Lovecraft Country
5.8
Lovecraft Country

Série HBO (2020)

Et pourtant, je suis une gauchiasse bien-pensante...

Forcément une série qui parle d'une aventure dans l'univers de Lovecraft ça donne direct vraiment envie. Qui plus est dans les années 50 et en plus, en plus, les personnages principaux sont black... Dans un contexte racial tendu du slip. Bref tout ce contexte peut donner vie à des personnages justes excellents, pour peu, évidemment, que le thème soit parfaitement maîtrisé! Autant dire que ces promesses semblent être tenues dans les premiers épisodes. Ceux à Ardham sont franchement géniaux, et les suivants sont aussi bon que nécessaire, explorant un peu plus cette Amérique inégalitaire des années 50 le tout saupoudré d’un petit parfum de jeu de rôle un peu foireux mais tellement jouissifs. Bref ça partait très bien, c’était un peu tout ce que j’aime, présenté comme je l’aime, l’ensemble avec la plupart des perso qui me plaisaient déjà. Bon alors ok, une fois ou l’autre ça appuie un poil trop le propos, mais passons, ça reste globalement très bien.


Puis... Vient l’épisode ou Ruby (la sœur de la femme d’Atticus le héros principal) devient une femme blanche… Gigantesque, énorme <3. J’ai adoré cette épisode mais aussi ce qu’il impliquait pour le reste de la série. ça te parle d'un sujet très progressistes (ce qui à la fois me fait plaisir mais fait aussi clairement partie du cahier des charges) et ça fait le taff à la perfection car au-delà de parler de sujet tabous à l’époque et de vraiment décrire un environnement ou le racisme est banalisé à l'extrême, ça parle surtout de personnage. De personnage iconoclaste qui brise le triomphe de la médiocrité bien sage pour s’assurer le respect de leur propre liberté tout en étant des parfaits exemples de personnages d'une amoralité rarement aussi assumée dans une série. Ruby et Christina ne sont pas décrites comme des personnages fondamentalement bons ou mauvais, juste comme des femmes étant prêtes à tout pour qu'on les respecte dans un monde où elles doivent se battre pour chaque microgramme de liberté. Si l’une est nettement plus privilégiée que l'autre (#intersectionnalité), elles sont toutes deux animée d’une envie d’être libre qui dépasse les frontière de la société de la morale et même des « lois naturelles ». Ruby par exemple en plus d’être une femme noire, qui se découvrira aussi bisexuelle (je rappelle, qu’on est dans les années 50 :/ ) doit en plus de ça supporter sa famille dont son idiote de sœur qui ne pense constamment qu’a sa propre tronche. Bref Ruby n’a aucune liberté même à l’intérieur de son propre milieux social qui est pourtant déjà marginalisé et soumis à pression. Cet épisode traite précisément de ça, de son combat pour sa propre liberté, mettant encore plus en lumière le thème de la série dans son entièreté. En aurait-il été autrement si la société dans laquelle elle vivait avait été différente ? Cet épisode nous invite à cette réflexion de manière subtile et intelligente. En effet, Ruby se libère progressivement du fardeau que représentent les bonnes valeurs chrétiennes ainsi que d’une famille qu’elle n’a cessé de subir depuis le début de la série. Idem pour Christina, qui malgré de nombreux privilèges, est clairement montré comme un personnage ayant ressenti tant de discriminations, qu’elle se fiche désormais pas mal de la couleur de peau, du sexe ou même de l’orientation sexuelle de qui que ce soit, car elle évolue désormais simplement en dehors des codes moraux et des valeurs de cette société et de n’importe quelle autre société. Bref, cette femme ne peut nullement être vue comme un représentant de cette société conservatrice et encore moins de son racisme structurel pour tout un tas de raisons cités plus haut mais aussi parce qu’elle tombe amoureuse d’une femme noire et qu’elle tue, toute une loge composée de vieux hommes blancs qui se trouvaient, malheureusement pour eux, sur le chemin la reliant à son objectif.


