Il n’est guère étonnant de voir Todd Haynes s’atteler à l’adaptation de Mildred Pierce, tant le sujet concentre deux des creusets de son œuvre, à savoir le portrait de femme et la reconstitution historique. Après les 50’s de Loin du Paradis et avant celles de Carol, Mildred Pierce s’attaque à l’Amérique de l’après crise de 29, et voit l’ascension d’une femme forte décidée à ne pas vivre dans la soumission après les infidélités de son mari. Kate Winslet, que l’on va suivre 6 heures durant, est évidemment à la hauteur, et l’on retrouve cette fougue au service d’un personnage de femme forte qu’on avait déjà pu constater dans le réussi Noces Rebelles.
La nouveauté se situe donc dans le format : la mini-série permet à Haynes un confort inédit sur la durée, et rend honneur à l’intrigue du roman de James M. Cain s’étalant sur plus d’une décennie. Très romanesques, les affres de l’héroïnes, entre ascension sociale et désillusion sentimentales, reprennent un schéma bien rodé depuis le XIXè siècle : le portrait d’une époque, d’un milieu social (à la fois de l’industrie de la restauration par la création de franchises, et du showbiz) et la manière dont ils façonnent ou abiment les individus.
C’est là l’intérêt principal du récit : l’interaction entre la figure centrale et les satellites que sont les personnages secondaires. Mildred est une patronne, une mère et une femme, et tente – naïvement, mais puissamment - de gérer ces rôles avec le même pragmatisme. Face à elle, deux gouffres : un dandy désargenté vivant à ses crochets (très convainquant Guy Pearce) et surtout une fille qui ne cessera de grandir contre elle.
S’il faut s’accommoder d’une histoire à l’ancienne, forte en rebondissements et distribuant de façon presque scolaire les drames à chaque épisode (le nombre d’acmé voyant Mildred tétanisée ou en larmes frôle l’abus), c’est bien la fluctuation des relations qui fait tout l’intérêt de cette destinée. Parce qu’elle aime cet homme et sa fille, Mildred ne peut envisager la séparation, et le spectateur à sa suite finit par retrouver espoir dans ces liens qui, malgré tout, resteront toxiques. Cette absence de rédemption, alliée à une description féroce du capitalisme renaissant de ses cendres durant la Grande Dépression permettent à l’œuvre de se distinguer : Mildred Pierce est avant tout un récit d’une grande cruauté.
Formellement, on retrouve avec plaisir toute la maitrise de Todd Haynes, de ces couleurs vertes des intérieurs à la fluidité avec laquelle il retranscrit le ballet des serveuses, par un sens accru du détail, notamment dans le jeu fréquent dans les prises de vue à travers les vitres, les miroirs, échos au difficile accès à la vérité des êtres.
Son ampleur, sa richesse et son lyrisme font de Mildred Pearce une véritable réussite, qui devrait donner des idées aux réalisateurs dotés d’une vraie patte : c’est bien dans la mini-série, qu’ils réalisent intégralement (et non les pilotes de plus vastes projets, comme Scorsese ou Fincher), qu’ils peuvent donner la pleine mesure de leur univers visuel et narratif.
(7.5/10)