Avec sa volonté de proposer vingt séries originales par an d’ici cinq ans, Netflix continue son ascension lente mais impressionnante dans le paysage télévisuel américain. Après le thriller politique, la dramédie carcérale, l’épouvante et la sitcom animée, c’est cette fois une fresque historique que nous propose le site de VOD, avec la première saison de "Marco Polo", inspiré de la vie du célèbre aventurier éponyme – dont l’existence a souvent été mise en doute, mais ce n’est pas nécessairement un critère important (le personnage étant la plupart du temps un simple spectateur de l’action). A l’origine développée par la chaîne Starz, l’impossibilité de tourner en Chine avait fait de la série de John Fusco un projet mort-né, jusqu’à ce que Netflix décide de la ressusciter d’entre les morts. Budget imposant (90 millions de dollars, même si ce n’est pas autant que certains blockbusters HBO), casting international (britannique, chinois, italien, américain, mongole, égyptien) et une équipe technique digne d’un film : non, nous ne sommes pas au cinéma.
C’est bien là la première qualité de "Marco Polo" : sa maîtrise technique. On a l’impression d’être au cinéma, les décors sont somptueux, la reconstitution vaut bien n’importe quelle production hongkongaise du même genre, les effets spéciaux sont discrets et surtout beaux à regarder – c’est un plaisir de voir de tels plans d’ensemble dans une série télé – mais c’est surtout son soucis du détail qui fait la saveur de la production : entre une chorégraphie des combats travaillée et des superbes costumes, on ne sait plus où donner de l’œil. La bande-originale est une merveille absolue : des sonorités variées, des thèmes musicaux qui restent en tête et une orchestration qui s’argumente parfaitement avec l’action – du gros travail de ce côté-là, renforçant grandement la dramaturgie de l’ensemble – à noter enfin l’un des meilleurs génériques de l’année, si poétique qu’on pourrait le regarder en boucle des heures entières. Entre des combats rondement menés, une action correctement répartie et une bataille finale épique au possible, le statut de divertissement de "Marco Polo" n’est plus à prouver : on ne s’ennuie pas, c’est un énorme film de près de dix heures qui se déguste avec passion.
Malheureusement, c’est dans le scénario qu’on trouvera des défauts plus regrettables. Loin d’être mauvais, il se révèle assez classique même si parfois imprévisible. Quelques rares scènes sonnent terriblement faux, et les personnages manquent, pour beaucoup, d’épaisseur. Et c’est là qu’arrive la fâcheuse mais évidente comparaison avec "Game of Thrones" : certes, le contexte et l’univers (médiéval fantastique contre Chine impériale) n’ont que peu à voir, mais dans sa narration – complots, ruses, guerre, sexe, luxure, honneur et assassinats – et ses personnages – dont certains évoquent directement, sur certains aspects, Littlefinger, Robert Baratheon, Syrio Forel, Jon Snow ou encore Varys – font que "Marco Polo" renvoi clairement à la série de HBO. Rien de gênant, mais l’impression d’avoir rapidement cerné certains protagonistes se fait trop tôt ressentir.
Ces faiblesses diégétiques n’empiètent cependant pas sur la qualité du casting réuni pour l’occasion. Aucune fausse note, mais beaucoup de vraies révélations : Chin Han qui, dans un surjeu complet mais jouissif, livre un antagoniste d’exception, mais aussi Benedict Wong, tragiquement majestueux en Khan des Khans. C’est à regretter que certains d’entre eux n’aient pas plus de scènes.
Belle surprise aussi que le traitement très intéressant de la culture mongole. Un peu comme "Vikings" l’a fait avec les nordiques, "Marco Polo" est bien plus la peinture d’une civilisation plutôt qu’une fresque historique. Difficile de s’exprimer en détails sur ce sujet sans être un spécialiste, mais la reconstitution permet de donner un visage à ces coutumes et ces traditions aussi exotiques qu’elles apparaissent cohérentes et fascinantes à tout instant.
Imparfait sur bien des points, "Marco Polo" est pourtant une vraie réussite. Il ne faut pas attendre plus que ce qu’elle a à proposer : un grand divertissement passionnant. On tient sans aucun doute possible le blockbuster télévisuel le plus accompli de l’année (il faut dire que face à "The Last Ship", ce n’était pas très difficile). Épique, dépaysant : Netflix frappe à nouveau un grand coup en allant titiller les chaînes du câble sur leur terrain de prédilection. Tout ceci est d’autant plus prometteur puisqu’on attend impatiemment "Tigre et Dragon 2", produit et distribué sur Netflix, dont le scénariste n’est autre que… John Fusco, créateur de Marco Polo.