soit pas toujours convaincant. Ce qui compte ici, c’est l’inquiétude qui naît du quotidien, de ses rues désertiques balayées par le vent, de ses hangars abandonnés, de ses personnages a priori de confiance (maire, professeur, policier, mère de famille, etc.). La réussite de cette brillante série réside dans cette capacité à rendre le spectateur totalement parano sur des scénarios habilement construits (on est chez Quinn Martin, gage de qualité avec ses découpages en actes pour bien maîtriser les intrigues).
On y trouve un peu d’action, pas mal de dialogues, mais la tension est toujours soigneusement montée en épingle pour rendre les histoires palpitantes. L’ensemble est renforcé par une partition musicale particulièrement inquiétante et une accroche qui a fait date. Dommage que l’évolution de la série ait ensuite conduit à la constitution d’un noyau paré à lutter contre les envahisseurs. L’idée d’un homme seul contre tous que personne ne veut croire en dépit de démonstrations évidentes faisait vraiment la force d’une série d’une redoutable efficacité qui a duré peu de temps mais qui a marqué durablement le public. Culte.