Bien que j’en avais entendu parler, c’est par sa musique que j’ai abordé Normal People – et oui, l’algorithme peut aussi faire des trucs bien. Cette bande-son m’avait déjà envoûtée, mélange subtil de mélancolie, de douceur et d’intimité. Quand j’ai enfin pu découvrir la série, celle-ci s’est révélée d’une profondeur et d’une sincérité rares.
L’histoire de Connell et Marianne peut sembler simple et la série peut sembler ennuyante. Deux jeunes gens d’un lycée de Sligo, dans le nord de l’Irlande, que l’on suit jusqu’à la fin de leurs études universitaires à Dublin. Rien de spectaculaire, pas de grandes catastrophes ou de drames outranciers. Les deux personnages viennent de mondes opposés. Connell est issu d’un milieu modeste, un garçon introverti, brillant mais incapable de se sentir à sa place. Sa réussite académique et la reconnaissance qui va avec n’effacent pas son anxiété ni ce sentiment de décalage constant. Marianne, elle, vient d’une famille aisée, mais ce privilège cache une vie de maltraitances psychologiques, entre une mère froide et un frère tyrannique. Son cynisme et son intelligence la marginalisent autant à l’école qu’à la maison. Ensemble, ils trouvent une forme de refuge, mais ce lien, aussi nécessaire soit-il, est souvent dysfonctionnel. Ils ont besoin l’un de l’autre, mais peinent à exister ensemble. Toute la série se joue dans leur relation codépendante. C’est une histoire d’intimité avant tout, d’une intimité qui leur permet d’être entièrement eux-mêmes, avec leurs forces et leurs failles.
Ce qui rend Normal People si juste, c’est la manière dont la série dynamite la notion de "normalité" : chacun se bat avec ses propres fragilités, ses propres repères. Et c’est dans cette sincérité, dans cette authenticité, que réside la force du récit. Et pourtant, malgré cette profondeur, la série n’est jamais intrusive. La caméra capte une vulnérabilité immense, mais elle reste bienveillante. Il n’y a jamais ce sentiment de voyeurisme gênant qu’on peut avoir dans certaines œuvres. Ici, on est invités à partager des moments de grande intimité sans que cela devienne oppressant. Une scène marquante, comme celle où Connell rencontre une psychologue pour la première fois, illustre parfaitement cette délicatesse : la caméra reste fixe, immobile, laissant toute la place à l’émotion brute, sans artifice.
La réalisation est un chef-d’œuvre. Chaque plan est pensé avec soin, et rien n’est laissé au hasard. Il y a un travail incroyable sur le blocking et le staging, sur la manière dont les personnages interagissent avec l’espace, sur leurs postures, leurs regards, leurs silences. Dans des scènes avec peu ou pas de dialogues, tout est transmis par la mise en scène : un cadrage qui isole Connell pour souligner son anxiété, un plan large qui montre Marianne en possession de ses moyens. Cette précision confère à chaque moment une intensité émotionnelle palpable. La musique, discrète mais essentielle, accompagne ce voyage intérieur sans excès, sans besoin d’expliciter les scènes. Elle murmure plutôt qu’elle n’assène, apportant une couche supplémentaire de sensibilité à chaque scène.
La lumière naturelle, les décors réels, les petits moments de vie comme faire les courses, la vaisselle ou manger une glace, tout participe à ancrer cette histoire dans un naturalisme poignant. Mais ce naturalisme ne s’arrête pas là : il y a aussi une critique sociale sous-jacente. Les rapports de classe entre Connell et Marianne sont omniprésents, influençant leurs interactions et leurs trajectoires. Les performances des acteurs achèvent de sublimer l’ensemble. Paul Mescal est exceptionnel et livre une interprétation d’une vulnérabilité bouleversante. Daisy Edgar-Jones est tout aussi remarquable, oscillant entre force et fragilité. Leur alchimie rend chaque scène entre eux incroyablement intense, qu’il s’agisse d’un moment de tendresse ou d’une dispute déchirante. Mais il faut aussi souligner l’excellent jeu du reste du casting, qui contribue encore plus à la justesse de l’ensemble.
Normal People n’est pas une série qui vous prend par la main, elle fait confiance à l’intelligence du spectateur. En dynamitant les codes du drame classique et les clichés sur les relations humaines, elle offre une œuvre sincère, exigeante, mais terriblement émouvante. Au-delà, la série démontre que le drame mérite autant que l’épique une réalisation soignée et investie.