Première partie :
Les fans – les vrais – d’Arsène Lupin, personnage fantasmagorique créé par Maurice Leblanc au début du XXèe siècle, qui mériterait d’être aussi connu internationalement qu’un Sherlock Holmes, ont beaucoup souffert au fil des années devant les différentes adaptations cinématographiques et télévisuelles des aventures de leur idole. Peu de gens savent néanmoins que la première adaptation de Lupin date de 1917 et a été… américaine ("Arsene Lupin" de Paul Scardon), et qu’elle n’a pas été la seule… preuve qu’à l’époque, Hollywood ne méprisait nullement les héros français ! On imagine que peu se souviennent – ou connaissent – les adaptations cinématographiques des années 50 (avec un improbable Robert Lamoureux dans le rôle-titre !) et 60 (avec Jean-Claude Brialy !!), mais on connaît bien des gens qui parlent encore avec nostalgie de la pourtant très médiocre – et largement hors sujet – série télévisée des années 70, avec un Georges Descrières qui n’avais visiblement jamais pris la peine de lire un livre de Maurice Leblanc. La dernière tentative en date datait de 2004, et bénéficiait de l’énergie joliment machiavélique de Romain Duris (plutôt bien casté) mais était plombé par un scénario idiot et la mise en scène désastreuse de Jean-Paul Salomé.
C’est dire que l’apparition sur nos abribus d’une affiche annonçant l’arrivée d’Omar Sy en Lupin dans une série Netflix était plus inquiétante qu’excitante, même si, quelque part, la promesse d’un vrai « reboot » de la légende faisait vaguement rêver. Alors, après avoir regardé, en les enchaînant bien entendu, les 5 premiers épisodes de la (mini ?) série, les seuls mis en ligne pour le moment, quel est le verdict du fan ?
Eh bien, contre toute attente, ce nouveau "Lupin" est une série correcte, qui témoigne d’un vrai amour de notre héros, grâce à un scénario basé sur la mise en abyme du personnage originel et de l’œuvre littéraire de Leblanc, qui est traitée ici plus comme une référence – permanente – qu’autre chose. Assane Diop, gentil escroc sénégalais n’a hérité de son père, victime d’une erreur judiciaire, que d’un livre, le premier tome des aventures d’Arsène Lupin, ouvrage qui aura dicté largement son choix de vie : devenir un cambrioleur et un escroc, mais avec brio, classe et intelligence… Jusqu’à ce qu’à l’occasion d’un hold-up de haute volée, il ne soit confronté à l’occasion de comprendre ce qui est réellement arrivé à son père, et peut-être à le venger.
Et oui, ce script est fort malin, car il permet de raconter / mettre en scène des aventures « à la Maurice Leblanc », sans que le téléspectateur ne songe à s’offusquer de trahison vis-à-vis des principes du personnage de Lupin, puisqu’il est bien clair qu’on n’a affaire ici qu’à l’un de ses admirateurs / copy cats. Ce qui ne dispense pas les scénaristes de disséminer tout au long des 5 épisodes un chapelet de références, de clins d’œil, de citations : bref du fan service, mais plutôt de haut niveau, finalement.
En revanche, puisqu’il est dit que notre bonheur ne peut jamais être total, on déplorera le lot habituel d’incohérences, de simplifications, de facilités scénaristiques typiques de maintes séries TV sans doute réalisées un peu trop rapidement, et prenant le pari que le spectateur ne sera pas trop tatillon. Plus ennuyeux, car on retrouve là le défaut classique des adaptations de Leblanc, on déplorera un manque d’intensité indiscutable des situations – loin d’un certain romantisme flamboyant qui caractérise les meilleurs moments de "813" -, et une certaine fadeur – au moins pour le moment – des antagonistes, bien éloignés des figures effrayantes des véritables monstres qu’affrontait Lupin dans les livres.
