Mon premier drama japonais, et je dois dire que je suis agréablement surpris. Mon appréhension initiale a rapidement cédé la place à un vif enthousiasme, néanmoins tempéré par les derniers épisodes de la série, un peu décevants, et une fin discutable.
Ce qui frappe d’abord devant Love and Fortune, c’est la qualité de sa réalisation. C’est bien simple : on se croirait devant un film. La qualité d’image est magnifique, la photographie est exquise et la mise en scène réserve son lot de surprises et de belles trouvailles, comme cet usage du split screen pour le moins original afin de signifier la confusion ou le harassement que subit Wako (l’héroïne). Le montage est quant à lui très maîtrisé, donnant lieu à plusieurs reprises à des séquences vraiment marquantes pour une série télé.
Plus largement, c’est l’atmosphère qui se dégage du drama qui est très agréable et est un véritable ravissement pour les yeux : couleurs pastels, cadre très lumineux, décor urbain poétique… ce n’est pas un Tokyo de carte postale, mais pas loin. Disons que ça ressemble beaucoup à un film d’auteur japonais récent, mêlant habilement le naturalisme et l’esthétisation.
Pour ce qui est de l’histoire, elle est centrée sur Wako, une femme qui va bientôt fêter ses 32 ans et qui est au chômage. Bonne poire, elle vit en couple avec Fu, un grand enfant lui aussi trentenaire, absorbé par son travail la journée et qui joue aux jeux vidéo toute la soirée, faisant ainsi bien peu de cas de sa moitié (à part quand il veut tirer son coup, ce que madame accepte sans trop broncher). Wako est donc à peu de choses près l’archétype de la femme japonaise opprimée passivement par la société, par ses codes moraux et ses brimades constantes à l’égard de celles qui ne rentrent pas parfaitement dans le moule de la tradition. D’un naturel renfermé, elle encaisse avec une vaillance assez émouvante les critiques souvent méchantes et dégradantes que lui inflige son petit ami ou sa sœur, qu’elle relativise en considérant que sa situation n’est après tout pas horrible pour une femme de son âge : elle aura en effet bientôt l’occasion de se marier et d’enfanter afin de mener la vie attendue d’une Japonaise « normale ».
Aussi lorsqu’elle rencontre par hasard un lycéen dans le petit cinéma d’art et d’essai où elle travaille, elle tombe instantanément et presque naturellement sous son charme. Un coup de foudre renforcé par la passion commune des deux personnages pour le cinéma justement. Jusque-là, l’idylle semble toute trouvée et quasi nécessaire sauf que… 16 ans séparent Wako de Yumeaki (c’est le nom du lycéen). Et alors me direz-vous ? Le truc, c’est que Yumeaki a 15 piges ! Et qu’au Japon (comme peut-être en France, je n’en sais trop rien à vrai dire), une personne majeure qui couche avec un mineur est passible de poursuites pénales (un petit carton au début d’un épisode le rappelle, juste avant une scène de cul d’ailleurs…). De là va jaillir un double dilemme pour Wako : doit-elle tromper son petit ami Fu, qui la traite franchement comme de la merde et la considère comme sa propriété naturelle au bout de quatre ans de vie commune ? Ou doit-elle lui rester fidèle, lui qui lui apporte une forme de stabilité et de sécurité dans une société ô combien critique de toute déviance morale ?
Je vais éviter de trop m’étaler sur la suite sinon ce sera trop long, mais sachez que le drama fait un travail assez convaincant pour traiter de cette histoire en apparence banale (et qui pourra déplaire du fait de l’âge du protagoniste masculin) et lui donner un tour franchement intéressant, évoquant par exemple le risque de la routine qui menace toute relation amoureuse de longue durée, ou bien la difficulté pour une femme encore aujourd’hui au Japon d’être célibataire passée trente ans et de ne pas vouloir d’enfant. Au fil des épisodes et des situations difficiles auxquelles se voit exposée Wako, le drama déroule un message féministe d’une façon pertinente et qui m’a personnellement beaucoup plu, faisant par exemple grand cas de la charge mentale qui pèse sur les femmes dans un couple (ranger les affaires, faire la lessive, la vaisselle etc.).
Le thème subversif de la romance entre Wako et Yumeaki est traité comme tel à l’écran, et je dois dire que j’ai été surpris par le ton très cru et adulte du drama japonais, qui tranche radicalement avec ce à quoi m’ont habitué leurs homologues coréens. Le premier épisode annonce la couleur, avec des scènes de sexes sans trop de filtre et des baisers langoureux. Plus globalement j’ai trouvé qu’il se dégageait de la série aussi bien de la sensualité, par moments franchement érotique, qu’une vraie poésie dans les rapports sexuels et amoureux. Si l’on pousse l’analyse, on peut même déceler les sentiments des personnages vis-à-vis de leur partenaire en fonction de la façon dont ils font l’amour, et c’est plutôt bien trouvé.
La série n’en demeure pas moins « romantique » en offrant des moments de douceur entre les deux protagonistes tout à fait charmants. La barrière de l’âge est ainsi remise en question à plusieurs reprises, même si son poids social ne parvient jamais totalement à disparaître. La séduction entre Wako et Yumeaki m’a beaucoup fait penser à Something in the Rain pour ce qui est du réalisme avec lequel est abordé la vie de couple et ses répercussions au sein d’une société moralement conservatrice, ou bien à Secret Affair pour le côté transgressif de l’infidélité de Wako qui s’impose rapidement comme une échappatoire à sa vie très contrôlée par son copain.
Pour autant le drama n’est pas dénué de tout défaut. On peut citer les inénarrables situations téléguidées (rencontres fortuites, téléphone qui vibre au moment opportun etc.) ou encore quelques choix irrationnels (même si cela reste limité ici) destinés à renouveler la narration. En outre, et c’est là plus subjectif, j’ai trouvé que la première moitié accablait un peu trop moralement Wako, notamment en lui faisant porter seule le fardeau de l’infidélité, tandis que son copain lui demeure fidèle dans une situation pourtant… tentante. En contrepartie il y a une belle dénonciation de ce que peut être la masculinité toxique de nos jours et des différentes formes qu’elle peut prendre : disons donc que ça équilibre en quelque sorte.
Pour conclure je ne peux que conseiller Love and Fortune, qui est d’autant plus séduisante par son format condensé (12 épisodes de 25 minutes chacun). L’ennui n’a jamais le temps de pointer son nez et il en ressort finalement une belle cohérence du tout. Mention spéciale à la bande-son, sympathique, et aux acteurs (notamment Eri Tokunaga, qui joue Wako) justes dans leur interprétation, sans trop abuser des tics dramatiques propres aux séries asiatiques. Très sympathique !