L'anthologie de SF est devenue aussi rare que précieuse à l'écran. Initié dans les années 60 par des séries cultes telles que The Twilight Zone et The Outer Limits, ce format télévisuel aura quelque peu périclité ces deux dernières décennies malgré quelques tentatives honorables (Au-delà du réel : l'aventure continue, Metal Hurlant Chronicles) avant de se voir à nouveau mis au goût du jour par le succès de la série Black Mirror. Conscient du potentiel narratif et visuel de la SF à l'écran, à une époque où le format télévisuel propose autant de qualités formelles et scénaristiques qu'au cinéma, les réalisateurs David Fincher et Tim Miller se sont associés pour parrainer et produire, pour le compte de Netflix, cette nouvelle série d'animation sous forme d'anthologie où chaque épisode de format court (10 à 20 min environ) a été confié à différentes équipes d'artistes issus de la nouvelle génération d'animateurs américains, japonais et français.
A mi-chemin entre la série live Metal Hurlant Chronicles et le film d'animation Animatrix, Love Death and Robots nous propose donc une série d'histoires indépendantes, versant tout autant dans la pure SF que dans le fantastique ou l'horreur et dont les concepts plus ou moins originaux renvoient à bon nombre d'influences littéraires et cinématographiques. En cela le titre est prometteur, il s'agit ici souvent de morts et de machines, un peu moins d'amour, dans des intrigues plus ou moins futuristes, racontées de l'une à l'autre sur un ton dramatique, terrifiant ou plus humoristique. Il s'agit souvent ici pour les auteurs d'ironiser sur l'avenir de l'humanité, de placer notre espèce face à ses successeurs et de relativiser la place de l'homme sur l'échelle des êtres en nous laissant entrevoir, par la succession de différentes approches graphiques, une variété de mondes sinistres, de passés revisités et d'avenirs possibles. Un futur sordide où des nantis décadents se régalent de combats de monstres génétiques, une boucle temporelle où une victime se confond avec son assassin, un artiste centenaire à la renommée interplanétaire donnant son ultime interview, une équipe de fermiers de l'espace se servant de méchas agricoles pour défendre leurs terres d'une invasion alien, un trio de mercenaires réveillant le plus illustre des enfants de la nuit, un voyageur spatial prisonnier d'une terrifiante entité alien amoureuse, une escouade de soldats soviétiques affrontant des hordes de démons dans les hauts plateaux sibériens...
L'humour bien présent, et poussant jusqu'à l'absurde dans des oeuvres comme Three Robots, When the Yogurt took over ou encore Alternate Histories contrebalancent la violence brute de segments comme Sucker of souls ou Shape-shifters, et la poésie elle, illuminera des morceaux tels que Good hunting ou encore Fish Night. Les influences ne manquent également pas dans cette succession d'histoires qui empruntent autant à Richard Matheson (Sonnie's edge lorgne sur la nouvelle L'indéracinable) qu'à Miyazaki (Good Hunting, véritable hommage à l'auteur de Princesse Mononoké) en passant par Alaistair Reynolds (Beyond the Aquila Rift et Zima Blue adaptent deux de ses nouvelles), Francis Paul Wilson (Sucker of souls évoque furieusement La Forteresse noire), Alfonso Cuaron (Helping hand emprunte son postulat à Gravity) ou encore Paul Verhoeven (Suits reprend une partie du propos de Starship Troopers). Mais la particularité la plus remarquable de chacun de ces courts-métrages est bien entendu leur approche visuelle propre. On y trouve surtout de l'animation en full CGI, de l'animation plus traditionnelle au style varié (Good Hunting, Sucker of souls), du cell shading (Fish Night), et même un mélange de prises de vues live et d'animation digitale (Ice Age, porté par le jeu décalé du couple Winstead-Grace).
De ce large éventail d'histoires fantastiques, mes préférences vont aux segments Three Robots (pour son humour irrésistible), Good Hunting (pour son lyrisme crépusculaire), Beyond the Aquila Rift (et son petit côté horrifique à la Event Horizon), Zima Blue (pour son style visuel) et Blindspot (pour son action débridée et sa cool-attitude). De toute manière, chacun des court-métrages composant cette première saison se savourent comme autant de petites pépites du genre qui propulsent d'ores-et-déjà leur écrin en tête des meilleures séries de SF actuelle. Du grand art en petits formats.