Là où "Lupin" marque des points, c’est que son histoire décline, bien plus justement que les adaptations « directes » des livres, nombre de sujets essentiels de ceux-ci : les conventions sociales étouffantes dont Lupin se joue, l’arrogance, la méchanceté et la malhonnêteté des puissants que Lupin combat (même s’il n’a, dieu merci, rien d’un Robin des Bois !), la brutalité des relations humaines derrière le vernis de la civilisation, la complexité des machinations politiques et policières que doit affronter Lupin, etc.
On ne regrettera que le fait qu’Assene soit beaucoup moins tombeur qu’Arsène, qu’il préfère les joies de la fidélité à une seule femme, mère de son enfant, à l’amour romantique exalté, et, surtout, surtout, – au moins dans ces 5 premier épisodes – qu’il ne TUE pas. Est-ce le fait qu’Omar Sy refuse de jouer un personnage qui ait un côté sombre trop prononcé ? Toujours est-il que l’absence de cette violence originelle du personnage est l’une des vraies faiblesses de la série… même si, pour le moment, il nous faut bien admettre que, contre toute attente, Omar Sy est un disciple Lupin tout-à-fait honorable…
Après un joli cliffhanger à la fin du cinquième épisode (qui se passe à Etretat, le 11 décembre, date anniversaire de la naissance de Leblanc, bravo et merci !!), nous voilà prêts pour la prochaine volée d’épisodes, qui, espérons-le, confirmeront cette bonne première impression…
[Critique écrite en 2021]
https://www.benzinemag.net/2021/01/09/netflix-lupin-1ere-partie-paul-luis-raoul-et-les-autres/
Seconde partie :
Nous avions quitté notre ami Assane Diop en pleine débâcle à Etretat, mais nous étions bien entendu confiants dans les capacités de notre Lupin Ver 2.0 à se sortir de n’importe quelle situation désespérée, comme dans tous les bons romans de Maurice Leblanc… Alors qu’allait-il se passer ?
Eh bien, pas grand-chose en fait ! Grève des scénaristes ? Effet pervers de l’épuisement lié au reconfinement ? Toujours est-il que cette nouvelle salve d’épisodes se traîne misérablement, au moins jusqu’à l’épisode final, pas trop crédible mais retrouvant au moins un peu du panache indissociable du « mythe Lupin ». On s’ennuie, on s’ennuie devant le manque de fil conducteur de l’intrigue, devant ses flashbacks vers l’adolescence d’Assane qui n’ont qu’un faible intérêt (l’histoire de la carte des Catacombes, par exemple, n’aurait pas mérité plus de quelques minutes…), devant le des rebondissements aussi faibles qu’improbables. Du coup, on a tout le temps de remarquer les faiblesses d’une interprétation manquant de plus en plus de conviction – Omar Sy ne sait clairement pas vraiment quoi faire de son personnage, mais le reste du casting est au diapason – ou d’une mise en scène digne des téléfilms de notre enfance, voire même, allez, osons l’amalgame, des programmes passe-partout de TF1.
Du coup, "Lupin" se transforme en un dépliant touristique vantant les charmes de Paris, curieusement beaucoup moins sale et embouteillée à l’écran que dans notre réalité quotidienne, afin de ramener les touristes après la fin de la pandémie : et que je te visite les Catacombes, et que je te fais du scooter sur les quais en face de ce qui reste de Notre-Dame (pas trop montrée à l’écran, et c’est logique), et qu’on se donne rendez-vous au sommet des Buttes-Chaumont, et que je me promène des Puces à la Place Vendôme, et que je te fais un tour de la Place de l’Etoile vidée de sa circulation en pleine nuit. N’en jetez plus !
Quant au sous-texte amusant qui voyait dans les premiers épisodes combien la quasi-invisibilité du prolétariat africain pouvait jouer en faveur de Lupin, il s’est transformé ici en démonstration bien lourde du racisme des Français moyens (je suis sûr que les Normands apprécieront !). Si l’on y ajoute un sujet qui met en exergue un « tous pourris » – les hommes de pouvoir, la police, les médias – bien simpliste, "Lupin" est devenu malheureusement une série aussi maladroite que pas très sympathique.
