Les Héros de la Galaxie par Young Staline
Ginga Eiyû Densetsu est l'une de ces oeuvres qui passe complètement inaperçue mais dont on ne regrette pas le moins du monde d'avoir pu la découvrir, l'explorer, la penser. Car si il existe quelques chefs-d'oeuvre méritants le titre ô combien pédant de perfection, "Legend of Galactic Heroes" (traduction occidentale) en fait très certainement partie.
Dans l'univers de la japanimation, qu'est ce que je pourrai qualifier de "perfection" ? Dans un contexte actuel où les animés couronnés du succès de l'audimat s'apparentent très souvent à des adaptations de mangas de "masse" tels que Naruto, Bleach ou encore One Piece, dont je ne pré-juge aucunement les qualités certaines, mais assez révélateurs d'une mouvance englobant tout un corpus de mangas et animés relativement pauvres en terme de profondeur, de procédés scénaristiques, où vis-à-vis des thématiques abordés qui ne se limitent qu'à "l'amitié, le courage et l'amour", valeurs sommes toutes essentielles à l'épanouissement d'un être humain, mais dont tout le monde se fout grandiosement. Il serait néanmoins mal-avisé de faire une comparaison entre Ginga Eiyû Densetsu et l'ensemble des oeuvres que je viens de citer, n'ayant pas du tout les mêmes prétentions artistiques et ne se situant pas sur le même axe chronologique. Cependant la comparaison permet d'éclaircir ma distinction du bon manga/animé divertissant, et de l'excellent, parfait, animé/manga qui se veut à la fois attrayant, prenant, profond, et singulier.
L'une des premières raisons de la singularité de Ginga Eiyû Densetsu est le fait que l'animé est une adaptation d'une oeuvre littéraire. Il s'agit initialement d'une série de romans du même nom, écrite par Yoshiki Tanaka, sommité de l'univers de la science-fiction au Japon. Bien qu'une adaptation puisse être mauvaise, infidèle, à l'oeuvre originale (bien que n'ayant jamais lu les romans) l'animé maîtrise de toutes évidences les codes littéraires de l'intrigue, de la mise en scène. Jamais une oeuvre ne m'avait semblé si cohérente dans son son respect de la trame. Les épisodes s'enchaînent selon un plan logique, qui n'est jamais remis en cause par l'intervention d'un élément que l'on aurait omis de mentionner ou dont la création serait une offense à la capacité de jugement du spectateur : en 110 épisodes, sur un format conséquent, la cohérence semble être le leitmotiv de Ginga Eiyû Densetsu ce qui renforce son titre de chef d'oeuvre : il est difficile de maintenir un degré aussi élevé de crédibilité lorsque l'oeuvre s'étend autant en longueur.
Le second atout de Ginga Eiyû Densetsu repose sur ses qualités scénaristiques "intrinsèques", qui vont au-delà de la forme et de la cohérence. A priori, l'intrigue semble être digne d'une série B de science-fiction sans le moindre petit intérêt : grosso modo, deux superpuissances se disputent le contrôle total de la galaxie. Résumé de la sorte, on pourrait se contenter de regarder Stargate SG-1 et ses médiocres effets spéciaux pour disposer du même rendu. Pourtant, à l'instar d'un manuel scolaire, Ginga Eiyû Densetsu nous guide parmi les hommes, les événements, les batailles qui font l'Histoire avec un grand H. Ce reflet historique donne toute sa saveur à l'animé ; Legend of Galactic Heroes a presque une dimension scientifique de par les procédés qu'il emploie pour montrer, démonter, la manière dont l'histoire s'écrit. Ce procédé narratif peut sembler rébarbatif, mais il constitue l'un des nombreux leviers de puissance de l'animé ; la dimension historique permet d'une part de renforcer la cohérence, mais il s'agit également un puissant procédé d'identification : comment ne pas voir les analogies entre la fiction et la réalité ? La pertinence du point de vue employé en devient presque inquiétante. Point de jugement de valeur également, la neutralité narrative est scrupuleusement respectée. Il appartient au seul spectateur, le choix du jugement.
Enfin, la caractéristique forte de l'animé, repose en presque intégralité, sur la profondeur avec laquelle sont traitées les thématiques principales. Le rôle du chef d'Etat, sa place prépondérante ou effacée dans la sphère publique, le sectarisme, l'analyse des différents types de régimes politiques, les dérives démocratiques, "le despote éclairée"... La pléthore de questions à dimension philosophique est l'un des fondements même de Legend of Galactic Heroes : l'animé est une porte ouverte à la réflexion, réflexion qui n'est jamais tranchée d'avance, ni soumise à une quelconque vision de principes, ou morale. On peut penser la mise en place d'une autocratie comme justifiée, ou dénoncer la démocratie comme système de référence. L'inverse est également possible tout en ayant à chaque fois des une plénitude d'arguments sous la main. L'un des personnages principaux, Reinhard Von Lohengramm répond en tout point aux standards du surhomme nietzschien, son rival Yang Wen-Li est l'illustration du philosophe platonicien... Des inspirations qui sont de toute évidence voulues, et maîtrisées.
Legend of Galactic Heroes, au delà de tout argument est un animé dont l'intrigue jalonnée de rebondissements, de hauts et de bas, n'en demeure pas moins un excellent divertissement bien que difficilement accessible à tous les publics ce qui lui vaut sa certaine marginalisation. Que ceux qui ne sont pas particulièrement attirés par la réflexion politique se réjouissent : Ginga Eiyû Densetsu est aussi un animé "d'amour", "d'amitié" et de "courage"... mais à ne pas se méprendre, ces aspects ne sont jamais ceux que vous vous seriez imaginé !