Mrs. America
7.4
Mrs. America

Série Hulu (2020)

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Le petit livre bleu de la Maïeutique féministe

La série showrunnée par Davhi Waller a beau se dérouler tout au long de la décennie des 70s, il semble plus qu'évident qu'elle parle au moins autant, sinon plus, des débats contemporains afférents quant à la question du féminisme. Car si Mrs America prend prétexte du processus démocratique visant à entériner l'ERA, ensemble d'amendements visant à inscrire l'égalité hommes-femmes dans le marbre, les deux camps s'affrontant ici semblent aujourd'hui encore être ceux qui font voir la pièce du féminisme différemment, selon que l'on regarde côté pile et côté face. L'un des plus grands mérites de cette "mini" série de 9 épisodes alertes, c'est donc de jouer, apparemment, la carte de la dialectique entre féministes pur jus (d'une coolitude parfois un peu agaçantes, et abusivement auréolés de sono 70s soul/funk) et celles qu'on présente comme anti, cet attelage conservateur et bigot de femmes au foyer. Et même si on peut pointer un évident déséquilibre entre les deux factions (la sympathie des auteurs à la cause féministe canonique est sans équivoque), la volonté de donner corps aux idées et aux valeurs de l'autre Amérique, Républicaine et réac', sans la tourner en dérision, est plus que louable : indispensable.


Cate Blanchett, star et productrice exécutive de la série, incarne un personnage qui, si il est un peu figé dans ses postures de biopic et ses tics d'hyper-actrices studio, s'avère fascinant et plein de relief, celui de Phyllis Schlafly. Femme d'un avocat qui, sous couvert de battre en brèche l'ERA (sur des arguments plus ou moins fallacieux : femmes amenées à être mobilisées dans les tranchées, enseignants pédophiles et complot lesbos-marxiste partout), cherche paradoxalement à s'émanciper de son rôle attendu. Et c'est au fond le parti pris, un peu pernicieux de Mrs America : il s'agit moins de confronter les idées des deux camps (puisque l'un a raison, dit juste et vrai, tandis que l'autre calomnie à coup de proto-fake news - voir le montage pervers du discours de Bella par Phyllys) que d'amener à une prise de conscience maïeutique : les anti-féministes sont au fond des féministes par leur action, comme le dit la même Bella, faisant prendre conscience par elles-même aux desperate housewives pro-Schlaflys qu'elles se battent pour ne pas travailler et rester au foyer... alors même que leur engagement militant s'apparente à une émancipation par le travail.


Dans l'un des épisodes pivot (l'avant-dernier, d'ailleurs meilleur que le tout dernier, lequel n'évite pas une surcharge lyrique un peu reloue et cantonne à des rôles assignés un peu binaire les leaders des deux factions), on voit donc Alice, sorte d'ombre de Schlaflis, prendre une pilule de drogue malgré elle, "dupée" par une camarade chrétienne dont elle ne soupçonnait pas qu'elle puisse être une partisane du NOW (National Organization for Women) délurée. Dès lors, titubant, hagarde, caméra brinquebalante et focale floue, Alice va dans une pérégrination attendue mais d'un comique salvateur, se retrouver à chanter avec un groupe de hippies "This is Our Land" de Woody Guthrie, chant marxiste ET patriote. Le revirement progressif de ce personnage, un des seuls à finalement finir un peu ailleurs que là où il a commencé, idéologiquement, émancipé, est là encore attendu, mais demeure salvateur, émancipateur, car venant de la prise de conscience d'Alice elle-même.


Forme sérielle obligeant, l'enjeu partisan autour de la ratification autour de l'ERA (l'assez dispensable compte à rebours des Etats qui, sur les 38 nécessaires, ont favorablement voté pour le texte en début d'épisodes...), il faut bien sûr un peu remplir (m'est avis que 6 épisodes bien tassés étaient suffisants), créant du conflit, des péripéties sentimentales, et surtout des jeux de pouvoir; le spectateur moyen n'étant sans doute pas prêt à une pure joute rhétorique entre les deux tenants d'un féminisme (celui qui veut que la femme s'émancipe quitte à se calquer sur le modèle masculin, celui qui plaide un ethos typiquement féminin, maternel et domestique, comme pleine émancipation de 'l'être femme'). Rien de bien méchant, surtout que par un habile jeu de miroir, Mrs America montre bien que les luttes de pouvoir intestines existent aussi bien chez les Aigles de Shchlafly (avec les calculs pour dompter les partisanes louisianaises, rameuter les 15.000 abonnés de l'intégriste catholique qui prend la vice-présidence, ou encore l'ambition parfois contrariée de Schlaflys par son propre comité) et au sein du NOW. Là, la tension entre Realpolitik (Bella demandant à ses camarades de revoir à la basse, ou de différer, leurs attentes sur l'avortement et les droits LGBT) et idéalisme fait deu de tout bois, créant une sorte d'ébullition au sein de la saga même. Ici, le militantisme n'est plus seulement affaire de libération, mais bien d'aliénation : Bella finit par perdre de vue ses idéaux de jeunesse; tandis que l'acariâtre co-fondatrice du mouvement, Betty, finit par se faire éclipser du mouvement, alors que son féminisme d'avant-garde (The Feminine Mystique) est débordée par les nouveaux enjeux (notamment LGBT).


Ah oui, et à noter qu'au delà du propos plutôt intéressant, à la fois d'un point de vue historique, et pour faire un état des lieux sur les apories actuelles du militantisme (voire la cession des féministes noires, déjà la connerie de l'intersectionnalité des luttes qui fragmente l'opposition là où il faudra l'unir), que la série est fichtrement rythmée : montage nerveux, dialogues rompus. On se croirait, à part peut-être les deux épisodes réalisées par Laure de Clermont-Tonnerre, chez des disciples de Fincher, dans la lignée de Mindhunter. Ce qui n'est pas pour me déplaire, moi qui ait plutôt tendance à trouver les séries dramatiques un peu lentes.

fan_2_mart1
7
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le 17 août 2020

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