Que nous reste-t-il désormais à nous, fans de l’œuvre de Maurice Leblanc, pour soigner notre nostalgie d’un personnage extraordinaire qui s’avère une fois de plus trahi à l’écran ? Un numéro de chambre d’un palace parisien, le 813 bien sûr, filmé avec insistance, comme pauvre clin d’œil racoleur de la part d’une série qui s’est dégonflée comme la baudruche qu’elle était.
Et l’annonce d’une troisième partie n’est pas faite pour nous réjouir.
[Critique écrite en 2021]
https://www.benzinemag.net/2021/06/15/netflix-lupin-2e-partie-cest-leblanc-quon-assassine-encore-une-fois/
Troisième partie :
Après une première partie irrégulière mais sympathique, Lupin, le porte étendard de Netflix France, avait sombré avec une seconde partie très décevante, qui nous avait presque dégoûtés de ce reboot contemporain de la mythologie du gentleman cambrioleur, rappelons-le, astucieusement perpétuée par un lecteur et fan, Assane Diop (Omar Sy, tout en séduction…).
Au regard des premiers retours enthousiastes sur cette troisième partie, nous avons eu envie de donner une nouvelle chance à la série de George Kay, et nous ne l’avons pas trop regretté, au fil de ces 7 nouveaux épisodes de bonne tenue : l'excellente décision prise par les scénaristes, c'est de se recentrer sur les arnaques et les vols opérés avec brio par Assane, notre émule d'Arsène Lupin.
Cette nouvelle histoire voit Assane, poursuivi par toutes les polices de France, réaliser le vol particulièrement audacieux d’une perle noire inestimable, au nez et à la barbe de toute une foule massée Place Vendôme. C’est là un premier épisode réussi et engageant, mais aussi une promesse forte pour la suite. Et la suite, c’est le piège dans lequel est enfermé Assane qui doit désormais travailler pour une mystérieuse équipe de kidnappeurs qui détiennent sa mère débarquée d’Afrique : comment va t il s’en sortir alors que l’inspecteur Guedira, tout aussi expert que lui des ouvrages de Maurice Leblanc, est sur ses traces ?
Construite habilement en entremêlant – comme précédemment – des scènes de l’adolescence d’Assane avec le fil narratif principal, le tout se rejoignant à la fin, cette troisième partie des aventures de Lupin ne manque pas d’atouts, avec de nombreuses scènes à la fois palpitantes et amusantes… même si l’on abuse cette fois du procédé nous ramenant en arrière pour revoir d’une autre manière des scènes de préparation de ses coups par Diop. Les ficelles sont souvent assez grosses, les approximations ne manquent pas, mais on se sent d’humeur bienveillante vis à vis d’une série qui ne lésine pas pour vendre au touriste potentiel les charmes de Paris (pas de punaises de lits ni de rats, même dans les égouts, dans Lupin !) mais qui se donne surtout vraiment du mal pour nous surprendre et nous divertir. Il est juste dommage que certaines interprétations ne soient pas au niveau attendu pour une telle série de prestige, destinée à l’international, et surtout que la toute dernière partie soit plus faible – le remplacement de certains acteurs pour interpréter des personnages ayant vieilli étant peu crédible – et la conclusion du dernier épisode se révèle à la fois peu spectaculaire et trop pleine de bons sentiments et de morale pour être cohérente avec la mythologie construite par Maurice Leblanc.
L’annonce d’une suite s’inspirant du livre la Cagliostro se venge nous met l’eau à la bouche : ce qui manque pour le moment le plus à Lupin, c’est le courage de traiter les aspects les plus sombres de l’univers de Maurice Leblanc – crimes, tragédies et désespoir romantique ont été une fois encore négligés dans cette « adaptation » – et d’oser rendre le personnage d’Assène moins sympathique. Rappelons que Lupin, pour être génial, a aussi un égo démesuré, qui le rend souvent arrogant et méprisant, et occasionnellement violent : des défauts qu’Omar Sy a clairement du mal à jouer !
La suite de la pourrait être l’occasion de rattraper le coup. On peut toujours rêver !
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2023/10/13/netflix-lupin-3eme-partie-gentleman-cambrioleur-a-nouveau/