Les Vampires par Tanguydbd
En 1915 sort "Les Vampires" réalisé par Louis Feuillade, un serial narrant les aventures de Philippe Guérande contre le gang des Vampire, une bande de malfrats semant la terreur dans le tout Paris. Malmené par la critique, il trouve néanmoins son public chez les surréalistes, ces derniers consacrant le personnage d’Irma Vep, qui deviendra une icône du mouvement.
Ce qui frappe d’abord au visionnage du film, c’est le fait que celui-ci fait la jonction entre matière réflexive sur l’art et la vie, et la capacité à divertir le spectateur. Ce n’est pas surprenant que le film ait tant plu aux surréalistes. « Les Vampires » organise son espace autour d’un monde qui ne contient aucune barrière. Les personnages s’échappent par les toits, les maisons regorgent de passages secrets, les fenêtres font office de porte, etc… Ce monde dérivé n’est qu’un quotidien fantasmé, qui n’a jamais rêvé de se cacher de parents agaçants afin de leur jouer un mauvais tour ? Cette excitation de l’imagination se retrouve dans les armes utilisés par les Vampires : un canon, un stylo à encre mortelle…Fantasques et presque irréels, ils permettent l’invincibilité et la force des Vampires.
En 1924, André Breton définissait le surréalisme dans le premier Manifeste du Surréalisme, comme un « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale [...] ». C’est en cela que le film construit une forme de son temps et cela se répercute sur l’intrigue. Le film est un serial composé de dix épisodes pour une durée totale avoisinant les 7 heures. Il serait stupide de les séparer puisque, bien que différents, ils forment une unité. C’est l’un des premiers feuilletons cinématographiques et peut-être le film jalon dans le cinéma d’aventures. En effet, ce dernier est impressionnant de maîtrise dans la façon dont il densifie son intrigue tout en conservant une linéarité et une visibilité exemplaires. C’est un film d’aventures pur, généreux, qui refuse toute psychologie pour se concentrer sur l’action et ce qui se passe dans le cadre. Il y a une accumulation de scènes de bravoures et d’inventivité, à faire pâlir des sagas comme Indiana Jones & co. Il pose aussi les éléments récurrents au genre : un héros sans peur, un meilleur ami gaffeur mais fidèle, un méchant diabolique et son assistante se révélant être le véritable méchant de l’histoire,…
Se concentrer sur l’aventure et refuser tout ce qui peut lui nuire : cela permet au spectateur de se laisser entraîner dans l’histoire et vibrer auprès des personnages. La durée du film y est pour beaucoup dans ce mouvement du spectateur ; ainsi toute invraisemblance est admise puisqu’elle sera au service du récit (cf « plaire à nos amis les rationnels » Hitchcock/Truffaut).
Cet emprunt du nom vampire, par référence au mythe, n’est pas anodin. Les deux tuent. Les deux sortent la nuit. On pourrait presque dire que les deux sucent le sang. Cela relèverait de la métaphore, mais que l’on peut expliquer par l’affiche questionnant le spectateur : « Mais qui sont les Vampires ? ». Le film, influencé par le surréalisme, lui emprunte son souci de non-morale. C’est le récit d’une lutte entre deux camps, dont le but est le même : neutraliser l’autre. Les moyens utilisés s’avèrent être les mêmes, la confusion est poussée à son paroxysme jusqu’à l’identité des Vampires : les cadres et fonctionnaires sont des Vampires, Mazamette, le fidèle Mazamette était lui-même un Vampire ! Face à cette duplicité identitaire, la réflexion rejoint le divertissement et fait du film d’aventures originel, un puits au fonds thématique très riche : il n’en devient que plus beau.
Mais alors qui sont les Vampires ?
Les Vampires sont les Hommes.
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