"Les Vampires" ou "Ne jamais se fier aux apparences"
Critique tirée du livre " 1001 films à voir avant de mourir".
On a dit que ce film légendaire était une pierre blanche dans l'Histoire du feuilleton, un précurseur de l'esthétique de la profondeur de champ que Renoir et Welles développeront plus tard, et un proche cousin du mouvement surréaliste. Mais c'est dans la genèse du film policier qu'il jouera un rôle fondamental. Il se présente comme un ensemble de dix chapitres vaguement reliés les uns aux autres, de longueur très variable, et sortis à intervalles irréguliers: sa place se trouve quelque part entre la série et le feuilleton. L'intrigue, alambiquée et souvent incohérente, tourne autour d'une bande de flamboyants criminels, les Vampires, et de leur adversaire, l'intrépide reporter Philippe Gérande.
Les Vampires, maîtres des déguisements qui portent souvent des cagoules et des justaucorps noirs pour commettre leurs crimes, sont dirigés par quatre Grands Vampires. Ils sont fidèlement servis par la vamp Irma Vep (anagramme de vampire), qui constitue le coeur et l'âme du gang, et d'ailleurs du film tout entier. Incarnée avec une voluptueuse énergie par Musidora, dont ce rôle fera d'elle une star, Irma est le personnage le plus intéressant, surpassant de loin Guérande, le héros insipide, et son remarquable faire-valoir comique Mazamette. Son charisme atténue l'opposition du bien et du mal et contribue à la tonalité quelque peu amorale du film, effet renforcé par la manière dont les bons et les méchants usent souvent des mêmes stratagèmes et fourberies, et à la fin (Spoil d'une ligne!) par le massacre inquiétant et féroce des Vampires.
A l'instar des histoires de détective et des films à base de maisons hantées, Les Vampires crée un monde apparemment cohérent dominé par l'ordre bourgeois, tout en en sapant les fondements. Les planchers et les murs des châteaux et des hôtels sont percés de portes dérobées et de panneaux secrets. De vastes cheminées servent de voies d'accès aux assassins et aux voleurs qui courent sur les toits de Paris et montent et descendent le long des gouttières comme des singes. Des passagers clandestins montent sur les taxis, qui possèdent des faux planchers pour éjecter des fugitifs au dessus des bouches d'égout. Le héros peu méfiant sort la tête de la fenêtre de son appartement situé en haut d'un immeuble. Il se retrouve étranglé par un câble qu'on manipule d'en bas. On le descend jusqu'à la rue, on le fourre dan s un grand panier, et il est embarqué dans une voiture. Dans une autre séquence, un mur avec une cheminée s'ouvre pour laisser passer un gros canon qui glisse jusqu'à la fenêtre et tire des obus vers le cabaret voisin!
Pour renforcer cette atmosphère d'instabilité fantasque, l'intrigue est construite autour d'une série de coups de théâtre justifiés par les apparences trompeuses: des "morts" reviennent à la vie, des piliers de la société (juge, policier...) s'avères des Vampires, tandis que des Vampires s'avèrent des représentants de la loi infiltrés. C'est le talent de Feuillarde pour créer, sur une grande échelle, un monde double, à la fois pesant et onirique, familier et terriblement bizarre, qui sera d'une importance cruciale pour l'évolution du film à suspense, et qui désigne Les Vampires comme un pionnier du genre.
[Martin Rubin]
http://www.senscritique.com/liste/Les_critiques_des_1001_films_a_voir_avant_de_mourir_avec_les/351166
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