Après cet épisode, on va pas se mentir, c’est un peu la Berezina. Atticus et sa famille s’enfoncent dans des subplots aussi inutiles et convenus que sans grands intérêts. Dont un avec la madre qui voyage dans le temps qui n’a proprement aucun sens et où elle sera juste décrite comme « la femme forte » (qui fait de la science)… Notez que, pour moi, « la femme forte » n’est pas un personnage, juste une fonction quelconque que je vois de plus en plus souvent et qui commence à très sérieusement me casser les burnes. Je veux des persos, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs aspirations et leurs craintes, pas des personnages forts qui ne sont qu’une putain de représentation maladroite de ce que doit être un.e humain.e de telle ou telle type dans la tête des gens qui ont « écrits » ces persos. Qui plus est, vous êtes totalement cons ou vous ne voyez pas que cet appel à la perfection est justement un des trucs qui ne va gravement pas dans notre société ? Bref, casse toi Mary Sue. La bonne femme dont j’ai oublié le nom et qui est pourtant un des persos principaux (appelons la pregnant Sue), tombe enceinte d’Atticus qui se rend compte qu’il va devoir mourir parce que Cristina veut le buter pour un rituel d’immortalité. Là, pregnant Sue qui est la sœur de Ruby (rappelons le) dit à sa sœur qu’elle est enceinte et du coup Ruby, par le pouvoir des valeurs familliale américaine chiante pousse Ruby à prendre des risques pour les aider trahissant ainsi Cristina qui leurs avaient pourtant dit qu’elle ne tuerait plus Atticus si ils leurs livraient le bouquin pour tenter de devenir immortel sans tuer personne. Ce qui prouve que si elle peut éviter de tuer des gens elle le fait. Bref, c’est un deal que personnellement j’aurais accepté mais qu’ils n’ont pas accepté (pour une raison bien puante). Cristina bute Ruby, qui est donc morte parce que sa famille puisse garder son livre pour elle, mais aussi parce que sa sœur lui à basiquement demandé « tu pourrais risquer ta vie pour moi stp, je suis enceinte »… Voila, voila, vous les sentez les haute valeurs morales des personnages ? Ok, mais du coup pourquoi vouloir absolument garder ce livre ? Pour se protéger ? Même pas ils avaient déjà accès à la magie et Christina les aurait probablement arrosés de thunes s’ils avaient négociés. Ok alors, parce que Christina voulait la fin du monde ou leur voulait du mal à eux ou à leurs communautés? Non pas du tout, c’est parce que ce livre c’est leur héritage, il leur appartient à eux, à leurs famille et l’héritage est un grande valeur qui ne peut jamais être remis en question. Une autre raison sera révélée plus tard et découvert un peu par hasard par les « héros ». Il s’agit de bannir les blancs de la magie (qu’on m’explique dans un continuum génétique aussi complexe ce qu’est un homme noir ou un homme blanc, je serais très curieux de l’apprendre)… Atticus mourra aussi d’ailleurs pour protéger sa femme enceinte incarnant ainsi le héros américain typique mais version noir. Alors si je dis ça, et que j’insiste sur le « version noir », ce n’est pas tant parce que je pense que la « race » soit importante, c’est d’ailleurs pour ça que je mets des guillemets et que je vous parle de continuum génétique, parce que l’effet de ce sort n’a justement aucun PUTAIN de sens. Par contre, pour les auteurs, c’est visiblement très important, et on peut les comprendre, car bien que n’ayant aucun sens génétique (on peut donc se demander si un métisse serait considérés comme blanc) l’Histoire est là. Les personnes considérées comme noirs ont eu à subir, et subissent encore, des violences et des injustices absolument dégueulasses. Donc, même si ça n’a aucune putain de cohérence, on peut comprendre les motivations des scénaristes à nous pondre une bouse pareille, je dirais même que leurs combats est légitime, enfin aussi légitime que maladroitement amenés. Alors pourquoi moi qui me définit comme de gauche plutôt progressistes j’ai un gros problème avec cette histoire et que cette dernière me révulse profondément ?


