Mais comment peut-on accepter d'animer un tel truc ?

21.00
Après une petite journée de travail de seulement 11 heures 30, Hideaki Hatta, président de Kyoto Animation, invite ses cadres à venir prendre un pot dans le bar du coin, histoire de brainstormer un coup sur l'avenir du studio et le prochain truc à porter sur écran. Parce que la Mélancolie de Haruhi Suzumiya et Clannad c'est bien un moment, mais faut trouver autre chose fissa quand même histoire de gagner des pépettes.

21.15.
La discussion va bon train, tout en déférences et courbettes. La journée de boulot n'est en fait pas terminée pour qui sait y voir, le coup du bar étant un bon moyen de continuer à réfléchir dans un cadre plus familier et chaleureux. Pour le moment, nul ne se départi de sa politesse habituelle.

21.20.
L'Izakaya est ouvert, l'accueil est chaleureux. Les 8 hommes entrent à la suite d'Hideaki et commandent un repas accompagné d'une bière ou deux.

21.40
Au bout de la deuxième bière, les esprits s'échauffent les cravates sont tombées mais les masques encore là, sauf pour Taku de la compta' qui en tient déjà une bonne, deux bières c'est presque son max' – c'est le japon quand même, hein. Hideaki suggère vaguement d'aller se finir dans un autre bar. Si c'est pour le travail, disent les autres, on est obligé d'aller y faire un tour. Taku lui, il veut juste draguer des jolies gonzesses. Mais il est plein comme une huître, ça compte pas.

21.50
Arrivés et chaudement accueilli, la tablée de braves travailleurs commande haut et fort une tournée de Whisky pour amorcer la réflexion dans des conditions optimales.

21.55
Pendant que Taku de la compta' est occupé à vomir ses tripes aux toilettes, les autres accusent le coup. Hiromishi a noué sa cravate au sommet de son crâne et entonne à plein poumon l'ending de la mélancolie d'Haruhi Suzumiya tandis que le reste du staff danse de manière aléatoire, allumés comme les guirlandes à Time Square un 24 décembre. Seul le président, un peu trop occupé à vider son premier verre, reste assis tranquillement.

21.58
Keiichi Arawi, mangaka de profession, entre dans le bar un peu par hasard. Il s'avance pour commander et croise le président qui tangue vers le comptoir. Ils sympathisent autour d'un verre.

22.09
Keiichi se dit que quand même, il est sympa ce président. Le président se dit que quand même, pour une soirée brainstorming, ils ont brainstormé des prunes et que ça, c'est pas super productif. C'est encore la faute à Taku ça.
Arawi se met à parler de son manga au président. Nichijou que ça s'appelle. Le président lutte pour rester debout. L'alcool c'est dur, quand même.

22.21
Keiichi continue de parler, mais le président n'écoute plus. Il se dit qu'il a eu une bonne idée au milieu des vapeurs alcoolisées qui anesthésient son cerveau. Son idée ça serait d'adapter le manga de Keiichi. Il est fort le président, quand même, qu'il se dit. Et l'histoire est claire dans son esprit. Il tangue vers sa table pour en parler avec ses potes, laissant là Keiichi qui continue de dégoiser sur son manga.

22.27.
Il arrive à sa table. Enfin. Ils ont arrêtés de chanter et Hiromishi se tape un bon gros somme dans un bol de cacahuète. Pour les deux qui sont encore à demi-éveillés, Hideaki se lance dans un grand discours sur sa nouvelle idée.
-Les gars... les gars ! J'ai eu une idée super. Vous écoutez ? Vous êtes prêt ? Vous êtes prêt ! Alors voilà, on va adapter Nichijou.
En face, pas de réponse, mais le président il s'en fout. Il est lancé comme un Costa Concordia contre un récif, rien ne l'arrête.
-Alors en fait, l'histoire, si j'ai bien compris... c'est l'histoire d'un mec... non, attends. L'histoire de trois lycéennes qui vont au lycée. Mais attends, mais attends. Parce que pas que... elles vont au lycée, mais c'est des petits sketchs en fait. Et y a aussi un chat qui parle. Et un type qui vient au lycée... mais sur une chèvre tu vois. Et en fait... une des trois lycéenne elle est amoureuse du type, et elle fait des mangas, mais que du Yaoi sur lui. Et son ami c'est Yūko et elle est conne. Et y a Mai qui est genre... impassible mais en fait elle fait des blagues de fou. Et elle sculpte des statues de bouddha. Et le directeur chauve se bat contre un cerf. Et y a un triangle amoureux aussi entre le type sur la chèvre qui est un aristocrate qui vient d'une famille de paysan, la lycéenne aux cheveux bleus qui dessine des Yaoi et une autre...
-gnmmrrrr
-Exactement Hiromishi ! T'as tout compris, c'est pour ça que tu seras en charge de l'animation sur celui là !! Bon attends, je continue. Alors l'autre fille en fait c'est une tsundere, une tsundere ! Et toutes ses réactions de timidité et d'énervement, ça se fait avec des flingues, des missiles. Et y a une autre fille robot je crois, crée par une professeur de 8 ans kawai, comme ça... je sais pas, je sens que ça va marcher, non ?
-Mmrrblrr
- Ben bien sur ! Puis pleins de sketchs, d’événements surréalistes mais la vie dans le lycée est normale. Le moindre petit n'importe quoi devient grandiose, grandilo.. gran... complètement fou, exagéré ! Avec des parodies de manga de sports, avec un club de go-foot. Tu te rends compte ?! Du GO-FOOT !! Et un chat qui parle qui s'appelle Sakamoto, je t'en ai parlé ? Et des parties dans un dirigeable avec une princesse et des sbires qui s'appellent par leur numéro. Avec une foire aux Daifuku ! C'est super marrant, hein ? Avec un type qui a un Mohawk naturel et...

Le président continue ainsi pendant dix bonnes minutes, intarissable et incompréhensible. Puis il demande une feuille de papier et gueule comme un putois à travers le bar pour appeler Keiichi qui s'était même pas rendu compte qu'il parlait dans le vide. En dix minutes, le contrat est établi.

-Et on va mettre le meilleur dessus, tu connais Tatsuya Ishihara, Keiichi ? C'est mon pote, il va nous faire un truc chiadé tu vas voir !

Aux toilettes, entre deux prières à la grande déesse de porcelaine, Taku de la compta' se dit qu'il aurait pas dû laisser le président tout seul, parce qu'il a tendance à signer n'importe quoi quand il picole.

7h00, le lendemain.
Taku de la compta' a mal à la tête, comme toujours. Il avale deux cachets anti-gueule de bois et regarde le résumé qui lui a fourni le président la veille, au dos d'une serviette de papier qui exhale des relents de saké.
… Il se promet d'arrêter de boire pour pouvoir surveiller le président la prochaine fois. Surtout qu'il va devoir en parler à la femme Hideaki, Yoko Hatta, la vice-présidente.