Takeshi Kitano est connu pour ses activités de cinéaste, acteur, humoriste y compris artiste-peintre (son talent d'illustrateur sur toile nous est dévoilé dans Hana-Bi notamment). C'est certainement son travail en tant que metteur en scène que l'on retient le plus souvent, bien que "Beat" Takeshi ait conjugué sa vie avec de multiples passe-temps et métiers. La boxe fut l'un d'entre eux. Kids Return est en ce sens un parfait alliage de ce que Kitano sait faire de mieux : un film poétique abordant tantôt avec violence, tantôt avec amour, les destins croisés et décroisés de deux amis de lycée.
La boxe ? Bien entendu, il ne s'agit là que d'un élément contextuel. Mais le contexte qui peut sembler parfois secondaire, importe ici beaucoup pour Kitano : à la fois point de convergence et de divergence, la boxe influence le parcours de nos deux protagonistes principaux, Masaru et Shinji. De plus, elle est le lieu de très belles séquences : comment oublier ces si belles balades à vélo - une pratique que nos deux comparses intériorisent dans le cadre de leur entraînement - dans ce paysage à la fois urbain et sauvage, jonché de gratte-ciels, tous symboles d'un Japon marqué par l'oxydation de sa propre nature secrète, une nature silencieuse et perdue sous les gravats cimenteux de Tokyo, où le seul élément de réconfort subsiste dans la posture de Masaru, reposant sa tête sur le dos de son camarade Shinji comme pour signifier l'amitié mutuelle à la fois simple et puissante que les deux personnages portent l'un pour l'autre ?
Kids Return est avant toute considération un film sur la jeunesse. A l'instar de L'été de Kikujiro, Kitano professe son amour pour cette étrange tranche de la vie où naïveté, fragilité, spontanéité et franchise s'entremêlent où l'espoir est encore possible, toléré et tolérable. Le film dispose d'une chronologie découpée de manière binaire : les années lycées marquées par l'insouciance de nos deux (anti)-héros, ainsi que le passage à l'âge adulte fait de responsabilités et de craintes des lendemains. Masaru et Shinji vivent dans une bulle. Ils passent la majorité de leurs temps à sécher les cours et à flâner sur le toit de l'école, en faisant accessoirement des farces à leurs professeurs et camarades de classe. Cette détente, cette temporaire ataraxie va voir l'irruption d'un élément perturbateur qui va amorcer lentement mais sans perdre de sa violence intrinsèque, la transition vers l'âge adulte : la boxe.
La boxe, c'est l'occasion de révéler son identité. C'est un outil fédérateur, mais également clivant pour nos deux personnages. Aux entraînements, Shinji est appliqué et patient : il sait que les efforts s'obtiennent dans la difficulté et la douleur. C'est ce qui fait qu'il est meilleur que Masaru, impatient et désinvolte petite frappe au mental faible qui ne veut s'entraîner que pour parfaire et compléter sa formation physique de caïd. Irrémédiablement, comme si la main providentielle du destin avait décidé de choisir la boxe comme glaive, Shinji et Masaru sont séparés et deux trajectoires distinctes se dessinent : l'un devient un boxeur prometteur, le second est un yakuza qui a acquis les bonnes grâces du milieu par sa notoriété.
Kids Return est une oeuvre paradoxalement belle et pessimiste à la fois : Kitano semble de prime abord vouloir nous dire que nos rêves et nos aspirations ne sont finalement qu'inféconds et fragiles : l'espérance qu'ils deviennent réalité est mince : la réussite est jouée d'avance par la force simple de notre détermination à voir son accomplissement. Nonobstant, au-delà de ces considérations sur l'échec et la réussite, Kids Return fait avant tout l'éloge de l'amitié dans ce qu'elle a de plus splendide : la transcendance de l'individualité au profit du lien commun. Car si la boxe divise, elle rapproche également. Le choix de l'incipit et de l'excipit en sont les preuves : on commence par une balade à vélo et on conclut par... une balade à vélo.