Parce que je suis convaincu qu’on ne combat pas les privilèges en s’en accordant d’autres privilèges. Je pense qu’on combat les privilèges en les abolissant. Alors je peux comprendre l’idée de lutte qui est derrière, avoir une arme pour lutter contre le système contre les ennemis blancs pour les combattre par une violence qu’il ne saurait exercer contre nous. Je trouve même ça, dans le contexte, potentiellement valables. Sauf que la magie n’est pas détenue par l’ensemble des noirs, juste par eux ! Ce bouquin est un bouquin familiale pour que leurs famille puisse se protéger (ce qui était inutile comme stipulé plus haut) Bref, ils se sont accordés un privilège et ils se sont battus, juste pour ça. Pas pour les autres, pas contre un système, car comme dit plus haut Christina n’incarnait en rien ce système qu’ils et qu’elle détestait à juste titre. Bref, ça tombe totalement à plat, car l’enjeu de stopper ce rituel n’est plus ni de sauver Atticus, ni d’empêcher la fin du monde mais bien de s’accorder un privilège. Ils ne savent au début pas qu’ils pourront bannir les blancs de la magie. Ils veulent juste garder un héritage familial qui leur apportera une élévation sociale. D’ailleurs dernière anecdote Christina, alors à terre, sera achevée par la gamine de Mary Sue (Kiddie Sue ? Je ne me souviens plus de son nom) avec son bras bionique qui n’a absolument rien de Lovecraftien et chie d’ailleurs allègrement sur le matériau d’origine (ce n’est pas du tout la seule fois ou ça arrive d’ailleurs, l’épisode sur la Mary Sue la madre est juste horripilant). Alors que cette dernière a soigneusement évité le combat et que Christina ne représente plus une menace pour qui que ce soit… Je n’appelle pas ça du courage ou une fille forte, perso, j’appelle juste ça une meurtrière sanguinaire.


Bref, pour moi cette famille qui sacrifie un d’entre eux, pousse une de ses membre à risquer sa vie pour garder un privilège, qui pardonne au père d’Atticus d’avoir égorgé une femme parce qu’il avait peur de la connaissance que cette dernière avait sur les événements juste parce qu’il a des liens de sangs avec, et pour finir, dont l’un des membres tue une femme à terre sans défense parce qu’elle pouvait, basiquement… Cette famille-là, ne représente en rien pour moi une aspiration à un monde plus juste et plus équitable, les injustices que ses membres ont vécus ne justifiant pas tout. Mais ce qui me pose plus problèmes, au-delà de la morale moisie qui bien qu’anti raciste (et encore ça se discute) maintient malgré tous des valeurs salement conservatrice bien américaine (l’héritage l’ancien soldat US se sacrifiant pour sa femme enceinte), c’est que encore une fois l’histoire, la narration et les personnages ont été sacrifiés sur l’autel de message politique aussi maladroit que simpliste. Je ne serais d’ailleurs même pas surpris que tout ce tapage soit profondément contre productif. En effet, pour être sûr que le message gros comme une maison passe auprès de tout le monde, on te fait des personnages lisses, des histoires ou souvent le méchant est clairement désigné et surtout des histoires qui sont soit éculés, soit ultra lisse et convenues. Bref ça devient chiant au fur et à mesure que le message est apporté explicitement et sans nuance puis c’est surtout vraiment triste parce que cette série avait du potentiel. En particulier, quand on regarde les premiers épisodes.


Bref, j’ai beau être progressiste et de gauche, j’aimerais que les showrunners se recentrent d’abord sur ce que doit être une bonne fiction. Parce qu’ici, en plus de véhiculer des messages bas du front, ça ne me fait pas voyager au pays de Lovecraft et de Cthulhu, pas plus que ça ne me divertis.

Nicolas_Otter
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le 9 nov. 2020

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Nicolas Otter

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