En préparant un coup de pub pour le restaurant qui a sollicité son aide, Fielder se voit obligé de recruter un participant qui a accepté de changer légalement son nom en « Michael Richards » (acteur de Seinfeld), pour pouvoir réaliser le simulacre d’une célébrité laissant 10000$ de pourboire audit restaurant. Dans une émission normale, cette scène de recrutement/négociation aurait évidemment été coupée, mais dans Nathan for You, c’est précisément ce type de scories qui est recherché, aidé en cela par la présence des caméras qui incite les participants à jouer le jeu délirant du présentateur. « Téléréalité » prend ici un tout autre sens, soit un réel loufoque qui ne peut être produit que par le dispositif télévisuel qui pousse aux comportements les plus absurdes. Mais c'est avant tout l'attitude de Fielder qui provoque cet hilarant moment de malaise : c'est lui qui propose avec succès une rémunération de 1001$ lorsque son interlocuteur indique qu’il préférerait « 1400,1200, or anything above 1000 ».
Les idées qu’il propose aux petits commerces relèvent du même pli mental, elles ne sont pas illogiques, mais d’une logique tellement rigide qu’elles confinent à l’absurde : oui 1001$ c’est techniquement au-dessus de 1000 et oui, transformer un bar en scène de théâtre expérimental permet techniquement de contourner l’interdiction de fumer. Tout au long des épisodes, c’est cette raideur mentale au travail qu’on suit : les idées de départ créent de nouveaux problèmes qui seront traités avec la même raideur. Chaque épisode consiste ainsi en une course poursuite perdue d’avance d’un esprit rigide derrière le réel pour le neutraliser, tellement angoissé par l’imprévu qu’il tend systématiquement vers la solution extrême et donc insolite, sapant un peu plus à chaque étape les limites de la raison et du vraisemblable.
(Exemple : une boutique de TV subit la concurrence d’une grande surface ? On obligera ladite surface, qui pratique le price match, à vendre ses télés à 1$ en adoptant le même prix, pour pouvoir leur racheter ensuite. De vrais clients risquent de venir à la boutique pour profiter de ce prix providentiel ? On fixe un code vestimentaire strict pour les décourager. Des clients déterminés accepteront quand même cette contrainte ? On rapetissera au maximum la porte qui conduit au rayon des télés à 1$ et on déposera, en dernier recours, un alligator devant les télés pour dissuader les plus opiniâtres. Et ainsi de suite pendant 20 minutes.)
Mais un autre type d’épisodes revient régulièrement dans la série : ceux où Nathan Fielder met en suspens son génie du marketing et du business pour se concentrer sur l’amélioration de lui-même, en s’attaquant aux derniers défauts qui le séparent encore de la perfection. Ces épisodes se concentrent sur ce que les épisodes plus classiques dessinent en creux via des allusions constantes et drolatiques à son absence de vie sociale et sentimentale : la personnalité de Fielder lui-même, véritable objet comique de l’émission. Ainsi, dans l’épisode 7 saison 3, il se donne pour objectif de « prouver scientifiquement » qu’il est de bonne compagnie (« relax, fun and easy-going » précise-t-il), et que le malaise qu’il suscite par sa simple présence n’a pas lieu d’être. La méthode qu’il utilise pour ce faire prouve bien entendu spectaculairement l’inverse, et sa raideur mentale et physique s’y montre de manière éclatante, étant donné qu’il s’échine à vouloir enfermer ce qu’il y a de flexible dans la sociabilité (bonne compagnie, amitié etc) dans des critères quantifiables : taux de sérotonine et de dopamine du participant, mesurés à son insu.
Cet épisode brouille plus que tous les autres la frontière entre l’acteur et l’auteur Nathan Fielder, ce flou étant constamment entretenu même en dehors de l’émission. Il montre en quelque sorte une incompatibilité originelle entre ce corps et la pantomime sociale, contre laquelle il lutte en courant derrière les conventions sociales avec cette raideur qui ne fait que l’aggraver. Cette incompatibilité se rejoue à chaque idée commerciale où il projette sa propre rigidité sur un monde bien plus souple, donnant ainsi à son inadaptation au monde sa forme esthétique propre : un comique de l’anxiété. C’est la marque, sinon des grands artistes en général, en tout cas des plus grands comiques.